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samedi 27 juillet 2024
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RDC. Dorcas Poba, un mannequin comme les autres

Dorcas Poba, née avec une main en moins, est devenue mannequin en 2017. Et elle s’en porte bien. La société congolaise aussi, même si les mentalités semblent évoluer encore timidement sur les personnes vivant avec handicap en République démocratique du Congo.

Dans une société où les personnes vivant avec handicap peinent à trouver leur place, Dorcas Poba a décidé de briser les codes et de tordre le cou aux idées reçues. La jeune femme s’est lancée dans une carrière de mannequin, qui n’est pas un long fleuve tranquille, alors que rien ne l’y prédestinait. 

« Je n’ai pas de main gauche. Cette malformation congénitale est l’un de mes traits distinctifs. J’ai toutefois connu une enfance normale. J’ai, en effet, grandi dans un environnement où j’étais une petite fille comme les autres ».

« Je n’ai pas de main gauche. Cette malformation congénitale est l’un de mes traits distinctifs. J’ai toutefois connu une enfance normale. J’ai, en effet, grandi dans un environnement où j’étais une petite fille comme les autres. Je jouais avec les enfants de mon âge et faisais à peu près tout ce que mes amies faisaient, sans me poser trop de questions. Et autant que je m’en souvienne, je n’avais pas eu à faire face à des regards hostiles ou à des remarques blessantes sur mon problème physique », explique-t-elle. 

Pas de discrimination à la maison

« Mes parents ne m’ont jamais discriminée. Ils se sont toujours battus pour que je vive comme tout le monde. D’ailleurs, ils n’ont pas souhaité m’inscrire dans une école réservée aux handicapés », précise Dorcas Poba.

Née à Kinshasa, en 1999, d’une famille de 7 enfants (d’un père technicien et d’une mère femme au foyer), Dorcas Poba avait longtemps assumé sa malformation congénitale jusqu’à la préadolescence.

« En grandissant, j’étais comme tout le monde ; mais vers l’âge de 12 ans, je commençais peu à peu à me sentir différente. Je traversais la période des transformations physiologiques, psychologiques et physiques que connaissent toutes les filles à un certain moment. Les garçons commençaient à me regarder d’une certaine manière, avec insistance. Je savais que je suscitais leur curiosité. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à faire des complexes. Je me disais que je n’étais pas tout à fait comme les jeunes filles de mon âge. Je ne voulais plus assumer mon handicap. Je faisais tout ce que je pouvais pour le dissimuler sous des tenues amples », se souvient-elle.

« Je ne voulais plus assumer mon handicap. Je faisais tout ce que je pouvais pour le dissimuler sous des tenues amples ».

La jeune fille a vécu pendant quelques années dans cet état d’esprit. Elle tenait à ce que « ça ne se sache pas ». En même temps, elle s’interrogeait sur ce qu’elle pouvait faire pour réaliser ses rêves et s’épanouir. Elle était indécise sur ses futurs choix professionnels.

L’appel qui change tout

En 2017, un ami de son frère l’appelle et lui demande de se rendre quelque part où des tournages étaient prévus pour la réalisation de spots publicitaires. Du haut de son mètre soixante-dix et traînant ses quelque soixante kilos avec optimisme, elle respire soudainement la confiance en soi. Elle se convainc du fait qu’elle dispose de tous les atouts pour taper dans l’œil des recruteurs et conclure un contrat. Elle s’en ouvre à sa mère qui se montre étonnamment perplexe. D’autres personnes de son entourage tiennent les mêmes propos dissuasifs que sa mère.

« Pourtant, au plus profond de moi-même, j’étais déterminée à y aller et à me débarrasser de mon complexe. Je voulais prouver à moi-même que je pouvais dévoiler mon bras sans me préoccuper des qu’en-dira-t-on », assure-t-elle.  

« Pourtant, au plus profond de moi-même, j’étais déterminée à y aller et à me débarrasser de mon complexe. Je voulais prouver à moi-même que je pouvais dévoiler mon bras sans me préoccuper des qu’en-dira-t-on »

Fondation Kontinental

Malgré tout, elle se rend sur les lieux où s’affairaient des équipes de tournage. Et s’entretient avec le responsable de la Fondation Kontinental qui recrutait dans le cadre d’une campagne dénommée Toza Fiers (nous sommes fiers, en langue lingala, la plus parlée dans la tentaculaire capitale congolaise). Cette campagne était destinée à mettre en lumière des personnes vivant avec handicap, dans les domaines de la publicité, du mannequinat, de la beauté, de la mode, etc.

