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samedi 20 avril 2024
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RDC. Pr Ekwalanga: «Il faut sublimer l’intelligence scientifique médicale africaine»

Soumis à des essais cliniques très concluants, le protocole BELA-UNILU 20, conçu par le professeur Michel Balaka-Ekwalanga et son équipe de l’Université de Lubumbashi (Unilu), aurait largement fait la preuve de son efficacité contre le covid-19. Il aura néanmoins fallu près de six mois pour que soit donné le feu vert aux essais cliniques et pour qu’il soit validé. Fin novembre dernier, il ne restait plus qu’à appliquer ses bienfaits à l’ensemble des malades du pays. Mais les fonds pour financer le traitement tardent à venir, bloquant le lancement du protocole à l’échelle nationale. Au delà de ces lenteurs qu’il déplore, c’est la question du manque de reconnaissance de la recherche scientifique africaine et de ses chercheurs qui interpelle le Pr. Ekwalanga.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu pour makanisi.

Makanisi : Vous avez présenté votre protocole BELA-Unilu 20 à Lubumbashi lors d’une conférence de presse. Qu’en est-il aujourd’hui de sa mise en œuvre ?

Michel Balaka-Ekwalanga : Le protocole BELA-Unilu 20 a été présenté à Lubumbashi en février 2020, lors d’une conférence de presse tenue à l’Unilu. Je suis allé ensuite le présenter, à Kinshasa, au ministre de la Santé, à celui de l’Enseignement supérieur, à la Commission d’éthique, à la Commission scientifique et au Comité Multisectoriel de la riposte à la pandémie du COVID-19 en RDC. Toutes ces autorités nous ont autorisés à faire des essais cliniques. Mais comme il n’y avait pas encore de malades dans le pays, elles m’ont proposé de revenir à Kinshasa lorsque des cas se présenteraient. Je suis donc retourné à Lubumbashi.

Toutes ces autorités nous ont autorisés à faire des essais cliniques.

Quand avez-vous pu commencer les essais cliniques ?

M.B.E : En avril 2020, la RDC enregistrant ses premiers cas de covid-19, je suis retourné à Kinshasa avec mon équipe. Mais nous avons dû attendre que le Comité de riposte nous désigne des centres pour commencer nos essais cliniques. Ce n’est qu’en octobre que nous avons enfin pu les faire.

Tous les malades que nous avons soignés ont été testés positifs (test PCR) au covid-19 par l’Institut national de recherche biomédicale (INRB).

Quels étaient les profils des malades ? Quels ont été les résultats ?

M.B.E : Tous les malades que nous avons soignés ont été testés positifs (test PCR) au covid-19 par l’Institut national de recherche biomédicale (INRB). Nous avions deux sites pour traiter les 120 malades que nous a envoyés l’Institut : l’un à Kinshasa, soit une centaine de cas, et l’autre à Kolwezi, qui compte des appareils PCR. Parmi les malades, il y avait des asymptomatiques. Les autres cas, les plus nombreux, présentaient toute la panoplie des signes cliniques de la maladie : toux, fièvre, courbature, problème respiratoire dont deux cas de détresse respiratoire aigüe. Certains étaient en échec thérapeutique avec le protocole chloroquine. Nous les avons tous soignés pendant cinq jours. À la fin du traitement, des tests de contrôle ont été réalisés à l’INRB. Tous les malades étaient guéris. Fin novembre, nous avons fait une restitution de nos travaux à l’Hôtel du Fleuve, à Kinshasa, en présence notamment des ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur.

À la fin du traitement, des tests de contrôle ont été réalisés à l’INRB. Tous les malades étaient guéris.

Quelle est l’originalité du protocole Covid-19 ?

M.B.E : Notre approche consiste non pas à s’attaquer au virus mais à booster le système immunitaire pour que celui-ci soit capable d’éliminer le virus. Quand il est attaqué par un virus, notre corps produit des interférons. Ce sont des molécules antivirales, qui tuent le virus.

Notre approche consiste à booster le système immunitaire pour que celui-ci soit capable d’éliminer le virus.

C’est pourquoi nous avons mis dans notre protocole des interférons de type 1 que nous avons  couplés avec de la chloroquine et des antioxydants. La chloroquine que nous utilisons est destinée à orienter la réponse immunitaire dans le sens de l’immunité à médiation cellulaire. Les antioxydants, qui sont composés de dix vitamines, servent à empêcher le stress lié à la maladie. Notre protocole a une double approche : il est à la fois préventif et curatif. Selon l’approche, on donne des interférons alpha ou gamma. Les interférons gamma stimulent les cellules cytotoxiques dont le rôle est de tuer le virus.

