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jeudi 28 mars 2024
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Bassin du Congo : vers une gestion durable des forêts ?

Ingénieur bois de formation, Olivier Bonneau*, directeur de OBBOIS, répond aux questions de makanisi.org sur l’état de la gouvernance forestière en Afrique centrale, la certification du bois et les mécanismes d’évaluation et de contrôle qui contribuent à la gestion durable des forêts du Bassin du Congo.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Quelles ont été les évolutions majeures au cours des dix dernières années en matière de gestion durable des forêts denses du Bassin du Congo ? 

Olivier Bonneau : Les évolutions majeures en matière de gestion durable des forêts ont porté sur la mise en œuvre progressive de l’obligation faite aux compagnies forestières d’élaborer et d’appliquer des plans d’aménagement durable des forêts. Cela a été permis par la promulgation de codes forestiers plus contraignants, et renforcé par la mise en œuvre du Règlement sur le Bois de l’Union Européenne (RBUE) et l’obligation, pour les importateurs européens, de vérifier la légalité du bois importé. Toutefois, après avoir connu une phase d’expansion, la certification forestière, engagée peu avant 2010, a commencé à stagner, en raison d’une baisse de la demande de bois certifié des pays importateurs. La troisième évolution majeure est le changement de profil des concessionnaires forestiers, avec le recul progressif des capitaux européens et l’augmentation des capitaux asiatiques dans la filière.

Comment ont évolué les volumes exportés et les pays destinataires ?

OB : L’augmentation des capitaux asiatiques dans la filière forêt/bois est apparue en concomitance avec une réorientation nette des volumes exportés vers l’Asie.

La présence accrue des capitaux asiatiques dans la filière a-t-elle un lien avec la stagnation de la certification des forêts ?

OB : C’est la demande en produits certifiés qui est le premier vecteur de la certification des forêts. Or elle vient principalement des pays du nord de l’Europe. En raison de la place plus grande occupée par l’Asie dans la filière, la demande certifiée pèse aujourd’hui beaucoup moins dans les négociations.

Tout dépend donc des pays importateurs ?

OB : Pour la demande en produits certifiés oui, mais cela dépend aussi des importateurs eux-mêmes.

Y-a-t-il des pays dans le Bassin du Congo où la forêt a été sérieusement entamée ?

OB : La forêt du Bassin du Congo étant riche en espèces dont un petit nombre seulement est exploité, le couvert forestier a peu évolué. Toutefois la qualité commerciale de la forêt peut avoir été dégradée dans les concessions qui ne sont pas gérées durablement.

Que voulez-vous dire par qualité commerciale ?

OB : Les forêts denses du Bassin du Congo contiennent des centaines d’espèces d’arbres. Mais on n’en exploite qu’une trentaine. Ainsi, l’exploitation forestière est assez sélective en Afrique centrale. Elle ne se voit quasiment pas par satellite. Le couvert forestier reste quasiment intact. Mais, dans une forêt qui n’est pas gérée de manière durable, ces espèces commerciales sont surexploitées. Du coup, la forêt perd en valeur commerciale. Si on devait diversifier de manière importante les essences exploitées, il y aurait un risque réel pour la pérennité des forêts. Toutefois, il existe des projets de diversification des essences pour valoriser davantage les forêts. Cela est tout à fait souhaitable si c’est fait de manière raisonnée et dans une forêt gérée durablement.

Quels pays ont signé un Accord de Partenariat Volontaire (APV)-Flegt (Forest Law Enforcement on Governance and Trade) (APV-FLEGT) avec l’Union Européenne ?

OB : En Afrique centrale, les pays qui mettent actuellement en œuvre des APV-Flegt sont le Congo, la Centrafrique et le Cameroun. La RDCongo et le Gabon sont en cours de négociation avec l’Union européenne (UE).

Quels sont les grands principes du Flegt ?

