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mardi 19 mars 2024
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Blues démocratique 1990-2020. Un ouvrage de Francis Laloupo

Francis Laloupo, journaliste indépendant, essayiste et enseignant en relations internationales, est l’auteur de l’ouvrage : « Blues démocratique, 1990-2020 », paru en avril 2022, aux éditions Karthala.  Dans ce livre, il analyse, faits à l’appui, les évolutions, depuis la chute du mur de Berlin en 1989, du processus démocratique en Afrique en le replaçant dans un contexte international. Processus dont les avancées et les reculs ont abouti à une cohabitation entre des démocraties consolidées et des régimes autoritaires ou hybrides. Il aborde également le rôle joué par des puissances étrangères dans ce processus et sa dimension géopolitique. En dépit des menaces, l’auteur insiste sur la nécessité de restaurer ou d’instaurer la démocratie et l’État de droit sur le continent.

Un livre passionnant, qui nous plonge dans l’histoire des pays africains mais également de celle du monde au cours des trente dernières années. Qui nous oblige à interroger nos certitudes et à porter un regard critique sur les réalités dans lesquelles nous évoluons.

L’auteur nous livre son analyse et son avis sur le processus de démocratisation en Afrique tout au long des 14 chapitres de l’ouvrage : convergence démocratique mondiale ; naissance du front du refus démocratique ; acteurs, contrastes et quelques séquences ; géopolitique des incertitudes ; sondages et sombres météos ; scepticismes périlleux ; dissensus démocratiques ; l’ère du complot ; convergences africaines ; terrorismes et conséquences ; crashes démocratiques et nécessité démocratique.

1990, la décennie des conférences nationales

Un an après la chute du mur de Berlin, qui a signé l’effondrement du régime communiste de l’URSS, l’année1990 marquait le top du lancement des Conférences nationales qui ont débouché sur l’avènement du pluralisme politique et de l’instauration d’institutions démocratiques dans nombre de pays africains. Ces acquis ont été la résultante de luttes menées par des partisans de la démocratie, qui avaient, durant des années 1970 et 1980, dénoncé les monopartismes, qui, par nature, excluaient une partie des citoyens de la décision nationale.

Trente ans après leur avènement sur le continent africain, les démocraties sont en proie à diverses formes de menaces et à de multiples facteurs d’empêchement. Parallèlement, les « démocraties anciennes » sont à la fois ébranlées par la défiance d’une partie des opinions internes et déstabilisées par l’affirmation offensive, sur la scène internationale, de nouvelles puissances autocratiques et autres régimes « a-démocratiques ».

Modes opératoires des pro-monolithistes

Au cours de ces trois décennies, les processus de démocratisation en Afrique ont été marqués par un bras de fer constant entre les militants de la cause démocratique et les tenants de l’ordre ancien du monolithisme politique, qui n’ont jamais eu envie de renoncer à leur système. Ainsi, explique l’auteur, le projet démocratique s’est heurté, dès l’origine, à la résistance des partisans du monopartisme qui s’était enraciné, au fil du temps, dans l’espace politique, avec ses attributs que sont le parti unique, le culte de l’homme fort, l’exclusivisme politique et le recours ordinaire à la violence d’État.

Les tenants de l’ancien modèle ont usé d’un vaste arsenal pour empêcher ou ralentir la demande populaire de démocratie, et, ceci, dès la fin des années 1990 

Les tenants de l’ancien modèle ont usé d’un vaste arsenal pour empêcher ou ralentir la demande populaire de démocratie, et, ceci, dès la fin des années 1990 : fraudes électorales, entraînant des contentieux électoraux, répression des oppositions qui, dans certains pays, ont fini par s’étioler, instrumentalisation du pouvoir judiciaire ou législatif pour exclure les opposants du jeu politique et des compétitions électorales, refus de toute forme d’alternance politique par certains acteurs politiques, manipulations des constitutions pour prolonger indûment des mandats présidentiels, coups d’État constitutionnels favorisant le prolongement illégal des mandats présidentiels (le troisième mandat)…

Les coups d’État militaires « nouvelle génération »

À cette liste, il faut ajouter les coups d’État militaires « nouvelle génération », qualifiés de salutaires, qui, « ironie du sort, furent perpétrés au motif de mettre fin aux dérives autoritaires » et rétablir l’ordre démocratique », signale Laloupo. Toutefois, ils ont ouvert la porte à des régimes autoritaires et sont devenus paradoxalement des menaces majeures pour la démocratie. Et leur tendance à prolonger leur présence aux commandes des États, n’augure rien de bon.

