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samedi 27 juillet 2024
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RDC. L’université au coeur de la recherche sur les batteries (1)

La République démocratique du Congo (RDC) ambitionne de développer une chaîne de valeur régionale autour de l’industrie des batteries électriques et un marché de véhicules électriques et d’énergies propres. Tel fut le message lancé lors du DRC-Africa Business Forum qui s’est tenu fin novembre 2021 à Kinshasa. Sur ce plan, la RDC a des atouts. Elle possède la majorité des minerais nécessaires à cette industrie. Elle a des ressources humaines, des universités et des chercheurs qu’il faut associer au projet.

Comment évoluent les technologies des batteries ? Quels sont les matériaux qui les composent ? À quelles conditions cette chaîne de valeur peut-elle se mettre en place en RDC ? Quel est le rôle de la recherche et de la formation ? Quels risques si ces domaines sont sous-estimés ?

Jean-Marie Kanda Ntumba*, doyen de la Faculté Polytechnique de l’Université de Lubumbashi, répond à toutes ces questions et à bien d’autres.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Makanisi : Professeur Jean-Marie Kanda, pouvez-vous présenter votre Faculté ?

Jean-Marie Kanda : Implantée dans la province minière du Haut-Katanga, la Faculté Polytechnique de l’Université de Lubumbashi (Polytech-Unilu) a été créée en 1960. Elle organisait les enseignements conduisant aux diplômes d’Ingénieur civil dans le domaine des mines, de la chimie industrielle, de la métallurgie et de l’électricité. En 1971, la réforme de l’enseignement universitaire l’a amputée du département d’électricité qui a été transféré à l’Université de Kinshasa (Unikin). En 2000, elle a ouvert le département d’électromécanique, avec la collaboration des universités francophones de Belgique et de la Faculté Polytechnique de l’Unikin.

Faculté Polytechnique de l’Université de Lubumbashi

Elle compte 16 laboratoires qui lui permettent d’assurer les travaux pratiques des étudiants. S’appuyant sur le Laboratoire d’Électrochimie Appliquée (LEA) ainsi que ceux d’Analyse environnementale (LAE), de Chimie Analytique (LCA), de Métallographie et caractérisation des matériaux (MCM), de préparation des matières (PPM) et de Topographie, la Polytech-Unilu intervient sur le plan de la formation, de la recherche et de l’innovation pour accompagner principalement les entreprises du secteur minier, les services de l’État et les ONG.

S’appuyant sur ses laboratoires, la Polytech-Unilu intervient sur le plan de la formation, de la recherche et de l’innovation pour accompagner principalement les entreprises du secteur minier, les services de l’État et les ONG.

Makanisi : En matière de préservation de l’environnement et du secteur minier, quelle est la contribution de la Polytech-Unilu ?

J-M. K. : Auprès des industriels miniers, la Polytech-Unilu intervient dans l’analyse de l’impact sur l’environnement de l’activité minière et de la transformation, via notamment le LAE qui est certifiée ISO 17025. Elle agit également dans la formation du personnel qualifié dont les miniers ont besoin.

Makanisi : Un DRC-Africa Business Forum s’est tenu fin novembre à Kinshasa auquel avez participé. De quoi s’agissait-il précisément ?

J-M. K. : Le principal objectif du RDC-Afrique Business Forum 2021 sur « Développer une chaîne de valeur régionale autour de l’industrie des batteries électriques et un marché des véhicules électriques et des énergies propres » était de rassembler des parties prenantes de haut niveau en vue de dialoguer, d’identifier les opportunités et de faciliter les investissements pour accroître la part de l’Afrique dans la chaîne de valeur des batteries, des véhicules électriques et des énergies renouvelables.

Makanisi : Qu’a représenté ce forum pour Polytech-Unilu ?

J-M. K. : Ce forum a été une opportunité pour l’université congolaise en général et la Polytech-Unilu en particulier de réaffirmer ses liens avec sa ville, sa province, son pays et les industriels opérant dans son environnement, afin d’être le moteur de leur désenclavement et de leur redéploiement.  Il nous a permis également de remplir notre mission de faculté citoyenne, critique et solidaire, tournée vers le service à la communauté, prenant en compte les aspirations légitimes de ses étudiants et des citoyens et travaillant à sa manière à l’élaboration d’un monde plus juste et plus éclairé.