L’initiative de la Fondation Kontinental était inédite dans un environnement où le regard porté sur les handicapés physiques est surtout compassionnel. Les personnes vivant avec handicap sont condamnées à se battre constamment et à faire deux fois plus d’efforts pour s’affirmer dans une société qui les laisse quelque peu au bord de la route, au point qu’elles sont faiblement représentées dans les hautes sphères du pouvoir. Des programmes ciblant spécifiquement cette catégorie de la population restent rares. Rien n’est prévu pour faciliter l’accès des handicapés physiques aux transports en commun. Les bus qui assurent le déplacement des populations dans la capitale sont dépourvus de rampes rétractables pour fauteuils roulants.

L’initiative de la Fondation Kontinental était inédite dans un environnement où le regard porté sur les handicapés physiques est surtout compassionnel.

Cette Fondation, qui veut terrasser les préjugés, œuvre plus largement en faveur d’une meilleure insertion des personnes vivant avec handicap dans les différents secteurs de la vie. La valorisation de cette population inclut également un volet « prise en charge psychologique ».

Défilé à l’hôtel Béatrice

Certes, des progrès ont été réalisés, mais force est de reconnaître que le chemin à parcourir reste encore long pour remiser les stéréotypes qui ont encore, malheureusement, de beaux jours devant eux. A compétences égales, les opportunités offertes aux handicapés sont sans commune mesure avec celles que les personnes valides peuvent saisir.

La Fondation Kontinental, qui avait déjà repéré une égérie publicitaire amputée d’une jambe, s’est intéressée à Dorcas Poba. Celle-ci a réalisé que cette égérie, qui était belle et fière d’elle-même, et qui est devenue son amie, ne se souciait pas du membre qu’elle avait en moins. Dorcas Poba a compris, au fil de leurs conversations, qu’on pouvait avoir un handicap physique, réaliser son rêve et vivre de sa passion, même dans un contexte aussi difficile que celui de la RDC.  

« Mon premier défilé s’est passé à l’hôtel Béatrice, devant des personnalités issues de divers horizons. J’ai cru comprendre que le public était divisé entre ceux qui étaient quelque peu étonnés de voir un mannequin atypique comme moi et ceux qui avaient l’air de prendre cela du bon côté », explique-t-elle.

Dorcas Poba a compris, au fil de leurs conversations, qu’on pouvait avoir un handicap physique, réaliser son rêve et vivre de sa passion, même dans un contexte aussi difficile que celui de la RDC.

Premier contrat de mannequin

Après avoir signé son premier contrat de mannequin, de nouvelles portes s’ouvrent devant elle. Elle est contactée par des agences qui organisent des castings. A Kinshasa, ces entreprises sont généralement dotées de faibles ressources financières. Et Dorcas Poba, qui apprend à connaître les côtés peu reluisants de cet univers impitoyable, sait aussi qu’il n’est pas réaliste de miser complètement sur celles-ci pour tenter de gagner sa vie.

« On gagne difficilement sa vie dans le mannequinat ici. Figurez-vous que je n’ai pas encore été payée pour certains défilés que j’ai faits il y a plusieurs mois déjà. J’arrive tout de même à gagner de l’argent dans la publicité. Cela me permet d’assurer les dépenses courantes », révèle-t-elle.

Si les portes de la célébrité tardent à s’ouvrir devant elle, elle ne passe cependant plus inaperçue dans la rue. Elle est parfois apostrophée par des curieux qui l’ont vue à la télévision ou dans des vidéos tournées lors de certains événements.

« Je n’aime pas vraiment la notoriété. Cela ne correspond pas à ma personnalité. Je n’aspire pas à une vie de star ».

« Cela me gêne un peu. Je n’aime pas vraiment la notoriété. Cela ne correspond pas à ma personnalité. Je n’aspire pas à une vie de star. Je ne sais pas comment je me sentirais si par hasard je commençais à faire la une des magazines populaires. Cela serait quand même bizarre », explique-t-elle.

