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vendredi 19 avril 2024
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Bassin du Congo. L’Afrique des épices méconnues

Poivre, maniguette, cannelle, citronnelle, noix de muscade africaine, gingembre, kororima, clou de girofle, cardamone, ail sauvage, jujube et autres épices et plantes aromatiques… L’Afrique centrale regorge de trésors végétaux aux arômes magiques. Mais des trésors « discrets », car peu connus et valorisés.

Zone forestière par excellence, abritant l’une des biodiversités végétales les plus riches et les plus contrastées du monde, l’Afrique centrale regorge d’épices, dont certaines endémiques. Mais c’est aussi la région des épices non encore identifiées, sauf par les populations autochtones et locales qui les cueillent depuis des millénaires. Utilisées à des fins culinaires, elles ont aussi des vertus médicinales et thérapeutiques, comme le poivre bien connu des tradipraticiens d’Afrique centrale.

Zone forestière par excellence, abritant lʼune des biodiversités végétales les plus riches et les plus contrastées du monde, lʼAfrique centrale regorge dʼépices, dont certaines sont endémiques.

À l’exception de quelques plantes, dont le gingembre et la citronnelle, la sphère de collecte et de consommation de ces aromates ne dépasse guère la région où ils poussent. Peu atteignent les grands centres urbains. Dans certains cas, ils sont absents des étals des marchés, faute de consommateurs réguliers. Au Congo-Brazzaville, le poivre est peu employé pour relever le goût des aliments.

Des épices peu valorisées

Ainsi, malgré leur abondance, la richesse de leurs arômes et leurs bienfaits, ces condiments ne sont guère valorisés et ne font l’objet de quasiment aucune recherche scientifique en Afrique centrale.

Malgré leur abondance, la richesse de leurs arômes et leurs bienfaits, ces condiments ne sont guère valorisés et ne font lʼobjet de quasiment aucune recherche scientifique en Afrique centrale.

La majorité est d’ailleurs négligée par les ministères de l’agriculture ou de l’économie forestière de la plupart des pays d’Afrique centrale, qui ne les intègrent pas (ou rarement) dans leur stratégie de développement, même s’ils les font figurer dans la rubrique « produits forestiers non ligneux ». L’exportation reste, elle, un vœu pieux.  Pourtant leur prix atteint de coquets montants en Europe, pouvant grimper à 10 euros et plus les 50 grammes

Néanmoins, des épices sont sorties du bois pour faire une percée à l’international : le poivre de Penja (Cameroun), connu aux quatre coins du monde, ainsi que le poivre sauvage du Kivu et d’autres épices de RD Congo ont séduit les palais des chefs étoilés de Belgique. Preuve que ces produits sont appréciés et recherchés sur les marchés extérieurs. D’ailleurs des instituts de recherche européens s’y intéressent de plus en plus.  

Néanmoins, des épices sont sorties du bois pour faire une percée à lʼinternational : le poivre de Penja (Cameroun), ainsi que le poivre sauvage du Kivu et dʼautres épices de RDCongo

Le poivre de penja est cultivé dans le Mungo, dans le sud-ouest du Cameroun, sur des terres volcaniques @DR

Le poivre de Penja

Cultivé dans le Mungo, dans le sud-ouest du Cameroun, sur des terres volcaniques, le poivre de Penja, blanc ou noir, doit sa notoriété et sa présence remarquée à l’extérieur du pays à plusieurs facteurs. Primo sa labellisation. En 2013, le produit a obtenu l’identification géographique protégée (IGP) de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI). Une initiative venue des producteurs et des acheteurs qui se sont battus bec et ongles pour avoir le label. Plusieurs conditions ont été nécessaires pour décrocher l’IGP dont le regroupement des producteurs en association et l’existence d’un cahier des charges. « Tout est contrôlé du départ jusqu’à l’arrivée. Notre association de producteurs travaille avec celle des semenciers, qui interviennent sur la semence poivre de Penja, et  celle des distributeurs. Ainsi ceux qui distribuent le produit défendent le label et évitent la contrefaçon », indique Jean-Marie Sop, délégué de l’Unité agro-pastorale du Cameroun (Unapac) et secrétaire général du Comité de liaison Europe-Afrique-Caraïbes-Pacifique (Coleacp).

