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jeudi 25 avril 2024
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RDC. Ujana, une des plus grandes académies de football du monde

Ujana, une des plus grandes académies de football de la planète, se trouve à l’extérieur du stade Tata Raphaël, qui accueillit, en 1974, à Kinshasa,  le « combat du siècle » entre deux légendes de la boxe, Mohamed Ali et George Foreman.  

« Vite, à droite… Lâche le ballon, à gauche » ! Des encadreurs aboient des ordres, alors que s’activent, autour d’eux, des enfants qui se rêvent en futur Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi, considérés actuellement comme deux des meilleurs joueurs du monde. Ces footballeurs en herbe s’exercent sous le regard attentif, si pas admiratif, de membres de famille ou d’amis, venus nombreux assister aux séances d’entraînement. C’est un jour ordinaire dans ce centre qui fait la fierté du pays et du continent tout entier.  

Avec, en moyenne, 1000 inscrits par mois, Ujana revendique le statut de « deuxième académie de la planète, en termes d’adhérents

Avec, en moyenne, 1000 inscrits par mois, Ujana revendique le statut de « deuxième académie de la planète, en termes d’adhérents, après Evergrande Football School », une école ouverte à Quingyuan, près de Canton (Guangzhou), par l’Etat chinois qui s’est lancé dans une ambitieuse politique de développement du football. La Chine, qui renforce considérablement les attributs de sa puissance et entend dépasser, dans quelques années, les Etats-Unis sur le terrain économique et militaire, mise aussi sur le sport le plus populaire de la planète.  Kinshasa, pour sa part, ne prétend pas se servir du ballon rond pour jouer dans la même catégorie que les grandes puissances. Le football, en RDC, demeure un élément fédérateur qui transcende les clivages politiques. C’est ce qui explique, en partie, l’intérêt de ce projet sportif.

Installations modernes

Les installations d’Ujana (terrains de football, salles de musculation, vestiaires, bureaux, parking, etc.) ont été aménagées dans les dépendances du stade, au bord de la rivière Kalamu, sur un site d’une superficie de 4,8 hectares, qui était autrefois une décharge publique. Le bail court jusqu’en 2029. Curieusement, les langues ne se délient pas au sujet des investissements de départ. Qui a apporté quoi et dans quel contexte ? Mystère !

Le programme Ujana a été lancé en 2000 et l’académie proprement dite en 2016.

Le programme Ujana a été lancé en 2000 et l’académie proprement dite en 2016. L’Athlétique Club Ujana, qui est une émanation du projet, participe au championnat de l’Entente provinciale de Kinshasa. Les potentiels futurs professionnels, qui rejoignent le centre de formation, dès l’âge de 6 ans, sont répartis par tranches d’âge : les moins de 7 ans, les moins de 9 ans, les moins de 11 ans, les moins de 13 ans, les moins de 15 ans, les moins de 17 ans, les espoirs (moins de 23 ans) et les seniors

Quel modèle économique ?

En tant qu’association à but non lucratif, sans subventions et sans sponsors, cette structure ne court pas après le profit immédiat.

En tant qu’association à but non lucratif, sans subventions et sans sponsors, cette structure ne court pas après le profit immédiat. Néanmoins, elle a besoin de fonds pour faire face aux charges d’exploitation, notamment le versement des salaires du personnel (encadreurs, agents de sécurité, etc.). C’est dans cette optique que l’académie a été mise au cœur du dispositif. Les jeunes y sont formés à la pratique du football, moyennant un paiement mensuel de 40 dollars. L’AC Ujana évalue leur niveau de formation pour tenter de placer les éléments les plus prometteurs dans différents championnats. Pour l’heure, la structure ne compte que sur sa propre imagination pour générer des financements, d’autant que la FIFA et la CAF se tiennent à l’écart de cette initiative et suivent de loin son évolution. Son modèle économique est appelé à se réinventer. « L‘académie nous permet de faire fonctionner le club. Pour autant, nous ne fermons pas la porte à l’arrivée d’éventuels associés. Un apport financier serait le bienvenu pour faire prospérer le projet », souligne Alain Tsipuk, le président d’Ujana.

Né à Milan, d’un père congolais et d’une mère italienne, ce passionné de foot et fan assumé du Milan AC a grandi à Kinshasa où il est arrivé à l’âge d’un an.

Né à Milan, d’un père congolais et d’une mère italienne, ce passionné de foot et fan assumé du Milan AC a grandi à Kinshasa où il est arrivé à l’âge d’un an. « Nous détectons des  talents pour nous mêmes. Nous repérons ainsi les jeunes qui auraient des qualités au-dessus de la moyenne. Quand on voit dans l’académie un jeune qui a du potentiel, par rapport à son âge, sa morphologie, ses qualités techniques intrinsèques, sa marge de progression, nous l’intégrons au club. Nous sommes un club formateur qui transfère des joueurs chaque année. Il arrive aussi que nous prêtions des joueurs », précise Alain Tsipuk.

Pépites et diamants bruts

Le centre accueille ainsi des pépites et des diamants bruts, issus des quartiers huppés ou des bas-fonds, qu’il s’efforce de polir.