Dorcas Poba a des modèles à l’étranger, même si à Kinshasa, elle n’a pas facilement accès aux magazines de mode consacrés à la vie des grandes stars (anciennes et actuelles) de la profession, comme Kate Moss, Naomi Campbell, Kendall Jenner, Cara Delevingne, etc. 

Clip avec le chanteur Singuila

La jeune femme est, par ailleurs, apparue dans un clip réalisé par Singuila. De son vrai nom Bedaya N’garo Singuila, ce chanteur de R&B français est né en France, d’un père originaire de Centrafrique et d’une mère du Congo-Brazzaville. Le tournage de ce clip a été effectué sur le fleuve Congo qui sépare Kinshasa de Brazzaville, communément appelées les deux capitales les plus rapprochées du monde.

La jeune femme est, par ailleurs, apparue dans un clip réalisé par Singuila. De son vrai nom Bedaya N’garo Singuila

« Je crois vraiment que je suis courageuse. Je suis allée pour le casting de ce clip dès que j’ai été approchée. J’ai un tempérament tel que j’entre dans certains milieux sans complexe. Le tournage s’est bien passé. Singuila est un homme gentil. Et j’ai été payée en tant que figurante, comme le prévoyait le contrat. C’était une belle expérience », affirme-t-elle.

Peintre à ses heures

Dorcas Poba, qui vit avec sa mère dans la commune de Bandalungwa, communément appelée Bandal, est peintre à ses heures. Elle a appris les techniques de la peinture à l’Académie des beaux arts où elle a étudié, sans pour autant aller jusqu’au bout de son cursus universitaire. Ses tableaux ne sont pas destinés à la vente. Pour l’instant. Elle peint pour elle-même, ses amies et son entourage. D’ordinaire, elle offre gracieusement ses œuvres. Néanmoins, elle en a exposé à l’Académie des beaux arts, la célèbre école dont sont issus nombre de grands noms de la peinture et de la sculpture en RDC.

Elle a appris les techniques de la peinture à l’Académie des beaux arts où elle a étudié, sans pour autant aller jusqu’au bout de son cursus universitaire.

En tant que portraitiste, la jeune femme veut « repousser ses limites ». Les portraitistes estiment généralement, à tort ou à raison, que le plus difficile, dans ce métier, est de se forger un style et de s’y accrocher. Elle semble exceller dans cet exercice, même s’il est, pour l’essentiel, une reproduction, aussi fidèle que possible, d’une photo.

La capitale congolaise compte nombre de jeunes artistes qui peinent à joindre les deux bouts. La concurrence est rude, mais beaucoup d’entre eux ne disposent pas d’une  boîte à outils bien garnie (brosses, pinceaux, rouleaux, grilles, bacs, peintures, etc.) et travaillent avec les moyens du bord.  « Il y a de nombreux jeunes artistes dans ce pays qui s’inspirent de ce que des valeurs sûres ont pu réaliser. Ils aspirent à devenir les Liyolo et les Lufwa de demain. Mais ils n’ont pas toujours le matériel qu’il faut pour exprimer pleinement leur potentiel », souligne-t-elle.  

Dorcas Poba peut, en outre, faire de la décoration intérieure, peindre l’intérieur d’une maison et donner ainsi plus de luminosité à ses pièces.

Le mariage peut attendre

Comme presque tous les jeunes de son âge, Dorcas Poba rêve de se marier un jour. Mais cela n’est pas inscrit en tête de sa liste des priorités.

« Je voudrais me concentrer sur ma vie avant de m’intéresser aux garçons. J’ai des objectifs à atteindre dans un premier temps. Le mariage ? Pourquoi pas ? Un jour peut-être », glisse-t-elle.

« Je voudrais me concentrer sur ma vie avant de m’intéresser aux garçons. J’ai des objectifs à atteindre dans un premier temps. Le mariage ? Pourquoi pas ? Un jour peut-être »

Malgré les vicissitudes de la vie, la jeune Kinoise a foi en l’avenir. Le week-end, elle va prier dans une Église de réveil. Où se voit-elle dans une dizaine d’années ? Hum… Elle n’a pas de réponse à cette question. L’histoire dira néanmoins lequel de ses multiples talents finira par s’imposer à tous les autres.

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