24.5 C
Kinshasa
mardi 30 avril 2024
AccueilSecteursÉconomie-FinancesRDC : l’ombre de Lumumba plane sur la fête de l’indépendance

RDC : l’ombre de Lumumba plane sur la fête de l’indépendance

Autrefois propriété privée du roi des Belges, Léopold II, l’État indépendant du Congo est devenu une colonie belge en 1908. Le territoire actuellement connu sous le nom de la République démocratique du Congo célèbre le 62ème anniversaire de son accession à l’indépendance, conquise le 30 juin 1960. Patrice Émery Lumumba, son tout premier Premier ministre, semble omniprésent lors de ces cérémonies.  

Le 62ème anniversaire de l’indépendance est notamment marqué par les cérémonies liées au rapatriement d’une relique de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre du Congo indépendant, assassiné près d’Elisabethville (actuelle ville de Lubumbashi), le 17 janvier 1961, avec deux de ses compagnons d’infortune, Maurice Mpolo et Joseph Okito.

L’aura de Patrice Lumumba, qui est devenu, au fil des années, le symbole de la lutte contre l’ordre colonial, rayonne largement au-delà et loin des frontières nationales.

L’aura de Patrice Lumumba, qui est devenu, au fil des années, le symbole de la lutte contre l’ordre colonial, rayonne largement au-delà et loin des frontières nationales. L’éphémère chef du premier gouvernement du Congo indépendant, qui est resté à son poste entre le 30 juin et le 4 septembre 1960, est l’une des rares figures politiques de son pays à faire quasiment l’unanimité, même si les jeunes générations ne semblent pas connaître le sens de son combat. N’empêche, presque tous les acteurs politiques congolais clament haut et fort qu’ils sont les continuateurs de l’œuvre inachevée de ce tribun hors pair qui galvanisait les foules. Ils font appel à cette figure rassurante pour s’attirer les faveurs des électeurs, lorsque le débat public porte sur des questions de souveraineté.

Lire aussi : RDC. 30 juin 1960. Lumumba, la survivance d’un mythe. https://www.makanisi.org/rdc-30-juin-1960-lumumba-la-survivance-dun-mythe/

Témoignage glaçant

Le 20 juin dernier, à Bruxelles, la Belgique a restitué à l’État congolais, en présence de la famille de Lumumba, la relique de Patrice Lumumba. Revenue au pays deux jours plus tard, la relique a été présentée au peuple congolais dans plusieurs cités de la RDC, notamment à Tshumbe dans le Sankuru, la province natale de Lumumba, puis à Kinshasa, la dernière étape.

Comment a-t-elle été retrouvée ? Tout est parti d’un témoignage effroyable de l’une des personnes qui ont participé au meurtre de Lumumba.

« On a écarté les corps. Le plus dur fut de les découper en morceaux, à la tronçonneuse, avant d’y verser de l’acide. Il n’en restait presque plus rien, seules quelques dents. Et l’odeur ! »

“J’ai découpé et dissous dans de l’acide le corps de Lumumba. En pleine nuit africaine, nous avons commencé par nous saouler pour avoir du courage. On a écarté les corps. Le plus dur fut de les découper en morceaux, à la tronçonneuse, avant d’y verser de l’acide. Il n’en restait presque plus rien, seules quelques dents. Et l’odeur ! Je me suis lavé trois fois et je me sentais toujours sale comme un barbare”. 

Ces propos, qui font froid dans le dos, ont été tenus par Gérard Soete, ancien gendarme belge, dans une vidéo qui a circulé il y a une vingtaine d’années. Cet homme mort en 2000 a sûrement emporté dans sa tombe des secrets liés à cet assassinat autour duquel plusieurs questions restent sans réponses plus de 61 ans plus tard.

Bataille judiciaire

Ses révélations ont, tout naturellement, suscité une réaction de la famille de ce personnage historique arraché trop tôt à l’affection des siens. La suite ? On la connaît. La bataille judiciaire engagée a débouché sur la restitution de la dent de Lumumba que Gérard Soete avait longtemps conservée.

Pendant des décennies, le site où Lumumba avait rendu son dernier soupir en s’écroulant sous les balles de ses tueurs encagoulés était à l’abandon.

Pendant des décennies, le site où Lumumba avait rendu son dernier soupir en s’écroulant sous les balles de ses tueurs encagoulés était à l’abandon. A Lubumbashi, nombre de personnes n’étaient même pas en mesure de situer cet endroit pas tout à fait comme les autres, qui aurait dû faire l’objet d’une attention particulière.

Lire aussi : RDC. 30 juin 1960. Lumumba : personnage historique, discours historique. https://www.makanisi.org/rdc-30-juin-1960-lumumba-personnage-historique-discours-historique/

Un mausolée digne de ce nom

La République, qui avait une manière bien singulière de traiter ses héros, s’est-elle rattrapée ? Un imposant mausolée digne de sa stature a été étrenné en ce jour anniversaire, quasiment au pied de l’échangeur de Limete (est) qui lui avait déjà été dédié à l‘époque du maréchal Mobutu. Le héros national incontesté a enfin une vraie sépulture qui aurait coûté plus de 2,5 millions de dollars. Un chiffre qui donne le tournis. Mais le message envoyé par Kinshasa pourrait se résumer à « Quand on aime Lumumba, on ne compte pas… »

Un imposant mausolée digne de sa stature a été étrenné en ce jour anniversaire

C’est là que reposera désormais la fameuse dent – dont l’authenticité n’a pas été établie, faute de test ADN. Un devoir de mémoire a ainsi été effectué. Félix Tshisekedi semble avoir intégré le fait que la politique est aussi une affaire de symboles.   

