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mardi 19 mars 2024
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Afrique, transition écologique et énergétique : les grands défis

Décarbonation, forêts, tourbières, pollution, CO2, changements climatiques, économie verte, mobilité verte, financements verts… Les thématiques abordées lors de la Cop26 qui s’est tenue en novembre dernier à Glasgow (Écosse) ont été variées. Une fois le rideau de la conférence tiré, pour bien des pays africains, tout ne fait que commencer. Et les interrogations ne manquent pas.

Originaire du Cameroun, où il retourne fréquemment, Maxime Jong vit au Québec depuis 2009. Consultant sur les questions de développement économique inclusif et de transition écologique, très attaché à son continent, Maxime Jong a bien voulu répondre aux questions de Makanisi.org sur les grands enjeux et les défis de la transition écologique et énergétique en Afrique.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Makanisi : Vous avez analysé les plans de développement de 5 pays africains (Cameroun, Éthiopie, Kenya, Maroc et Sénégal). Qu’en avez-vous conclu ?

Maxime Jong

Maxime Jong : Les plans de développement de l’Éthiopie et du Maroc mettent l’accent sur la production et l’exportation d’une énergie renouvelable verte dont la demande mondiale va croissante. Ces deux pays sont en train d’investir massivement dans leurs capacités de production et d’interconnexion des réseaux. Leur vision positive de la transition écologique et énergétique leur permet d’infuser dans leurs plans de développement des éléments qui leur donnent une cohérence plus forte en matière de transition.

Les plans proposés par les pays pétroliers du continent, dont les modèles énergétiques sont basés sur la production thermique à partir d’énergie fossile, ont tendance à concevoir la transition écologique et énergétique comme une réaction à la pression des changements climatiques sur leurs écosystèmes et non comme la véritable source d’opportunités qu’elle représente.

Les questions de transition écologique et énergétique doivent être développées dans le plan national de développement d’un pays. C’est primordial.

Makanisi : Est-il important que les questions de transition écologique et énergétique soient intégrées dans un plan national de développement et non pas faire l’objet d’un plan connexe ?

M.J. : Ces questions doivent être intégrées dans les plans nationaux de développement des pays. C’est primordial. Pour plusieurs raisons. Aujourd’hui, la plupart des grandes ères économiques, au niveau mondial, ont décidé de consacrer une partie de leurs investissements de relance à la transition écologique. Ainsi, un tiers du fonds de relance de 750 milliards d’euros de l’Union européenne, doit alimenter l’économie verte, durable.

Par ailleurs, lors de la Cop26, un message important a été envoyé par la Chine et les États-Unis, qui se sont engagés à mener des actions en faveur de cette transition. Ainsi le monde est en train d’opérer une transition énergétique et de structurer l’économie en fonction de cet enjeu. Les pays africains doivent prendre les devants sur ces questions au risque de creuser une fois de plus les inégalités économiques et climatiques qui existent entre eux et les autres pays.

Makanisi : Structurer l’économie sur la base de la transition signifie, selon vous, appréhender la question de manière globale et transversale…

M.J. : Exactement. Pour exemple, la transition énergétique en Éthiopie constitue un pilier du plan de développement. Dans les autres plans de développement étudiés, il est fait mention de la transition et de certains aspects de l’économie verte. Mais, sans une vision et un véritable plan adossé, ces mentions éparses sont principalement faites dans la perspective d’obtenir des financements attachés à la transition écologique ou d’ajouter quelques mots clés au plan. Or la plupart des pays sont en train de restructurer complètement leur économie et non pas de développer un nouveau pan ou secteur de leur économie. Les pays africains doivent tendre vers cela. Il ne s’agit plus de développer l’économie verte ou bleue, mais de restructurer toute l’économie pour la rendre circulaire et durable.

Il ne s’agit plus de développer l’économie verte ou bleue, mais de restructurer toute l’économie pour la rendre circulaire et durable.

Makanisi : Outre son impact positif sur l’environnement, la transition énergétique peut être une opportunité pour créer des activités, des emplois, voire pour exporter.

M.J. : La transition écologique est une opportunité d’activités dans tous les domaines. En milieu urbain, nous devons penser le cadre bâti pour les générations d’aujourd’hui et celles de demain. Cela implique de proposer de nouvelles normes du bâtiment et des matériaux conformes aux exigences climatiques. Le ciment sera-t-il le matériau de demain ?  L’Afrique est-elle en train d’étudier ses propres matériaux de construction et de développer tous les écosystèmes capables de servir les normes du bâtiment du futur ? Si une institution internationale vient construire un de ces sièges en Afrique, conformément aux normes internationales en matière de bâtiment durable, l’expertise locale sera-t-elle en mesure d’intervenir sur le chantier ? Il faut penser et restructurer tout cela dès maintenant pour être la locomotive et non le dernier wagon.

