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vendredi 29 mars 2024
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RDC. Marie Basila mise sur la farine panifiable de manioc

C’est au début des années 2000 que Marie Basila Kulabuna s’est passionnée pour l’agriculture, en particulier pour le manioc. Productions de manioc et autres denrées agricoles dans le Kongo Central, formations à l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA)/Mvuazi et à l’Institut Supérieur de Développement Rural de Kinzau-Mvuete, voyages d’études à l’étranger pour parfaire ses connaissances, création d’une unité de fabrication de farine panifiable… Le manioc, ses usages et ses modes de transformation n’ont plus de secret pour elle. Portrait d’une pionnière en farine de manioc panifiable, un ingrédient devenu un enjeu de sécurité alimentaire nationale.

Pour Marie Basila Kulabuna, née en décembre 1960, à Kimpese, dans le Kongo Central, le métier d’agricultrice est une vocation tardive. Son père était certes un agriculteur, mais après ses études primaires et secondaires dans sa ville natale, Marie s’établit à Kinshasa où elle fait une formation en secrétariat. Engagée, en 1980, à Air Zaïre, comme secrétaire de direction, elle y restera jusqu’à la disparition de l’entreprise à la fin des années 1990. 

Marie Basila a commencé à se passionner pour l’agriculture en 2001 quand elle a été mise en retraite anticipée.

Une passion naissante

Marie Basila à KwaKwa

Marie Basila a commencé à se passionner pour l’agriculture en 2001 quand elle a été mise en retraite anticipée et qu’elle est devenue, de fait, femme au foyer. « Je passais mon temps à la maison à Matadi où j’avais rejoint mon mari, à me faire les ongles », plaisante-t-elle. Depuis des années, son mari, fils d’un enseignant, s’adonnait à l’agriculture, parallèlement à son activité professionnelle. « C’est sa passion. Il cultivait du manioc et d’autres denrées. J’ai fini par m’intéresser à ce qu’il faisait ». Ensemble, ils étendent la superficie de leurs champs, situés sur la rive droite du fleuve Congo, à KwaKwa, dans le territoire de Kibanza, à 45 km de Matadi, sur la route de Boma. Manioc, maïs, soja, arachide, arbres fruitiers, apiculture… Les productions et les activités agricoles se diversifient. « Quand une femme s’engage, tout bouge. Mon mari m’a appris les bases, maintenant je suis son professeur », confie-t-elle, avec une pointe d’humour.

« Fruit de l’IITA »

« Je suis le fruit de l’IITA », aime à rappeler Marie. En 2008, en effet, celle pour qui l’agriculture est devenue une seconde nature, a suivi des stages de formation en agronomie, en phytothérapie, en entomologie et en transformation du manioc, organisés par l’Institut International d’Agriculture Tropicale (IITA)/Mvuazi, situé dans le Kongo Central. Créé en 1967 à Ibadan (Nigeria), l’IITA a implanté des antennes dans plusieurs pays d’Afrique, dont la vocation est de vulgariser des techniques agricoles, de former et d’accompagner les agriculteurs. En RDC, chaque station de l’Institut National pour l’Étude et la Recherche Agronomiques (INERA) en abrite une. C’est aussi via l’IITA que Marie Basila a fait des voyages d’études sur le manioc en Asie et en Afrique.   

en 2008, celle, pour qui l’agriculture est devenue une seconde nature, a suivi des stages de formation en agronomie, en phytothérapie, en entomologie et en transformation du manioc, organisés par l’Institut International d’Agriculture TropicalE (IITA)/Mvuazi

Pourquoi cet intérêt pour le manioc ? « C’est une matière première disponible, qui se récolte toute l’année et supporte la sécheresse », explique Marie. En RDC, comme dans de nombreux pays d’Afrique centrale, même si les habitudes alimentaires diffèrent d’une province à l’autre, le manioc est consommé partout. Aliment de base, associé ou non à d’autres féculents ou céréales, il accompagne de nombreux plats. « On consomme la racine, sous forme de chikwange (pain de manioc) et de fufu (semoule), de beignets et autres préparations. Les feuilles sont des légumes avec lesquelles on prépare notamment le pondu ».

« En milieu rural, chaque famille a un champ de manioc.  Aliment de base, associé ou non à d’autres féculents ou céréales, le manioc accompagne de nombreux plats ».