Jean Marie Kanda, doyen de la Polytech-Unilu, au DRC-Africa Forum fin novembre 2021

Makanisi : Lors du Forum, il a été question de développer une chaîne de valeur régionale autour de l’industrie des batteries électriques. À quels stades, la RDC peut-elle intervenir ?

J-M. K. : La RDC n’est pas encore au stade de fabriquer des batteries ni de faire de l’assemblage de composantes. À ce jour, elle ne se situe qu’aux premiers maillons de la chaine, une position à faible rentabilité. Mais elle possède des atouts pour que la fabrication des batteries se fasse sur son sol.  Son industrie minière exploite les minerais contenant les métaux essentiels et nécessaires à la fabrication des composantes d’une batterie pour véhicule électrique. La RDC a des ressources humaines, des universités et des chercheurs et elle met en place des zones économiques spéciales, etc.

La RDC n’est pas encore au stade de fabriquer des batteries ni de faire de l’assemblage de composantes. Mais elle possède des atouts pour que la fabrication des batteries se fasse sur son sol. 

Makanisi : Dans ce projet, la RDC abritera-t-elle simplement des usines de sociétés étrangères ou pourra-t-elle aussi apporter sa pierre en matière de batteries ?

J-M.K. : La RDC offrira son espace à des investisseurs privés étrangers qui viendront avec leurs capitaux créer des usines de fabrication de batteries ou de tout autre dispositif électro-chimique. On leur assurera la disponibilité de la matière première (cobalt, lithium, nickel, manganèse) que sera transformée sur place même si certains intrants devront être importés. Mais la RDC a aussi le choix de soutenir les entrepreneurs congolais qui pourront se montrer à la hauteur des ambitions et favoriser ainsi la mise en place d’une industrie des batteries à capitaux congolais. Les montages financiers devraient offrir une place de choix aux investisseurs africains et congolais.

La RDC a aussi le choix de soutenir les entrepreneurs congolais qui pourront se montrer à la hauteur des ambitions et favoriser ainsi la mise en place d’une industrie des batteries à capitaux congolais.

Mais nous devons au minimum former une main d’œuvre qualifiée, pour éviter l’importation de travailleurs étrangers dont le salaire perçu en RDC sera dépensé à l’extérieur. Quelle que soit l’option, la formation et la recherche demeurent. Elles doivent être assurées en RDC par la Polytech-Unilu et bien d’autres facultés du pays qui seront intéressées par ce domaine.

Le Prof Freddy Bokwala s’entretenant avec Louis Watum, actuel président de la Chambre des mines, au Laboratoire de mécanique des roches de la Polytech-Unilu.

Makanisi : S’il s’agit seulement d’abriter des usines étrangères, la valeur ajoutée pour la RDC sera limitée aux emplois et aux recettes fiscales mais pas en termes de savoir-faire…

J-M. K. :  Exactement. Dans ce cas, le savoir-faire ne serait pas directement transmis. Mais on pourrait exiger du transfert de technologie et de connaissances dans le cas d’une joint-venture ou d’une entreprise congolaise qui s’associerait avec un investisseur étranger. Cela reste une voie. Un plus grand rôle de la RDC peut être envisagé dans la production des piles rechargeables utilisées dans divers dispositifs électroniques tels que téléphones et tubes pour éclairage dont les usines n’exigent pas un investissement aussi important que celui des batteries des véhicules.

Makanisi : À quelles conditions pourrait-on parler de batteries made in DRC ?

J-M. K. : On pourrait parler de batteries made in DRC si toute la chaîne de production, c’est-à-dire la production des éléments constitutifs des batteries et l’assemblage, est réalisée en RDC, même si cela nécessite d’importer ce qui peut nous manquer sur place. Mais s’il s’agit de produire et d’exporter simplement le cobalt, le lithium, le manganèse sans valeur ajoutée, l’apport de la RDC sera limité et insignifiant.

On pourrait parler de batteries made in DRC si toute la chaîne de production, c’est-à-dire la production des éléments constitutifs des batteries et l’assemblage, est réalisée en RDC.

