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mardi 30 avril 2024
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RDC : la « reine » Tshala Muana s’est éteinte

La RDC pleure sa « reine » morte le samedi 10 décembre 2022. La chanteuse Tshala Muana, dont la notoriété dépasse les frontières nationales, a laissé une riche discographie. Celle qui puisait dans la richesse du folklore luba, dans le centre du pays, avait également embrassé la politique.

Tshala Muana, de son vrai nom Élisabeth Muidikayi Tshala, ne chantera plus : son séjour sur terre s’est achevé le samedi 10 décembre 2022, dans un hôpital de Kinshasa. La nouvelle de la mort, à l’âge de 64 ans, de cette chanteuse et productrice qui s’est muée, sur le tard, en femme politique, a fait l’effet d’une bombe.

Surnommée affectueusement « la Mamu Nationale » (mère de la nation) et « la reine du mutuashi » et née en 1958, à Élisabethville (actuelle ville de Lubumbashi), dans le sud-est du pays, elle fait ses débuts sur scène, en tant que danseuse, dans Tcheke Tcheke Love de M’pongo Love, une autre icône de la musique congolaise de l’époque, appelée communément « la voix la plus limpide du Zaïre ». Elle rejoint ensuite les Redoutables, le groupe de la célèbre chanteuse Abeti Masikini.

Battante et persévérante, elle finit par bénéficier d’une grande notoriété, non seulement dans son pays natal, mais aussi à l’étranger, notamment en Afrique de l’Ouest, où sa musique est appréciée.

De danseuse à chanteuse

Le rêve secret de Tshala Muana est toutefois d’accéder au statut de chanteuse. Elle se voit déjà en haut de l’affiche. Elle apprend peu à peu à se tenir devant un micro et à poser sa voix. Elle s’essaie ainsi au chant, avec l’aide de certains encadreurs qui l’encouragent à aller de l’avant. Lorsqu’elle se sent enfin prête, Tshala Muana se lance dans une carrière solo.

Elle enregistre « Amina » en 1980. De nombreux spécialistes saluent cette œuvre, mais le succès n’est pas immédiat. Elle ne se décourage pas pour autant. Battante et persévérante, elle finit par bénéficier d’une grande notoriété, non seulement dans son pays natal, mais aussi à l’étranger, notamment en Afrique de l’Ouest, où sa musique est appréciée. Des chefs d’État l’invitent à se produire lors de manifestations officielles. Les mélomanes réservent un accueil enthousiaste à cette chanteuse dotée d’une voix puissante et connue également pour ses déhanchements sur scène.

Ses textes sont principalement écrits en tshiluba, la langue du peuple luba, l’une des quatre langues nationales

Elle s’établit à une certaine époque à Abidjan où le public l’adopte sans rechigner. Elle effectue des tournées sur le continent. Elle puise son inspiration dans le Grand Kasaï, dans le centre de la RDC, qui a vu naître ses parents issus de la communauté luba.

Elle exploite ainsi des rythmes de ce terroir auxquels elle apporte une touche de modernité. Ses textes sont principalement écrits en tshiluba, la langue du peuple luba, l’une des quatre langues dites nationales de la RDC.

En tant qu’artiste, elle a une impressionnante discographie, qui inclut des tubes comme « Tshibola », « Malu », « Nkumba », « Chéri Mamadou », etc. En outre, elle fait éclore de nouveaux talents qui bénéficient de son encadrement, parmi lesquels la chanteuse MJ 30.

Femme politique

Tshala Muana, qui n’a jamais fait mystère de son admiration pour l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, entre dans l’arène politique après la chute du maréchal Mobutu en mai 1997. Elle regagne le pays après avoir vécu pendant plusieurs années à Paris. Elle met en place le Regroupement des femmes congolaises, une association qui milite notamment pour que la femme congolaise occupe une place plus importante dans la vie politique.

Mobutu Sese Seko, qui a régné sans partage pendant 32 ans, est renversé lors d’une guerre-éclair, par un mouvement rebelle soutenu par des pays de la région, notamment le Rwanda et l’Ouganda. Kigali et Kampala envoient d’ailleurs des soldats pour grossir les rangs de cette rébellion hétéroclite composée aussi d’enfants recrutés par milliers dans des localités reculées et sortis brutalement du système scolaire, sans qualifications.

En mai 1997, Laurent-Désiré Kabila, le leader des rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), prend les commandes du Zaïre qu’il rebaptise République démocratique du Congo, le nom que le pays avait porté entre 1964 et 1971.

La chanteuse met sa carrière musicale entre parenthèses et se bat sur tous les fronts pour défendre le parti politique qui lui a ouvert les portes

Si les élections n’ont pas été organisées durant son « règne » éphémère, il a eu néanmoins le temps de procéder à certaines nominations. Le Parlement, qui siège à Lubumbashi, est ainsi constitué de députés nommés, parmi lesquels une certaine Tshala Muana devenue entre-temps membre de l’AFDL et une proche du président Laurent-Désiré Kabila.