Pour parfaire et élargir ses connaissances, elle a repris des études supérieures, entre 2014 et 2017, à l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR) de Kinzau-Mvuete, situé dans le territoire de Seke-Banza au Kongo Central. « J’ai suivi le cycle de formation en techniques rurales. Dans mon Diplôme de fin de cycle, j’ai parlé de la farine panifiable de manioc. J’ai suivi les conseils de mon coach, le professeur Marie Claire Yandju ».

Lire aussi : La filière cacao d’Afrique centrale dominée par le Cameroun. 2/2 https://www.makanisi.org/la-filiere-cacao-dafrique-centrale-dominee-par-le-cameroun-2-2/

De la farine panifiable de manioc à Agrikcom

Farine panifiable de manioc d’Agrikcom

Productrice de manioc et agri-multiplicatrice, Marie s’est lancée dans la transformation, en particulier dans la fabrication de farine panifiable de manioc. En 2020, elle crée la société Agrikcom, dont l’administration est logée à Matadi et l’unité industrielle à KwaKwa, où se trouve la ferme. L’entreprise produit, chaque mois, entre 600 kg et une tonne de farine panifiable. Le manioc provient de sa propre plantation et des champs de petits producteurs, principalement des femmes, qu’elle encadre et à qui elle achète la production. Ses clients sont des boulangeries, encore timides dans l’utilisation de cet ingrédient, et des pâtissiers, plus enclins à l’adopter. Mais environ 80 % de sa clientèle sont les « Mamans Mikate » (beignet en langue lingala), qui fabriquent avec 100% de farine de manioc des beignets, des casse-croutes (biscuits frits) et des gaufres.

Productrice de manioc et agri-multiplicatrice, Marie s’est lancée dans la transformation, en particulier dans la fabrication de farine panifiable de manioc et de produits à base de cet ingrédient

Agrikcom fabrique aussi des produits à base de cet ingrédient : des biscuits (marque Bekera), des spaghettis, dont elle a appris la technique au Cameroun lors d’un voyage organisé par la FAO, ainsi que des gaufres et plusieurs variétés de beignets. Toutes les recettes ne sont pas 100% farine panifiable de manioc. Certaines contiennent un peu de farine de blé. Au fil des ans, de formations en formations et d’expériences en expériences, elle a appris à connaître les qualités des ingrédients et à faire des dosages.

Initiative présidentielle

Autant dire que la problématique de la farine panifiable de manioc n’est pas une nouveauté pour la gérante d’Agrikcom. « À l’IITA, on a commencé à parler de farine de manioc il y a plusieurs années. En juin 2009, une initiative présidentielle sur le manioc a été lancée. Mais elle n’a pas été suivie d’une loi. C’est avec le Covid et surtout la guerre en Ukraine, que l’actuelle présidence s’est intéressée à cette question ».

En 2019, en effet, une Cellule d’appui au Programme d’urgence intégré du développement communautaire (CAPUIDC) a été mise en place à la présidence de la république. Suite à des consultations à travers le pays, le programme, qui a réuni 7 commissions, a ciblé la filière manioc. Son volet agricole est mis en oeuvre par le ministère de l’agriculture et celui du développement rural à travers le Projet d’Appui au Développement intégré de l’Économie Rurale (Proader), et son volet industrialisation par le ministère de l’Industrie, via le Projet de structuration et de modélisation de la filière du manioc à travers la farine panifiable. D’autres ministères interviennent à des niveaux différents.

Agrikcom, qui fait partie, avec Layuka, des deux plus importantes minoteries de manioc du Kongo Central, transformera la récolte en farine panifiable.

Le savoir-faire et les réalisations d’Agrikcom dans la filière manioc ont permis à l’entreprise d’être retenue comme sous-traitant de la société Layuka dans le cadre du partenariat qui lie cet opérateur au Proader. Marie a ainsi obtenu une subvention pour emblaver 15 ha de manioc, ce qui porte la superficie totale de ses champs de manioc à 35 ha.

Marie surveillant le séchage des tubercules de manioc à Agrikcom @OnuFemme

Agrikcom, qui fait partie, avec Layuka, des deux plus importantes minoteries de manioc du Kongo Central, transformera la récolte en farine panifiable. L’entreprise avait été consultée, ainsi que d’autres opérateurs, par le ministère de l’industrie sur les quantités de farine à introduire dans la fabrication du pain et des gâteaux.

