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lundi 29 avril 2024
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RDC: la nouvelle Première ministre face à d’immenses défis

La République démocratique du Congo a un nouveau Premier ministre. Judith Suminwa Tuluka devient, à 56 ans, la première femme à occuper ce poste. Retour sur l’ascension d’une dame qui est entrée dans l’histoire.

Plus de deux mois après l’investiture, le 20 janvier 2024, de Félix Tshisekedi, qui a entamé ainsi son second mandat, le nom du successeur du Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, est enfin connu : Judith Suminwa Tuluka.  

Pour la première fois de son histoire, la RDC aura une femme à la tête du gouvernement.

Peu après les élections présidentielle et législatives de décembre 2023, des ministres avaient démissionné et le gouvernement – ou ce qu’il en restait – expédiait les affaires courantes, en attendant la mise en place d’une nouvelle équipe.

Diverses personnalités ont été pressenties pour prendre le poste de premier ministre. Des noms ont circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais celui de Judith Suminwa Tuluka n’est apparu que ces derniers jours.

La nouvelle Première ministre est sortie de l’Université Libre de Bruxelles où elle a obtenu une maîtrise en économie appliquée.

Formation en Belgique

Née en 1967 et issue de l’Union pour la démocratie et le Progrès social (UDPS), le parti du président Félix Tshisekedi, la nouvelle Première ministre est sortie de l’Université Libre de Bruxelles où elle a obtenu une maîtrise en économie appliquée. Elle a également un diplôme de comptabilité de l’École de promotion et de formation continue de Bruxelles. Elle a fait ses premières armes dans la vie active dans le secteur bancaire.

Son parcours a ensuite bifurqué sur le terrain des organisations internationales. C’est ainsi qu’elle a rejoint le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), en tant qu’experte nationale. Au sein de cette agence des Nations Unies elle était, entre autres, chargée d’accompagner la mise en œuvre de programmes communautaires en faveur de l’est du pays, en butte à une insécurité récurrente. Après cette étape, elle s’est retrouvée au cabinet du ministre du Budget. Elle a, par la suite, occupé le poste de coordonnatrice adjointe du Conseil présidentiel de veille stratégique.

Lorsqu’elle est portée à la tête du ministère du Plan, en mars 2023, elle est loin de s’imaginer qu’elle succédera à Jean-Michel Sama Lukonde, un jeune Premier ministre quelque peu effacé, en poste entre avril 2021 et avril 2024. Des fonctionnaires du ministère du Plan gardent de bons souvenirs d’elle et lui attribuent des réformes internes qui ont permis de rendre plus performants certains services. Mariée et mère de deux enfants, Judith Suminwa Tuluka arrive à trouver le bon équilibre entre sa vie de famille et sa vie professionnelle.

Lire aussi : RDC : vers un Parlement favorable à Félix Tshisekedi ? https://www.makanisi.org/rdc-vers-un-parlement-favorable-a-felix-tshisekedi/

Les cercles féministes ont accueilli favorablement l’arrivée d’une femme à la Primature

Économiste peu connue du grand public

Judith Suminwa Tuluka est peu connue du grand public. Cette économiste, qui a vécu en Belgique, est apparue sur la scène politique récemment, bien après la victoire, sur fond de controverse, de Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle de décembre 2018. Félix Tshisekedi, qui a également vécu en Belgique, s’est entouré de Belgicains (Congolais établis en Belgique) au cours de son premier mandat marqué par de sérieuses divergences au sein de l’équipe gouvernementale qui comportait aussi bien des ministres issus du camp de Joseph Kabila, qui a dirigé le pays entre 2001 et 2019, que des personnalités appartenant à la coalition favorable à Félix Tshisekedi. Les relations difficiles entre les deux groupes entravaient l’action du chef de l’État.

Les cercles féministes ont accueilli favorablement l’arrivée d’une femme à la Primature, située au 5 avenue roi Baudouin, au bord du fleuve Congo. La « masculinité positive » du président Félix Tshisekedi, qui n’a jamais fait mystère de son intention d’œuvrer en faveur de la promotion de la femme congolaise, a été mise en avant par nombre de personnes qui se réjouissent de cette nomination.

Contexte de guerre

Judith Suminwa Tuluka accède au poste de premier ministre dans un contexte compliqué, marqué par la guerre dans l’est du pays entre, d’une part, les forces gouvernementales, épaulées par les armées burundaise et sud-africaine et des combattants Wazalendo, qui se définissent comme des résistants locaux, et, d’autre part, les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda. Des soldats rwandais se battent dans les rangs de ce mouvement rebelle qui contrôle certaines localités du Nord-Kivu et menace, depuis plusieurs semaines, de prendre la ville de Goma, le chef-lieu de la province.

Les efforts diplomatiques menés sur plusieurs fronts par la RDC semblent timidement porté leurs fruits

Les efforts diplomatiques menés sur plusieurs fronts par Kinshasa semblent timidement porter leurs fruits. Sur le plan international, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le soutien de Kigali au M23 qui commet régulièrement des atrocités et exploite illégalement les ressources naturelles dans les zones qui sont passées sous son contrôle. Les forces armées congolaises, qui tentent de se réorganiser, ont du mal à réaliser des conquêtes territoriales, malgré une augmentation substantielle du budget consacré à la défense, après l’adoption, par l’Assemblée nationale, d’une ambitieuse loi de programmation militaire. Cette loi pluriannuelle, qui préfigure une montée en puissance des forces armées congolaises, prévoit notamment le passage de quelque 400 millions de dollars en 2021 à plus de 1,3 milliard de dollars la part du budget national réservé à la défense.