Makanisi : On parle de composants. De quoi est composée une batterie lithium ?

J-M. K. : Les composants sont les éléments matériels dont la batterie est constituée. On y trouve deux collecteurs de courant en contact avec deux électrodes qui sont l’anode et la cathode entre lesquelles sont placés un séparateur et un électrolyte. Le séparateur est une membrane électriquement isolante qui empêche un court-circuit qui résulterait du contact direct entre l’anode et la cathode. Les collecteurs, généralement en cuivre et aluminium, sont reliés aux bornes extérieures de la pile ou batterie que tout le monde peut voir, qui sont marquées + et -.

L’électrolyte est généralement constitué d’un sel à base de lithium (exemple : hexafluorophosphate de lithium et perchlorate de lithium) dissout dans un solvent organique tel que le carbonate d’éthylène. Les cathodes des batteries de voitures électriques sont en grande partie fabriquées à partir du lithium ainsi que du nickel, du manganèse et du cobalt, pour le cathodes dites NMC et du lithium, du nickel, du cobalt et de l’aluminium pour les cathodes NCA de Tesla. L’anode est souvent faite en graphite ou en titanate de lithium (LTO).

Les précurseurs sont des matériaux qui servent à fabriquer les composants des batteries. Par exemple, les 3 précurseurs de la cathode NCA peuvent être les nitrates de lithium, nickel, cobalt et d’aluminium. Il est clair que les métaux stratégiques de la RDC, comme le lithium et le cobalt, représentent un maillon non négligeable dans la chaîne de valeur des batteries électriques pour voitures mais aussi pour d’autres dispositifs ou appareillages électroniques.    

Il est clair que les métaux stratégiques de la RDC, comme le lithium et le cobalt, représentent un maillon non négligeable dans la chaîne de valeur des batteries électriques pour voitures mais aussi pour d’autres dispositifs ou appareillages électroniques

Makanisi : Dans les nouvelles générations de batteries NMC,  la part de cobalt a diminué. Quelle conséquence pour la RDC ?

J-M. K.  Auparavant, on mettait jusqu’à 50 % de la production mondiale de cobalt dans les batteries. Dans les laboratoires de recherche, la question s’est posée de diminuer cette part. Pour deux raisons. Parce que les raffineurs ou les fabricants de batteries et les grands groupes n’aiment généralement pas être dépendants d’un seul pays, ici la RDC, et pour des impératifs financiers liés au coût élevé du cobalt. La recherche s’est donc penchée sur d’autres métaux remplaçant le cobalt dans la formulation des cathodes, qui pouvaient conférer aux batteries les mêmes performances pour le stockage de l’énergie.

Le lithium est encore utilisé dans toutes les récentes générations de batteries pour véhicules. Si d’autres minéraux remplacent le cobalt, ils se trouvent aussi dans notre pays. Tesla a annoncé en octobre 2021 sa décision de se tourner vers les cathodes LFP (Lithium, Fer, Phosphate), s’écartant des cathodes NCA basées sur le cobalt, sans totalement abandonner ces dernières.

Lire la suite de l’entretien dans le prochain article : RDC. L’université, au coeur de la recherche sur les batteries (2)

* Jean Marie KANDA NTUMBA

Prof. Ir. Jean Marie Kanda,
doyen de Polytech-Unilu

Jean Marie Kanda Ntumba est ingénieur civil en chimie Industrielle de la faculté Polytechnique de l’université de Lubumbashi. Assistant d’enseignement au département de chimie, il a fait ses études doctorales à l’université de Liège en Belgique, à la faculté des sciences appliquées, où il a défendu publiquement une thèse de doctorat (génie minéral et environnement) en janvier 2013. Sa thèse qui porte sur l’étude de la flottabilité de la malachite à l’aide de l’amylxanthate de potassium et d’un acide gras. (Cas d’étude: Flottation du minerai oxydé de Kamfundwa au Katanga en RDC), lui a valu le grade de Docteur en sciences de l’Ingénieur.

Professeur au département de Chimie Industrielle de la Faculté Polytechnique de l’Unilu, Jean Marie Kanda Ntumba est, depuis décembre 2020, doyen de cette faculté.

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