Un pays en guerre

Cet anniversaire intervient également à un moment où, dans l’est de la RDC, les forces armées congolaises, appuyées par des soldats onusiens, sont aux prises avec des rebelles du M23 soutenus par le Rwanda. Ces rebelles ont pris le contrôle de Bunagana, une localité située dans la province du Nord-Kivu, près de la frontière ougandaise et non loin du Rwanda.

Des voix s’élèvent pour se demander pourquoi les forces armées congolaises semblent éprouver tant de mal à bouter dehors les ennemis, dans les rangs desquels combattent des soldats de l’armée rwandaise, malgré les dénégations de Kigali.

Cet anniversaire intervient également à un moment où dans l’est de la RDC, les forces armées congolaises, appuyées par des soldats onusiens, sont aux prises avec des rebelles du M23 soutenus par le Rwanda.

Si on s’en tient aux chiffres publiés par l’OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, le pays comptait près de 5,6 millions de déplacés internes en décembre 2021. Cette situation persistance est, pour l’essentiel, imputable aux affrontements récurrents entre les divers groupes armés qui opèrent sur le sol congolais. Les organismes spécialisés estiment à plus de 100 le nombre de ces mouvements armés, tant congolais qu’étrangers. En outre, plusieurs milliers de Congolais ont trouvé refuge dans des pays voisins ces dernières années, pour échapper à l’insécurité ambiante.

Sur le front politique, l’investiture, en janvier 2019, de Félix Tshisekedi, après une élection présidentielle organisée, sur fond de contestation et dans un chaos généralisé, est restée en travers de la gorge de certains Congolais. Ceux-ci critiquent vertement le chef de l’État, quoi qu’il fasse et qu’il dise, tout en ne faisant pas mystère de leur volonté de le voir s’en aller après son premier mandat ou de le voir perdre lamentablement lors de la prochaine présidentielle prévue en 2023.

Lire aussi : La république du Congo en chiffres. Édition 2022. https://www.makanisi.org/la-republique-du-congo-en-chiffres-edition-2022/

Un quotidien difficile pour la majorité des Congolais

Sur le plan économique, si les données macroéconomiques sont de nature à valider les politiques mises en place sous Tshisekedi pour mieux mobiliser les recettes fiscales, les grandes réformes se font encore attendre. Le citoyen lambda, de son côté, ne voit pas l’amélioration de son quotidien. Il a toujours autant de mal à avoir accès à l’eau et à l’électricité, sans parler des soins de santé d’une certaine qualité, surtout s’il vit en milieu rural.

Le chômage frappe de plein fouet la grande majorité de la population active. Les jeunes diplômés, qui sortent des universités et d’autres établissements d’enseignement supérieur disséminés un peu partout à travers le pays, voient leur avenir bouché. Faute de perspectives, certains d’entre eux seraient prêts à se livrer à n’importe quel métier pour faire face au coût, de plus en plus élevé, de la vie. D’autres seraient disposés à émigrer, s’ils arrivent à réunir les moyens nécessaires pour tenter une telle aventure à l’issue incertaine.   

Ceux qui se sont succédé dans les hautes sphères du pouvoir au fil des années ne semblent pas avoir pris conscience de leur lourde responsabilité dans la lutte contre la pauvreté généralisée.

Les deux fléaux du pays

Ceux qui se sont succédé dans les hautes sphères du pouvoir au fil des années, ne semblent pas avoir pris conscience de leur lourde responsabilité dans la lutte contre la pauvreté généralisée. Le travail des acteurs politiques, qui semblent déconnectés des dures réalités de la majorité de la population, est bien souvent en-deçà des attentes. Les détournements de fonds publics et la corruption sont deux des fléaux qui empêchent le pays de prendre son envol économique.

Les détournements de fonds publics et la corruption sont deux des fléaux qui empêchent le pays de prendre son envol économique.

L’Inspection générale des finances, sous la houlette de Jules Alingete, se montre plus active depuis que Félix Tshisekedi a pris le gouvernail de la RDC. A l’inverse, la justice, qui peine à rompre son inféodation au pouvoir politique, ne semble pas pressée d’ouvrir une action judiciaire sur des personnalités d’un certain rang soupçonnées de détournement de fonds publics.

Bilan globalement négatif

Malgré tout, l’unité nationale ne semble pas en péril dans un avenir prévisible, même si rien ne permet de garantir sa pérennité. Par moments, des thèses séparatistes développées par des dirigeants politiques « identitaristes » reçoivent un certain écho au sein d’une frange de la population. Les choses ne sont pas figées. La partition, en 2011, du Soudan, après des années de guerre civile sur fond de répartition de la manne pétrolière, entre un Nord à dominante musulmane et un Sud majoritairement chrétien et animiste donne à réfléchir.

Trois décennies plus tard, le constat d’échec tient toujours, même si des avancées ont été réalisées dans certains secteurs sous la présidence de Félix Tshisekedi.   

« Le bilan de trente et un ans d’indépendance est globalement négatif », déclarait le Premier ministre Mulumba Lukoji en 1991, devant les délégués venus des quatre coins du pays pour prendre part aux travaux de la conférence nationale souveraine, qui était, entre autres choses, censée faire une lecture sans concession de l’histoire du pays et proposer des pistes de solution, en vue d’assurer un meilleur avenir aux jeunes générations. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. Mais trois décennies plus tard, le constat d’échec tient toujours, même si des avancées ont été réalisées dans certains secteurs sous la présidence de Félix Tshisekedi.   

- Advertisment -

ARTICLES LES PLUS LUS