Appui du Coleacp et de l’OMC

La culture a également bénéficié de l’appui du Coleacp, qui a aidé les producteurs au niveau du process et des normes de production, de la traçabilité et des dangers de certains produits sanitaires. En octobre prochain, grâce à un don de l’Organisation mondiale du Commerce, un projet sera lancé pour mettre en conformité la culture avec les normes sanitaires et phytosanitaires internationales (cf. encadré ci-dessous). Outre le poivre de Penja, le Cameroun abrite d’autres merveilles comme le jujube ou le  pèbè, sorte de noix de muscade.

RDC, une variété d’épices à la dimension du pays

Tout aussi riche en condiments est la RD Congo dont l’épice désormais connue à l’international est le poivre sauvage des forêts denses du Kivu, commercialisé par l’entreprise Misao, dirigée par la franco-congolaise Sandrine Vasselin Kabonga, qui intervient également aux étapes de la cueillette et du séchage du produit. Mélange de saveurs piquantes et parfumées, le ketchu du Kivu, son nom local, n’a pas l’appellation IGP car la RDCongo ne figure pas parmi les 17 États membres que compte l’OAPI. C’est donc en tant que poivre en grains séché, variété à queue, ou piper Cubebe, qu’il est commercialisé en Belgique et en France. Pour le bonheur des restaurateurs, des épiceries fines et des particuliers.

Misao commercialise également de la cannelle du Kongo Central, appelée « l’écorce de l’arbre du bonheur », de la citronnelle ainsi que de la maniguette et de la kororima douce, sorte de gingembre, provenant du Kivu. Sa directrice a découvert d’autres poivres sauvages dans le Sud-Ubangi, le Kasaï, l’ex-Bandundu et de nouvelles épices (maniguette, curcuma, ail sauvage…) dans l’Equateur et la Mongala, deux provinces où elle a lancé de nouveaux projets de suivi et d’exportation.

Les aromates de Centrafrique et du Congo

Les voisins de la RD Congo sont également des greniers à épices. La République centrafricaine compte du poivre sauvage, dit « poivre des gorilles », de la cardamone et des clous de girofle que l’on peut trouver désormais en Belgique et en France. Au Congo-Brazzaville, il existe également du poivre sauvage dans la forêt dense de la Likouala, un département frontalier de la RD Congo et de la Centrafrique. Mais ce sont principalement des commerçants camerounais qui viennent l’acheter à Impfondo, le chef-lieu. D’une manière générale, on trouve ces plantes dans toutes les zones forestières de la sous-région.

Instaurer une véritable filière

Autant de trésors « discrets »  dont un grand nombre reste à identifier et à mettre en valeur. Les conditions ? Organiser  et professionnaliser les producteurs et respecter des règles de base. Pour la directrice de Misao, pas question en effet de faire de l’à peu près. « Nous devons travailler selon les standards internationaux. Depuis la cueillette jusqu’au tri et au séchage, en passant par le packaging, il faut instaurer une véritable filière réalisée par des gens qualifiés », martèle-t-elle. Avis partagé par Jean-Marie Sop, qui insiste également sur le marketing et le respect des mesures phyto-sanitaires.

Organiser et professionnaliser les producteurs et respecter des règles de base, notamment les mesures phyto-sanitaires

L’autre challenge est de mettre en place des circuits de commercialisation courts, des producteurs aux exportateurs, en évitant de multiplier les intermédiaires qui ne connaissent pas le produit, son historique et ses contraintes. « Quand le poivre sauvage manque, car ce n’est pas l’époque de la récolte, on ne peut pas obliger les producteurs à exporter. Il faut constituer des stocks et augmenter les prix quand l’offre ne suit pas la demande », insiste Sandrine Vasselin Kabonga. Enfin, l’accès au financement est un autre défi, les instruments financiers adaptés aux petits agriculteurs faisant souvent défaut.