L’activisme politique de Tshala Muana suscite diverses réactions. Certains membres de son « fan club » se détournent d’elle en raison de ses prises de position qui font parfois écarquiller les yeux. La chanteuse met sa carrière musicale entre parenthèses et se bat sur tous les fronts pour défendre le parti politique qui lui a ouvert les portes. Laurent-Désiré Kabila est assassiné en janvier 2001 au palais de marbre, sur les hauteurs de Binza, un quartier chic de l’ouest de la tentaculaire capitale congolaise. La chanteuse envisage-t-elle de quitter la politique pour revenir à ses premières amours ? À cette question, la réponse ne tardera pas à être apportée.  

Chantre du PPRD

Joseph Kabila succède à son père, Laurent-Désiré. Le nouveau président, qui n’a que 29 ans, est un bleu en politique. Le fait qu’il soit porté à la tête de l’État par des collaborateurs de Laurent-Désiré Kabila surprend de nombreux Congolais. En 2002, Joseph Kabila se dote d’une formation politique, le Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD), qui s’implante un peu partout dans le pays et qui, disposant d’énormes moyens financiers, écrase la concurrence sur la scène politique nationale. Tshala Muana s’embarque dans cette aventure et devient un fervent défenseur des nouvelles autorités auxquelles elle attribue toutes les qualités. Elle est par la suite portée à la présidence de la Ligue des femmes du PPRD.

À l’approche des élections, elle consacre une chanson à la gloire de Joseph Kabila qu’elle souhaite voir se maintenir à la tête de l’État. Mais Joseph Kabila est contraint de laisser le pouvoir en 2019, après deux mandats. Les élections présidentielle et législatives ont été décalées de deux ans, permettant ainsi à Joseph Kabila de jouer les prolongations. La Constitution ne l’autorise pas à briguer un autre mandat. Les élections qui se tiennent dans un climat de tension, en décembre 2018, se soldent, pour ce qui est de la présidentielle, par la victoire de Félix Tshisekedi, sur fond de contestation. Son investiture a lieu en janvier 2019. Il s’agit d’un événement historique : c’est la première passation des pouvoirs pacifique dans le pays depuis l’indépendance.

Tshisekedi en ligne de mire

Félix Tshisekedi s’installe au pouvoir dans une configuration parlementaire qui lui est défavorable. Les deux chambres du Parlement (le Sénat et l’Assemblée nationale) sont dominées par les partisans de Joseph Kabila, car le PPRD et ses alliés sont les grands vainqueurs des législatives. Cette situation réduit considérablement la marge de manœuvre de son successeur. La volonté exprimée par Félix Tshisekedi de réformer la RDC en profondeur se heurte aux résistances des élus kabilistes qui semblent s’être passé le mot pour faire échec aux initiatives du nouveau président. Par le jeu des alliances, Tshisekedi réussit néanmoins à inverser le rapport de force et à dynamiter la majorité parlementaire en décembre 2020. C’est ainsi que les députés et les sénateurs de l’Union sacrée, une coalition de partisans de Félix Tshisekedi, mettent en minorité leurs collègues restés fidèles à Joseph Kabila au sein du Front commun pour le Congo (FCC). Les rangs des partisans de l’ancien chef de l’État, qui s’est retiré dans sa riche ferme de Kingakati, dans l’est de Kinshasa, se clairsèment progressivement.

Tshala Muana semble peu apprécier la tournure que prennent les événements. L’emprise que le PPRD exerçait sur le pouvoir s’est desserré.

Tshala Muana semble peu apprécier la tournure que prennent les événements. L’emprise que le PPRD exerçait sur le pouvoir s’est desserré. Les piliers du système Kabila perdent peu à peu de leur influence, alors que Félix Tshisekedi renforce sa mainmise sur les institutions. Le bras de fer engagé par le cinquième président du pays semble tourner à son avantage.

La chanteuse sort alors une chanson intitulée « Ingratitude ». Elle y raconte l’histoire d’un homme qui a tout reçu d’un autre et qui, malgré tout, choisit de tourner le dos à son bienfaiteur. Certains y voient une attaque à peine voilée contre Félix Tshisekedi. La chanteuse se retrouve en garde à vue et soumise à un interrogatoire serré. Ce qui suscite une vague d’indignation dans le pays et à l’étranger. Libérée après sa garde à vue, elle jure, la main sur le cœur, que cette chanson considérée comme allusive ne vise pas le chef de l’État. Sans pour autant renier ses convictions kabilistes, elle a tout même tressé des couronnes à Félix Tshisekedi, par le biais d’une œuvre qu’elle lui a dédiée.  

Des hommages affluent pour honorer la mémoire de celle qui a fait rayonner la langue et la danse lubas sur la scène internationale et qui a porté haut l’étendard de la musique congolais

Tshala Muana apparaissait régulièrement en public. Elle n’hésitait pas à se rendre aux obsèques de personnalités célèbres, notamment de l’univers musical. Elle était réputée compatissante, ouverte et dotée d’un franc-parler qui pouvait parfois déranger.

Après l’annonce de sa mort, de nombreux Congolais pleurent d’abord l’artiste qui semble avoir éclipsé la femme politique. Des hommages affluent pour honorer la mémoire de celle qui a fait rayonner la langue et la danse lubas sur la scène internationale et qui a porté haut l’étendard de la musique congolaise.

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