OB : Le plan d’action Flegt a deux volets principaux : le RBUE, côté importateurs, et l’APV, qui est un contrat entre l’UE et les pays producteurs volontaires. Les deux parties définissent ensemble un plan d’action dont elles suivent la mise en œuvre. Chaque partie prend ses responsabilités. Le but principal des APV est d’améliorer la gouvernance forestière. Il s’agit  de réformer le cadre réglementaire si nécessaire, et de s’assurer que la législation est bien appliquée et contrôlée. Cela inclut des actions de renforcement des capacités de l’administration, l’élaboration d’outils de contrôle des entreprises et de traçabilité du bois, et donc, indirectement, de lutte contre la corruption.

Le mécanisme Flegt est-il vraiment efficace ?

OB : Il s’agit d’un processus très long, non encore abouti en Afrique. Ses effets n’étant visibles que sur le long terme, ils sont encore difficilement mesurables aujourd’hui.

Comment se fait le suivi-évaluation sur le terrain ?

OB : Dans chaque APV, il est prévu une évaluation régulière par un auditeur indépendant. Il existe des mécanismes d’audit du processus et de concertation entre l’UE et les pays concernés via l’assistance technique de l’European Forest Institute (EFI) pour l’Europe et des comités conjoints de mise en œuvre (concertation pays/Délégation locale de l’UE).

Vous avez évoqué le RBUE. De quoi s’agit-il ?

OB : Le RBUE impose aux importateurs de mettre en œuvre un système de diligence raisonnée. Ce système vise à évaluer et à limiter les risques de mettre sur le marché européen des produits illégaux. Les pays forestiers d’Afrique centrale étant considérés à risque, les importateurs doivent évaluer la conformité de leur fournisseur. Chacun y allant de son propre système, la qualité des prestations diffère d’un système à l’autre. Certains importateurs se contentent de la documentation fournie par la compagnie forestière. D’autres, en revanche, envoient des auditeurs indépendants chez leurs fournisseurs pour évaluer leur conformité. OBBOIS est spécialisé dans ces évaluations.

Quels sont les autres outils donnant des garanties de gestion durable des forêts ?

OB : Outre le RBUE et les systèmes de diligence raisonnée, il existe deux types de certifications : celles développées par des organisations internationales (PEFC-PAFC, FSC**) et faisant l’objet d’une accréditation des organismes de contrôle, et les certifications de légalité mises au point par des organismes de contrôle (sans système d’accréditation). Les premières couvrent généralement, selon leurs termes, la gestion durable ou responsable des forêts, qui vont au-delà de la légalité. Dans le second cas, on peut citer Origine et Légalité des Bois (OLB), certification initiée par Bureau Veritas Certification, Legal Source, élaborée par Nepcon ou Timber Legality Verification (TLV), créée par Control Union.

Le Système Normalisé d’Observation Indépendante Externe  qui opère au Cameroun, a-t-il un lien avec l’APV Flegt ?

OB : Chaque pays dispose de structures d’observation indépendantes, qui sont, de fait, liées au Flegt. Mais ces organisations manquent souvent de moyens ou de compétences et sont peu structurées. Leurs actions sont très ponctuelles et s’inscrivent dans un cadre peu coordonné ou cohérent. Du coup, les résultats apparaissent disparates et pas toujours suivis dans le temps. Leurs rapports sont rarement utilisés par les administrations forestières. Néanmoins, les administrations procèdent à des vérifications dans les sociétés problématiques. Et peuvent tout à fait prendre des sanctions si aucun effort n’est fait pour appliquer la réglementation.   

Existe-t-il des mécanismes semblables à l’APV-Flegt dans d’autres régions du monde ?

OB : Oui, il existe des systèmes similaires visant à responsabiliser les importateurs de bois. Par exemple, les États Unis ont mis en place le Lacey Act, datant de 1900 et modifié en 2008, et l’Australie a promulgué en 2012 une loi sur l’interdiction de l’exploitation forestière illégale.

L’Association chinoise pour la distribution de bois et de produits en bois et l’ATIBT ont signé fin octobre 2019 en Chine un accord pour intensifier leurs échanges en matière de gestion durable et de chaînes d’approvisionnement responsables. Est-ce le signe que la Chine s’engage sérieusement à promouvoir un commerce durable des bois tropicaux ?

