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jeudi 18 avril 2024
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Boris Johnson plonge l’accord Kigali-Londres dans l’incertitude

La démission de Boris Johnson jette le doute sur l’application de l’accord conclu entre Londres et Kigali, qui prévoit l’envoi, au Rwanda, de demandeurs d’asile au Royaume-Uni. Cet accord vivement critiqué risque de mourir de sa belle mort, après avoir suscité des réactions négatives en RDC, pays avec lequel le Rwanda entretient des relations difficiles empreintes de méfiance réciproque.

Lâché par une partie des responsables du parti conservateur, le premier ministre britannique, au centre d’une série de scandales liés notamment à son comportement personnel durant le confinement imposé aux Britanniques au pic de la pandémie de covid-19, a été contraint de s’en aller.

S’il est censé quitter le 10 Downing Street en octobre prochain, Boris Johnson a d’ores et déjà abandonné les commandes du parti conservateur

S’il est censé quitter le 10 Downing Street en octobre – le temps que les Tories lui trouvent un successeur -, Boris Johnson a d’ores et déjà abandonné les commandes du parti conservateur qui garde une majorité confortable au Parlement.

Le prochain premier ministre mettra-t-il tout en œuvre pour relancer cet accord controversé ? Une chose est sûre : le principal obstacle n’a pas été levé. Une première tentative de transfert, au Rwanda, de 6 réfugiés – sur les 150 qui ont été identifiés, dans un premier temps – a échoué en juin 2022. L’avion à bord duquel ces indésirables se trouvaient n’a pas décollé, après un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui n’est pas un organe de l’Union européenne. Si le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne, il reste toutefois un membre de la CEDH, qui siège à Strasbourg. Le gouvernement britannique a fait savoir qu’il ne lâcherait pas prise et qu’il explorerait d’autres voies juridiques pour obtenir gain de cause.

Attaques de toutes parts

L’accord a essuyé des critiques émanant de sociétés civiles, de dirigeants politiques et de responsables de l’Organisation des Nations Unies. Et pour cause ! Le Rwanda, pays à forte densité de population, est dirigé d’une main de fer par le président Paul Kagame, connu pour être peu respectueux des droits de l’homme. L’ancien chef rebelle a mis en place un système autoritaire, après s’être emparé du pouvoir lors du génocide de 1994, qui a coûté la vie à quelque 800 mille personnes.

Le geste de Kigali n’est pas dépourvu d’arrière-pensées économiques. En contrepartie de son « hospitalité », Kigali recevra quelque 160 millions d’euros.

Le geste de Kigali n’est pas dépourvu d’arrière-pensées économiques. En contrepartie de son « hospitalité », Kigali recevra quelque 160 millions d’euros. Ces fonds seront notamment utilisés dans des projets de développement. Le Royaume-Uni a, en outre, financé un programme de mise à niveau d’hôtels. Il s’agit d’établissements qui seront convertis en centres d’accueil de nouveaux arrivants.

Des accords analogues existent

Cependant, à y regarder de plus près, Londres et Kigali n’ont rien inventé, car ce n’est pas la première fois qu’un pays décide de sous-traiter la gestion du dossier explosif des réfugiés.

Israël avait signé un accord analogue en 2015 avec l’Ouganda et le Rwanda, qui avait aussi, en son temps, suscité quelques réactions hostiles. Sans plus. Sa mise en œuvre ne semble pas avoir été finalisée. Le programme, qui semble avoir été abandonné, n’a pas été un franc succès. Certains demandeurs d’asile, contraints de s’installer au Rwanda, se sont arrangés pour quitter ce pays et s’établir en Europe.

Dans ce domaine, le Danemark et l’Australie ont également choisi de s’en remettre à des pays tiers, sans s’attirer les foudres de défenseurs des droits de l’homme.

On peut certes trouver des nuances, si on entre dans le détail de ces différents accords. Mais la philosophie générale est la même : il s’agit, pour les pays « puissants », de se débarrasser du « fardeau » de l’immigration

L’Union européenne a, de son côté, trouvé un terrain d’entente avec la Turquie. Les deux parties se sont accordées sur un dispositif qui prévoit notamment que la Turquie retienne les réfugiés potentiels – pour la plupart en provenance de Syrie – qui seraient tentés d’aller à la recherche des perspectives meilleures en Europe. C’est ainsi que la Turquie « retient » sur son sol quelque 3 millions de personnes disséminées dans des camps de réfugiés. En échange, les organisations qui leur viennent en aide reçoivent des financements conséquents pour mener à bien leurs activités. L’attitude de l’Union européenne ne suscite pas de réactions outrées. Pourtant, l’UE a refilé la patate chaude au président turc, Recep Tayiip Erdogan, que nombre de médias européens considèrent, à tort ou à raison, comme un dirigeant atypique, qui se moque de la démocratie.

Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis se sont tournés vers le Mexique pour tenter de bloquer l’afflux de réfugiés de pays d’Amérique du Sud attirés par l’eldorado américain. L’ex-président américain a même financé l’extension du mur existant entre le Mexique et les États-Unis, pour empêcher les clandestins de traverser la frontière.

On peut certes trouver des nuances, si on entre dans le détail de ces différents accords. Mais la philosophie générale est la même : il s’agit, pour les pays « puissants », de se débarrasser du « fardeau » de l’immigration. Dans nombre de sociétés, la question de l’immigration génère fantasmes et réactions excessives. Les partis politiques qui soufflent habilement sur les braises de la xénophobie s’engouffrent dans la brèche pour tenter de s’attirer les faveurs des électeurs.

Paul Kagame, une menace pour la RDC ?

Le président rwandais, Paul Kagame, qui jouit d’une image reluisante en Europe, après avoir réécrit et tronqué l’histoire du génocide, est impopulaire en République démocratique du Congo. Aux yeux de nombreux Congolais, Paul Kagame représente une menace.

Sous sa présidence, le Rwanda a soutenu – et continue à soutenir – financièrement et militairement des mouvements rebelles qui déstabilisent l’est de la République démocratique du Congo. L’armée rwandaise a opéré diverses incursions en territoire congolais. Des affrontements ont même eu lieu, en 1999 et en 2000, dans la ville congolaise de Kisangani (nord-est), entre l’armée rwandaise et l’armée ougandaise, qui se battaient pour faire main basse sur les richesses minières des zones environnantes. Ces guerres ont coûté la vie à plusieurs centaines de civils congolais.

Craintes injustifiées en RDC ?

L’implication de Paul Kagame dans plusieurs événements qui ont endeuillé des familles congolaises est établie. Sur la base de ces mauvaises expériences, de nombreux Congolais se sont insurgés contre l’entente entre Londres et Kigali. Certains y voient un agenda caché du pays des mille collines qui, à terme, nuirait aux intérêts de la RDC, si ces réfugiés se retrouvaient, d’une manière ou d’une autre, sur le sol congolais. Craintes injustifiées ? Réactions excessives ?

Thomas d’Aquin Muiti, vice-président et porte-parole de la société civile en RDC, se veut méfiant, comme nombre de défenseurs des droits de l’homme qui se sont exprimés sur cette question. 

Thomas d’Aquin Muiti, vice-président et porte-parole de la société civile en RDC, se veut méfiant, comme nombre de défenseurs des droits de l’homme qui se sont exprimés sur cette question. « La population congolaise a raison d’avoir des inquiétudes sur l’arrivée de ces réfugiés au Rwanda. Où iront-ils ? La population rwandaise n’a plus de place pour vivre. Le Rwanda est allé au Congo-Brazzaville pour négocier l’exploitation de quelques hectares de terres agricoles. Par manque d’espace au Rwanda, la population rwandaise se déverse en RDC, en Ouganda et au Burundi », explique-t-il.

« Le Rwanda est incapable de recevoir les réfugiés rwandais qui vivent en RDC. Comment peut-il accueillir des réfugiés en provenance du Royaume-Uni ? L’accord conclu entre le Royaume-Uni et le Rwanda n’est pas bon pour la RDC. La RDC a de bonnes raisons de s’en méfier », ajoute d’Aquin Muiti.

Le congrès annuel des Tories

Difficile, à ce stade, de préjuger de ce qui pourrait advenir. La balle est dans le camp du prochain premier ministre britannique, alors que la course à la succession de Boris Johnson est ouverte. La liste des potentiels successeurs s’allonge au fil des jours : Rishi Sunak, ex-ministre des finances, Kemi Badenoch, ex-ministre de l’égalité, Tom Tugendhat, le président de la commission des affaires étrangères de la chambre des députés, Liz Truss, ministre des affaires étrangères, etc. se sont déjà manifestés.

Le prochain premier ministre sera connu après le congrès annuel du parti conservateur, prévu du 2 au 5 octobre à Birmingham

Le nom du prochain premier ministre sera connu après le congrès annuel du parti conservateur, prévu du 2 au 5 octobre à Birmingham. Il ou elle aura la lourde tâche de réactiver l’accord controversé ou de l’enterrer, une bonne fois pour toutes.

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