Où, à Lubumbashi, où vous habitez et exercez, ce traitement est-il mis en œuvre ?

M.B.E : Nous n’avons pas encore pu le mettre en œuvre à Lubumbashi,faute d’intrants. Nous avions des intrants, qui ont été financés par des dons extérieurs, pour soigner environ 200 malades. Nous avons laissé ce qui restait à Kinshasa. À Lubumbashi, nous ne pouvons donc pas soigner les malades.

Pourquoi ? N’y-a-t-il pas des fonds mis à disposition des protocoles ?  

M.B.E : Lors de la restitution de nos travaux à l’hôtel du Fleuve en novembre dernier, des autorités du pays présentes nous ont remis un brevet d’invention et un diplôme de mérite. Elles nous ont également promis des financements pour acheter les intrants.Mais, à ce jour, nous n’avons encore rien reçu.

Combien coûte un traitement pour un malade ? Où sont fabriqués les intrants ?

M.B.E : Pour un malade, le traitement, qui dure cinq jours, revient à 100 dollars. Pour d’importantes quantités, ce coût pourrait être inférieur. Les antioxydants, qui sont très efficaces, sont fabriqués localement à Lubumbashi. L’hydroxychloroquine est également disponible en RDC. Seuls les interférons doivent être importés.

Pour un malade, le traitement, qui dure cinq jours, revient à 100 dollars.

Le blocage actuel vient donc de la non-disponibilité des  moyens financiers ?

M.B.E : Selon nos informations, les fonds destinés à financer les différents protocoles devaient provenir du Fonds de promotion industriel (FPI), qui devait disposer d’une ligne de crédit de 1,9 millions de dollars. Je ne sais pas ce qu’il en est des autres protocoles, mais je peux affirmer que nous n’avons encore rien reçu pour notre protocole. 

De nombreux pays dans le monde sont touchés par une deuxième vague de covid-19, voire une nouvelle souche de coronavirus. Est-ce le cas en RDC ?  

M.B.E : Le professeur Jean-Jaques Muyembe, à qui je fais confiance, signale une augmentation des malades et des décès. Les hôpitaux sont surchargés. La RDC n’échappe donc pas à la tendance.

Il ne faut pas qu’on prenne ces mutations à la légère en Afrique où l’on vit dans un environnement mutagène : malnutrition, pollution en ville, infections multiples.  

En matière de virus, il faut savoir que les mutants ont en général quelque chose de plus que leurs parents. En témoignent les variants du Covid-19, identifiés dans certains pays, qui sont plus contagieux que les précédents. Pour le moment, nous ne savons pas si cette mutation s’accompagne d’une plus forte mortalité. Il ne faut pas qu’on prenne ces mutations à la légère en Afrique où l’on vit dans un environnement mutagène : malnutrition, pollution en ville, infections multiples.  

Nul n’est prophète dans son pays, dit l’adage. Comment faire pour que la recherche scientifique médicale soit davantage prise en compte par les pouvoirs publics africains ?

M.B.E : Il y a une forme de complexe vis-à-vis de l’extérieur qui devrait être résolue par les plus hautes autorités de nos pays. Les protocoles conçus par les nationaux, qui ont fait leurs preuves, doivent faire l’objet d’une reconnaissance officielle et être intégrés dans la panoplie des protocoles mondiaux. Il faut que l’intelligence de nos chercheurs soit mise en avant. Au niveau africain, les chercheurs doivent se regrouper et tisser un vaste réseau de compétences.

Il faut que l’intelligence de nos chercheurs soit mise en avant. Au niveau africain, les chercheurs doivent se regrouper et tisser un vaste réseau de compétences.

L’Afrique centrale, qui est une grande région forestière, sera le siège de maladies émergentes. Pourquoi ne pas créer un institut de recherche sous-régional sur ces maladies émergentes et la mise au point de réponses immunitaires ? Il faut sublimer l’intelligence scientifique médicale africaine et croire en nos propres forces. Si nous ne faisons rien, qu’arrivera-t-il si des pandémies encore plus dangereuses nous atteignent ? Je ne le souhaite pas, mais on ne sait jamais…

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