Protéger un produit, un terroir et un savoir-faire

Si l’obtention d’une IGP est une condition de base, elle n’est pas suffisante. Car labelliser est  une chose, mais protéger le label en est une autre. « Chaque épice ou aromate est spécifique en termes de saveur, terroir et savoir-faire », affirme Sop. Avant d’attaquer un marché, il y a donc nécessité d’élaborer une stratégie, de former et d’informer les acteurs de la filière sur les enjeux, d’encourager les échanges d’informations entre producteurs de zones différentes et de mettre en place des outils de protection. En particulier des conditionnements sécurisés avec des informations apposées sur les emballages pour éviter les mélanges, les contrefaçons et les fraudes. L’idée de créer un centre d’agréage où des contrôleurs peuvent vérifier l’origine et la qualité des produits est évoquée.

« Chaque épice ou aromate est spécifique en termes de saveur, terroir et savoir-faire »

Cueillette ou plantation ?

La plupart des populations d’Afrique centrale s’étant limitées à la cueillette des épices comme le poivre, qui poussent naturellement dans la forêt, « on n’a pas encore vraiment réfléchi sur la multiplication des épices naturelles. Mais c’est possible. On peut domestiquer les épices et augmenter les surfaces plantées et les rendements », souligne Sop. Reste à identifier le potentiel et à mettre au point les méthodes culturales, de cueillette et de séchage appropriées. Les producteurs de Penja y sont parvenus en sélectionnant, avec l’appui d’agronomes et de géographes, les terroirs propices à la culture et en développant de bonnes méthodes culturales.

Conquérir de nouveaux marchés  

Les marchés de ces épices, aux vertus souvent exceptionnelles, ne manquent pas, notamment dans un contexte où la recherche d’une alimentation saine et les bienfaits des produits naturels sont de plus en plus mis en avant. Des poivres de la sous-région sont déjà commercialisés en Europe. Les Amériques et le Moyen Orient sont d’autres débouchés pour ces aromates. L’Asie ? La Chine et l’Inde sont des marchés potentiels, mais des bémols sont mis sur ces destinations, en raison des contrefaçons qui y sont fréquentes. Ainsi des mélanges du poivre de Penja avec d’autres poivres y ont été identifiés. D’où l’importance de la labellisation.

Les marchés de ces épices, aux vertus souvent exceptionnelles, ne manquent pas, notamment dans un contexte où la recherche dʼune alimentation saine et les bienfaits des produits naturels sont de plus en plus mis en avant.

Diversité des débouchés en Afrique

L’Afrique est également un marché porteur. Selon la Banque mondiale, l’augmentation des revenus et de la taille de la classe moyenne devrait générer d’ici 2030 un marché alimentaire d’environ 1000 milliards de dollars. En visant à accroître le commerce intra-africain, la Zone de libre-échange continentale offre des perspectives intéressantes aux épices d’Afrique centrale, totalement made in Africa. Quels que soient leurs qualités et leurs usages, ces épices peuvent ouvrir de nouveaux champs à l’agriculture et aux technologies qui lui sont associées, ainsi qu’à la recherche et aux industries alimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques et de manière générale à tout ce qui touche à la santé et au bien-être des populations du continent et d’ailleurs.

Ces épices peuvent ouvrir de nouveaux champs à l’agriculture et aux technologies qui lui sont associées, ainsi quʼà la recherche et aux industries alimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques et à tout ce qui touche à la santé et au bien-être

Un don de l’OMC pour soutenir le poivre de Penja

Les organisations internationales, comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), portent davantage d’intérêt aux épices. Ainsi l’OMC va octroyer un don d’un montant de 700 000 dollars aux producteurs de poivre du Cameroun. Ce don vise l’amélioration de la qualité sanitaire et phytosanitaire du poivre de Penja, conformément aux normes de sécurité alimentaire et de l’accord SPS (Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires) de l’OMC. Le projet dont l’exécution a été confiée au Coleacp, sera lancé en octobre 2019. L’accent sera mis sur le marketing, le conditionnement et la mise en place d’une traçabilité plus efficace afin de mieux protéger le produit. Le projet permettra de redynamiser la filière, la vente de poivre ayant stagné en raison de la contrefaçon. MDMM.

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