Lire aussi : La République démocratique du Congo en chiffres. Édition 2022 https://www.makanisi.org/la-republique-democratique-du-congo-en-chiffres-edition-2022/

Le défi de la production

Pour Marie, qui est la présidente provinciale de l’Association des producteurs et des transformateurs de manioc (APTM) au Kongo Central, l’initiative présidentielle est une bonne chose. « Avec la flambée des prix de la farine de blé, les familles pauvres se partagent un pain de 500 FC. Avec la farine panifiable de manioc, elles pourront commencer à manger convenablement et les boulangeries artisanales qui avaient disparu, pourront réapparaître. Cela procurera des revenus et des emplois ».

Pour appliquer les normes préconisées par le gouvernement, augmenter la production de manioc, estimée à 41 millions de tonnes, et donc les surfaces cultivées, est une nécessité. 

Mais les défis sont importants. Pour appliquer les normes préconisées par le gouvernement (minimum 5% pour le pain et 20% pour les pâtisseries), augmenter la production de manioc, estimée à 41 millions de tonnes, et donc les surfaces cultivées, est une nécessité. Toutefois les tonnages à atteindre sont énormes. « Un kilo de farine correspond à environ 25 à 35 % de matière sèche. Ce qui signifie que 100 kg de manioc peuvent donner entre 25 et 30 kg de farine. Certaines variétés sont plus farinées que d’autres », souligne Marie. Dans ces conditions, il faut tripler la production. D’où l’importance d’accompagner et de suivre les acteurs sur le terrain. « La subvention aux producteurs doit tenir compte des travaux de sarclage, indispensables avant l’emblavement », insiste Marie.

Femmes cultivant du manioc à KwaKwa dans le Kongo Central, @ONU Femmes

Une farine non fermentée

Augmenter les surfaces est une chose. Faire de la farine panifiable en est une autre. Contrairement à la farine destinée à faire le fufu (sorte de pâte), la farine panifiable n’est pas fermentée. « Il ne faut pas faire sécher les racines au soleil et on doit éviter les intempéries et les prédateurs. Toutes les étapes doivent se faire en un jour depuis la récolte et l’épluchage jusqu’au séchage. On aura alors une bonne farine », martèle Marie Basila.

Contrairement à la farine destinée à faire le fufu (sorte de pâte), la farine panifiable n’est pas fermentée.

Cette technique impose des équipements spécifiques, dont des séchoirs, pour éliminer convenablement et rapidement l’humidité et de respecter les règles d’hygiène. Il faut également de l’électricité pour faire tourner les minoteries. Autre problème, l’accès aux zones de production, qui ne sont pas toutes situées le long des grands axes routiers. Ainsi, en raison du manque de dessertes agricoles et de ponts dans bien des territoires, la transformation des tubercules en farine nécessite d’installer les petites minoteries à moins de 50 km des zones de production. Autant de défis qui exigent également d’accompagner les minotiers, en les formant et en les informant, de subventionner des équipements et de faire des contrôles sanitaires.

Au fil des ans, Madame Basila est devenue formatrice. Elle anime des ateliers sur la farine panifiable de manioc au Kongo Central et à Kinshasa

Formatrice

Au fil des ans, Madame Basila est devenue formatrice. Elle dispense des formations et anime des ateliers sur l’utilisation de la farine panifiable de manioc dans les métiers de la boulangerie, pâtisserie, biscuiterie et confiserie au Kongo Central et à Kinshasa, destinés à des agriculteurs, des membres d’ONG internationales, des partenaires comme le PNUD et des structures agréées. « Je signe des contrats avec des partenaires pour accompagner les communautés en milieu rural. Je suis reconnue dans ma province ».

Avec son mari, elle a créé l’ONG Groupedi (Groupe du peuple de Dieu) dont elle est coordinatrice. Sa vocation est d’encadrer les personnes vulnérables, des mères célibataires et des veuves, chefs de ménage, dans leurs travaux agricoles. L’ONG valorise aussi le manioc frais. « Dans les villages, on apprend aux mamans des recettes, de beignets notamment, préparées avec du manioc frais râpé. Cela leur permet de nourrir leurs enfants », signale cette dame très respectée dans sa province.

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