Paysage de forêts denses et de tourbières dans la Likouala au Congo-B. @MDMM

Makanisi : Restructurer l’économie n’implique-t-il pas une autre gouvernance avec la mise en place d’une structure spécifique sur la transition écologique ?

M.J. : Il y a une structure de gouvernance à revoir en effet. La plupart des grandes villes sont non seulement des centres de décision mais aussi de transformation économique. Elles se regroupent en réseaux pour travailler ensemble sur les grands enjeux de notre temps. La transition écologique va nécessairement passer par les villes car c’est là que se trouve le gouvernement de proximité. Les structures de gouvernement doivent être pensées dans cette optique et permettre au citoyen de se rapprocher de la structure de gouvernance, qui, elle, doit s’impliquer davantage dans toutes les questions de transition écologique. À titre d’exemple, la mise place d’un écosystème de collecte et gestion des déchets via des boucles de circularité économique devrait être pensée et opérée par les villes, or ces prérogatives tout comme la création et la gestion d’écotaxes restent fortement centralisées, empêchant ainsi les villes de financer leur transition écologique de manière active et autonome.

La transition écologique va nécessairement passer par les villes car c’est là que se trouve le gouvernement de proximité.

Makanisi : La gouvernance de la transition écologique doit être décentralisée…

M.J. : Prenons le cas de l’Éthiopie où a été développé un système de transport électrique collectif : le tramway. Ce type de transport doit être pensé à l’échelle d’une ville. En Afrique, les villes sont de plus en plus peuplées sous l’effet d’un exode rural et de plus en plus d’un exode climatique. Dans ces grandes villes, l’esprit d’entreprise local a organisé le transport collectif autour des motos taxis pendant que le béton prenait la place des arbres à mesure que la ville s’est agrandie. Toutes ces évolutions subies entrainent aujourd’hui des problèmes de pollution et de santé publique. Alors que dans les pays du nord on déminéralise les villes, en Afrique, on les bétonne. Il est urgent de penser les villes et le transport urbain autrement et de manière intelligente.

Dans les grandes villes, le transport public a été structuré par des petits entrepreneurs locaux autour des motos. Kinshasa; Rond-Point Ngaba. @MDMM

Makanisi : Dans des pays africains, l’approche de la transition énergétique dans l’industrie porte sur l’énergie propre. Les opportunités économiques que l’industrie peut offrir dans ce domaine y sont peu abordées. Pourquoi ?

M.J. : Il y a des opportunités économiques dans l’économie verte en Afrique où des pays ont, sur ce plan, des avantages comparatifs réels, comme la présence de terres rares ou de métaux. Le Québec, par exemple, se positionne pour être la batterie de l’Amérique du Nord car il dispose des terres rares qu’il veut transformer en batteries et autres technologies intéressantes pour l’économie de demain, notamment le stockage de l’énergie. Or la configuration du Québec et de la RDC est quasiment la même. L’hydroélectricité et les métaux rares y sont présents dans les deux cas. La seule différence entre les deux est une question de vision et d’ambition et, bien sûr, la présence d’une expertise en recherche-développement et d’un gouvernement qui accompagne les acteurs pour ce qui est du Québec. Pour emprunter le même chemin que le Québec, il faut planifier. À l’exemple de ce pays, le gouvernement de RDC doit mettre en place des programmes universitaires, des subventions aux entreprises pour les accompagner dans ces domaines et créer un véritable écosystème d’innovation pour aller vers une transformation poussée. L’approche doit être transversale et concerner l’éducation, les entreprises, l’export et d’autres pans de l’économie.

À l’exemple du Québec, le gouvernement de RDC doit mettre en place des programmes universitaires, des subventions aux entreprises pour les accompagner dans ces domaines et créer un véritable écosystème d’innovation pour aller vers une transformation poussée.

Makanisi : Quelles sont les opportunités pour l’Afrique en matière d’économie circulaire ?

M.J. : Dans les modèles d’affaires mis en avant aujourd’hui pour stimuler les entreprises entre elles, on parle beaucoup d’économie circulaire et de symbioses industrielles. Dans cette approche qui a été développée aux Pays-Bas dans des secteurs très polluants comme la pétrochimie autour des ports, les industries s’échangent les résidus de leur production qui deviennent des intrants pour d’autres acteurs. Pour cela il faut être capable de penser un écosystème complet et qui va se compléter. Dans la culture africaine, nous avons cette capacité d’échange, de recyclage et de réutilisation que l’on peut observer dans le secteur informel, mais nous ne sommes pas en train de l’exploiter et de hisser ce savoir-faire à un niveau industriel et semi-industriel, créateur de plus value sur le marché.

Dans la culture africaine, nous avons cette capacité d’échange, de recyclage et de réutilisation que l’on peut observer dans le secteur informel, mais nous ne sommes pas en train de l’exploiter et de hisser ce savoir-faire à un niveau industriel et semi-industriel, créateur de plus value.