Une centaine de groupes armés

L’insécurité qui prévaut dans l’est de la RDC touche également la province de l’Ituri, située au nord du Nord-Kivu. Une centaine de groupes armés, tant nationaux qu’étrangers, opèrent dans la partie est de la RDC depuis quelques années. La situation n’a pas notablement évolué depuis la première prestation de serment de Félix Tshisekedi, en janvier 2019, malgré les redditions, par vagues successives, de plusieurs responsables de ces groupes qui commettent des atrocités et des pillages quasiment en toute impunité.

Les affrontements ont fait un peu moins de 7 millions de déplacés, selon les chiffres publiés en octobre 2023 par l’Organisation internationale pour les migrations. Chacun de ces déplacés qui, pour la plupart, vivent dans des conditions extrêmement difficiles, souhaite, plus que tout, mettre un terme à cette vie d’errance et regagner son domicile. 

La nouvelle Première ministre aura fort à faire pour ramener la paix dans toutes ces localités où les populations vivent des tragédies à répétition

La nouvelle Première ministre aura fort à faire pour ramener la paix dans toutes ces localités où les populations vivent des tragédies à répétition. Dispose-t-elle de tous les atouts pour réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ?

« Mes pensées vont à l’est et à tous les coins du pays qui, aujourd’hui, sont confrontés à des conflits, face à des ennemis qui sont parfois cachés, qui ne se révèlent pas, mais que l’on trouvera, que l’on va pourchasser, d’une manière ou d’une autre », a déclaré Judith Suminwa Tuluka qui semble prendre à cœur la nécessité de renforcer les opérations des forces armées.

Le ressenti des Congolais, de manière générale, reste en décalage avec les données macroéconomiques qui sont globalement satisfaisants.

D’immenses défis économiques

S’il est vrai que la RDC s’est dotée de nouvelles infrastructures sous la présidence de Félix Tshisekedi, il est aussi vrai que des millions de Congolais n’ont pas vu leur quotidien radicalement changer. Le ressenti des Congolais, de manière générale, reste en décalage avec les données macroéconomiques qui, pourtant, sont globalement satisfaisants. Le PIB du pays est passé de 47,5 milliards de dollars en 2018 à près de 70 milliards de dollars en 2023. L’État arrive à mieux mobiliser les recettes internes. L’économie est censée poursuivre son ascension à un rythme soutenu, d’après la Banque mondiale qui table sur une croissance économique de 4,7 % en moyenne en 2024. C’est de bon augure.

« Je suis consciente de la grande responsabilité qui est la mienne. J’ai indiqué au chef de l’État qu’il pouvait compter sur ma loyauté pour mener à bien le développement de notre cher pays », a martelé la nouvelle Première ministre.

Les Congolais jugeront le gouvernement en scrutant plusieurs indicateurs. Mais le plus déterminant d’entre eux est l’évolution de leurs propres conditions de vie.

Judith Sumwina Tuluka sera attendue également sur le terrain social. Les Congolais jugeront le gouvernement en scrutant plusieurs indicateurs. Mais le plus déterminant d’entre eux est l’évolution de leurs propres conditions de vie. Sur ce plan, les promesses qui leur ont été faites sur la diversification de l’économie, l’émergence de millionnaires locaux, le développement de l’agriculture, le renforcement du pouvoir d’achat et la mise en place d’un cadre propice à l’essor de l’entrepreneuriat tardent à devenir une réalité, même si par-ci, par-là, des signaux encourageants peuvent être détectés.  

Lire aussi : RDC. Le professeur Mpoyi Kamulayi tire des leçons des récentes élections https://www.makanisi.org/rdc-le-professeur-mpoyi-kamulayi-tire-des-lecons-des-recentes-elections/

Gouverner autrement

Ceux qui la connaissent et qui l’ont côtoyée indiquent que Judith Suminwa Tuluka, qui sait se faire respecter, entend gouverner autrement. Elle entend mettre en place des mécanismes de suivi des décisions gouvernementales et d’évaluation des actions engagées par chaque ministère.

Elle entend mettre en place des mécanismes de suivi des décisions gouvernementales et d’évaluation des actions engagées par chaque ministère.

Difficile, à ce stade, de préjuger de l’impact d’une telle initiative dans un environnement gangréné par les mauvaises habitudes qui contrarient le décollage économique du pays. La corruption et le détournement de fonds publics ne sont pas toujours sanctionnés sévèrement. Et la société semble, d’une manière ou d’une autre, s’en accommoder silencieusement, alors que le président Félix Tshisekedi a lui-même dénoncé, plus d’une fois, les dysfonctionnements de la justice.

La nouvelle Première ministre s’emploie à consulter les différentes forces politiques en vue de la formation de son gouvernement. La composition de son équipe donnera quelques indications sur ses priorités. Le profil des hommes et des femmes qui en feront partie sera analysé minutieusement.

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