OB : Il s’agit d’un accord non contraignant mais des efforts sont visibles. Pour preuve, quelques sociétés s’engagent dans des démarches de certification.

Une concession forestière gérée de manière durable peut-elle préserver la biodiversité et la faune au même titre qu’une aire protégée ?

OB : Oui, si elle est gérée durablement, une concession forestière apporte des garanties sérieuses. Les aires protégées manquent souvent de moyens et font l’objet d’exploitations illégales (bois, agriculture, braconnage, etc.) non contrôlées. De plus, l’exploitation forestière offre de nombreux emplois et alternatives aux pratiques non durables.

Etes-vous optimiste quant à l’avenir des forêts denses  d’Afrique centrale ? 

OB : Il faut rester optimiste. Il y a clairement des menaces fortes sur les forêts. Mais on est aussi à une époque où le monde entier a conscience de l’importance des forêts, y compris en Asie où l’on peut prendre des mesures parfois radicales, pour améliorer l’environnement et lutter contre le réchauffement climatique. Des mécanismes, comme ceux qui contribuent à la lutte contre la déforestation, vont aider à préserver ces forêts. Les marchés européens sont de plus en plus exigeants sur les importations de bois venant d’Afrique et de produits transformés en provenance d’Asie. Des gouvernements sont appuyés par des institutions internationales pour améliorer leur gouvernance. On n’en voit pas encore les effets mesurables. Mais il faut garder l’espoir et poursuivre les efforts. Il existe le mécanisme RBUE, qui sanctionne les sociétés ne respectant pas leurs engagements en matière de gestion durable. Les contrôles s’intensifient, ce qui pousse les importateurs de bois à être plus vigilants. Il faut encourager l’exploitation forestière raisonnée et légale, qui contribue à sauvegarder la forêt. Il ne faut pas oublier que l’exploitation forestière n’est pas la première menace mais plutôt l’agriculture, et donc nos comportements alimentaires, et l’urbanisation.

*Olivier Bonneau : Ingénieur bois de formation, Olivier Bonneau est un expert de la filière forêt-bois. Il intervient depuis douze ans dans le développement de projets industriels et forestiers innovants et ambitieux. Il a notamment développé des compétences particulières dans l’aménagement durable des forêts, l’évaluation des performances des entreprises et la certification. Il s’est particulièrement investi dans l’aménagement forestier à l’international, notamment dans le Bassin du Congo où il a accompagné de grandes sociétés dans leurs démarches de gestion responsable. Il accompagne aussi les professionnels dans leurs projets de développement, la maîtrise des exigences légales en matière d’import/export et la certification de chaînes de contrôle FSC, PEFC et OLB. Il réalise également des études et des diagnostics de filières (stratégies et politiques forestières, chartes forestières de territoire, etc.) et intervient dans la mise en œuvre de projets internationaux, et plus particulièrement des Accords de Partenariats Volontaires avec l’Union Européenne dans le cadre du processus FLEGT. Il dispose ainsi d’une large vision des problématiques de la filière forêt-bois à l’international.

OBBOIS est un bureau d’études proposant des services spécialisés dans la gestion responsable des forêts, la certification et l’évaluation de performances. Basé à Marseille, en France, OBBOIS réalise des missions d’assistance technique dans la plupart des pays forestiers et industriels, auprès du secteur privé et des institutions. Dans le cadre du plan d’action Flegt, OBBOIS intervient dans l’implantation de projets d’appui à la mise en œuvre des Accords de Partenariats Volontaires entre l’UE et les pays producteurs, ainsi que dans l’assistance aux importateurs européens pour respecter leurs obligations de diligence raisonnée définies dans le Règlement Bois de l’Union Européenne.

** Acronymes :

PEFC : Programme de reconnaissance des certifications forestières ; PAFC : PanAfrican Forest Certification ; FSC : Forest Stewardship Council

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