Makanisi : Dans quels autres secteurs, l’économie circulaire peut-elle se développer  ?

M.J. : L’agriculture africaine produit beaucoup de déchets qui sont généralement brûlés, alors qu’on peut les transformer en énergie ou les intégrer comme intrants dans la production d’autres secteurs. Les acteurs, dans l’écosystème local, pourraient échanger entre eux, de sorte que les résidus, ou extrants, d’une entreprise deviennent la matière première, ou intrant, d’une autre. Au Québec, dans chaque région, des fonctionnaires spécialisés agissant comme agents de mise en relation, identifient les intrants et les extrants de chaque industrie sur leur territoire et tentent de créer des liens entre les entreprises. Ce sont des agents de facilitation de la transition écologique. L’Afrique peut s’inspirer de cette expérience.

L’agriculture africaine produit beaucoup de déchets qui sont généralement brûlés, alors qu’on peut les transformer en énergie ou les intégrer comme intrants dans la production d’autres secteurs.

Au Congo-B, GTC transforme les résidus de régimes de palmier à huile en compost. @MDMM

Makanisi : Le secteur informel est le champion du « rien ne se perd, tout se réutilise et se transforme ». Les pouvoirs publics ne devraient-ils pas s’inspirer de ses pratiques  ?

M.J. : Oui, les gouvernements et les industriels africains devraient aller s’inspirer de ce qui se fait dans l’informel. Ce sont des modèles qui pourraient faire légion, d’autant que le recyclage et la réutilisation sont une tendance lourde dans les pays industrialisés.

Je suis toutefois optimiste. Car la transition numérique en cours est sur le point d’être une réussite en Afrique où les modèles qui y sont nés, ont gagné d’autres régions du monde, comme le paiement mobile et le transfert d’argent mobile. En moins de dix ans, les Africains ont migré vers ce mode de paiement, alors que la bancarisation était très faible. En matière de transition énergétique, l’Afrique a la même capacité, si ce n’est plus, car le recyclage et la circularité économique sont des activités très anciennes sur notre continent.

Pour avoir accès aux financements internationaux, nos pays seront obligés d’élaborer des plans beaucoup plus solides en matière de transition énergétique et écologique.

Makanisi : Peut-on espérer que les choses vont aller dans le bon sens ?

M.J. : oui, car la finance mondiale mise de plus en plus sur ce qui est environnemental et social et sur la bonne gouvernance. Aussi, pour avoir accès aux financements internationaux, nos pays seront obligés d’élaborer des plans beaucoup plus solides en matière de transition énergétique et écologique. Mais la finance mondiale ne pourra pas, à elle seule, développer tout notre continent. Nos décideurs publics devront donc faire preuve d’ambitions environnementales et appréhender la transition écologique non pas comme une simple vision de lutte contre les changements climatiques mais comme une opportunité de développer des économies plus vertes et ancrées dans le local et, ainsi, moins dépendantes de l’extérieur. Les défis sont importants.

« La configuration du Québec et de la RDC est quasiment la même. L’hydroélectricité et les métaux rares y sont présents dans les deux cas ». Site minier dans le Lualaba. RDC @MDMM

Makanisi : Quels sont ces défis ?

M.J. : L’Afrique a toujours été considérée comme un réservoir de matières premières. Elle devra redéfinir les règles du jeu si elle veut développer localement des industries comme celles des batteries par exemple. Par ailleurs il y a une bataille mondiale sur les normes. À titre d’exemple, des types de voitures électriques ou de nouveaux produits verts, carbo neutres, ne sont pas acceptés dans certains pays. Mais l’Afrique est absente du processus de négociation sur les normes de demain ou y dispose d’un poids limité. Si elle veut être partie prenante de ce processus, elle devra être présente lors de ces négociations et dans tous les modèles de coopération qui seront mis en place, exiger des partenaires qu’ils forment la main d’œuvre locale et aident les pays à créer une industrie locale.

C’est dans la société civile africaine que cet espace de réflexion et de recherche est en train de se structurer et que ses acteurs sont en train de se former.

Makanisi : L’un des grands défis des pouvoirs publics africains n’est-il pas de mieux organiser les intelligences et de créer un espace structuré de réflexion et de recherche ?

M.J. : C’est dans la société civile africaine que cet espace de réflexion et de recherche est en train de se structurer et que ses acteurs sont en train de se former. Il y a de plus en plus de cercles de réflexion, comme les Ateliers de la pensée de Felwine Sarr et d’Achille Mbembé, sur les grands enjeux du continent africain et du monde en général. Leur approche philosophique qui questionne la nature profonde et l’intention derrière la vision est nécessaire avant d’aller développer des projets. Ces réflexions devraient alimenter tous les acteurs publics et privés et ceux de la société civile.

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