Le centre accueille ainsi des pépites et des diamants bruts, issus des quartiers huppés ou des bas-fonds, qu’il s’efforce de polir. La qualité de la formation s’améliore au fur et à mesure. Les premières générations de produits Ujana étaient moins bien préparées que les générations actuelles. La mécanique a été rodée, ajustée et bien huilée au fil des années.

La compétition est rude. Et année après année, les plus doués survivent aux vagues d’éliminations qui rythment la vie de toutes le écoles de formation des footballeurs. Des athlètes sortis de cette académie ont signé à V.Club, le club le plus populaire de Kinshasa, une mégalopole de quelque 12 millions d’âmes. Quelques valeurs sûres du football congolais ont été formées sur la berge droite de Kalamu : Ernest Luzolo (ancien de V. club), Chadrak Muzungu (Egypte), Mercey Ngimbi (Maniema Union), etc. Dans presque toutes les 26 provinces, évoluent des joueurs qui sont passés par la case Ujana. Le plus connu est sans aucun doute Lema Mabidi, l’attaquant du Raja de Casablanca, qui avait, lui aussi, porté le maillot de V.Club avant de signer au CS Sfaxien (Tunisie). 

Les transferts portent sur de faibles montants, sans commune mesure avec ceux en vigueur sous d’autres cieux, hors du continent. Pour 500 dollars, 1000 dollars ou 2000 dollars, l’opération pourrait être conclue. Les clubs n’ont pas de grands moyens financiers. Quelle équipe pourrait débourser 10 000 dollars pour s’attacher les services d’un joueur de football ? Les priorités sont ailleurs dans un pays où le football, à l’instar d’autres sports, tarde à se professionnaliser.

Les parents jouent le jeu

Les parents nourrissent l’espoir inavoué – mais souvent déçu – qu’à travers Ujana, leurs enfants pourront un jour évoluer dans un grand club et gagner bien leur vie ou porter le maillot de l’équipe nationale, les Léopards, autour de laquelle se rassemblent les Congolais de tous les horizons. Aussi font-ils rarement obstacle à l’évolution de la « carrière » fragile de leurs petits protégés. En tout cas, ils sont étroitement associés aux choix que les responsables de l’académie peuvent opérer en faveur des jeunes athlètes.    

Dans l’académie, les séances d’entraînement sont programmées deux fois par semaine ; dans le club, à partir de 13 ans, la cadence est plus soutenue : quatre fois par semaine.  Ces séances s’effectuent bien souvent en présence des parents ou de leurs représentants.

Apprendre un métier

Cette activité déteint sur le parcours scolaire de l’enfant. Si un gamin talentueux est repéré à l’âge de 13 ans, les encadreurs sollicitent l’avis de ses tuteurs sur son éventuelle intégration au club. Sachant que les études pourraient être sacrifiées sur l’autel d’une hypothétique carrière de footballeur, certains d’entre eux mettent leur veto, même si le club a pignon sur rue.  

L’accès à une enviable vie de footballeur avec, à la clé, un statut de star et la dolce vita en dehors des stades, est le rêve des millions de garçons partout dans le monde. Mais y arriver ressemble à une loterie. Le footballeur en herbe peut rater à la fois ses études et sa carrière. Le parcours du sportif est parsemé d’aléas. Pleinement conscients de ces incertitudes, les responsables d’Ujana prévoient à terme d’ouvrir, parallèlement à l’académie, un centre de formation professionnelle où les jeunes apprendront des métiers qui ne seraient plus dispensés dans les structures spécialisées. La réflexion porte sur des filières telles que la menuiserie et la maçonnerie.

Pleinement conscients de ces incertitudes, les responsables d’Ujana prévoient à terme d’ouvrir, parallèlement à l’académie, un centre de formation professionnelle

Tout n’est pas rose

Ujana ne s’occupe pas de la scolarité des inscrits. Les parents doivent ainsi s’arranger pour envoyer leurs enfants à l’école, car le football est considéré comme une activité extrascolaire. L’académie ne se substitue pas aux parents qui ne sont pas tenus de lui déléguer leurs responsabilités premières. « En gros, nous prenons un gamin de 6 ans par la main pour faire de lui un athlète complet à l’âge de 18 ans. Il faut attendre 12 ans. En même temps, Ujana ne peut pas s’occuper de tout, y compris la scolarité des enfants. En réalité, personne ne veut effectuer notre travail, même les grands clubs comme le TP Mazembe et l’AS V.Club rechignent. Le TP Mazembe achète plus de joueurs étrangers qu’il n’en génère dans son centre de formation. Cela signifie qu’il y a quelque chose qui cloche », déplore Alain Tsipuk.

Le président d’Ujana se plaint également de l’absence d’une « vraie politique sportive » dans le pays.

Le président d’Ujana se plaint également de l’absence d’une « vraie politique sportive » dans le pays. Il estime que la Fédération ne réfléchit pas suffisamment au développement du football des jeunes, du football féminin, de l’arbitrage, etc. Il préconise la mise en œuvre, à l’échelle nationale, d’une politique ciblée sur l’amélioration ou la construction d’infrastructures sportives.

Autre ombre au tableau : aucune fille n’est inscrite dans l’académie, dans un pays où le football féminin est peu développé et souffre encore d’un regard machiste. La gangue des préjugés n’a pas encore été brisée. Le centre de formation a bien tenté de constituer une équipe féminine, mais l’expérience a fait long feu, malgré l’engouement du public.

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