L’arsenal déployé par certains pouvoirs pour contrecarrer la donne démocratique a, dans nombre de pays, a transformé les espaces politiques en démocratures , en autocraties non assumées ou en néodictatures.

Au final, l’arsenal déployé par certains pouvoirs pour contrecarrer la donne démocratique a, dans nombre de pays, a transformé les espaces politiques en démocratures – contraction des termes démocratie et dictature, explique l’auteur-, en autocraties non assumées ou en néodictatures.

Mal gouvernance et terrorisme

La restauration de régimes autoritaires intervient aussi dans un contexte où une partie des opinions, déçues par les dérives ou l’incurie de régimes issus d’élections, ont commencé à douter des vertus du système démocratique. Et boudé les urnes. « L’abstentionnisme – parfois désigné comme une « grève civique » lors de différents scrutins – est devenu la manifestation la plus visible de la morosité démocratique », indique Laloupo. Cette incurie fait dire à certains Africains qu’il faudrait un « dictateur » pour remettre de l’ordre dans leur pays, lutter contre la corruption et les détournements de fonds publics et rétablir la bonne gouvernance. D’autres facteurs sont venus s’ajouter comme le phénomène du terrorisme, devenu une priorité au cœur des agendas de certains États. Et un prétexte pour justifier le tournant autoritaire que prennent un certain nombre de pouvoirs dans certains pays d’Afrique. Ainsi, la question sécuritaire devient l’argument indiscutable permettant de reléguer au second plan la question démocratique.

La restauration de régimes autoritaires intervient aussi dans un contexte où une partie des opinions, déçues par les dérives ou l’incurie de régimes issus d’élections, ont commencé à douter des vertus du système démocratique

L’offensive idéologique des puissances autocratiques

L’offensive idéologique des puissances autocratiques telles que la Chine, devenue le partenaire incontournable de l’Afrique, la Russie et la Turquie, joue également en faveur du recul démocratique. En effet, si elles ont permis aux États africains de diversifier leurs partenariats économiques et commerciaux, elles ont également eu un impact sur l’évolution des situations politiques sur le continent, en devenant des soutiens objectifs ou des cautions politiques pour les régimes rétifs aux avancées démocratiques. En restaurant, en mars 2018, le système de présidence à vie, la Chine a envoyé un signal fort « aux contrées africaines, là où certains régimes, incapables de justifier leur existence par leur bilan, continuent d’opposer leur incurie à la demande de respiration démocratique, tout en promettant des lendemains « émergents » aux populations épuisées par la permanence ou l’éternel recommencement des temps mauvais », souligne l’auteur. Ainsi, confortés par les exemples chinois, russe et turc, et assurés de l’appui de ces pays, certains régimes africains ont été convaincus que l’option démocratique pouvait être contournée, et que de nouvelles formes d’autocraties décomplexées sont possibles.

Confortés par les exemples chinois, russe et turc, et assurés de l’appui de ces pays, certains régimes africains ont été convaincus que l’option démocratique pouvait être contournée.

Le double langage des vieilles démocraties

Les positions contradictoires de certaines nations promotrices de la démocratie ont également participé du recul démocratique en Afrique, en prônant, d’un côté, la démocratie tout en soutenant, de l’autre, des régimes autoritaires.  « Les gouvernements de partis uniques ont su bénéficier du soutien – y compris du soutien armé – de leurs associés français. Pour justifier ce soutien, le concept du parti unique en fut affublé d’un autre tout aussi funeste : la stabilité », souligne Laloupo.  Ce double langage, qui est le fait aussi d’autres puissances occidentales, comme les États-Unis, met en évidence que les soutiens de pays occidentaux aux transitions démocratiques évoluent en fonction des impératifs des intérêts économiques et géostratégiques.

Les positions contradictoires de certaines nations promotrices de la démocratie ont également participé du recul démocratique en Afrique, en prônant, d’un côté, la démocratie tout en soutenant, de l’autre, des régimes autoritaires.

La montée des courants anti-démocratiques en Occident

Les vieilles démocraties elles-mêmes ne sont pas à l’abri de tentatives anti-démocratiques. « Alors même que le système de la démocratie représentative était considéré, au sortir de la période de la guerre froide, comme un horizon convergent pour l’ensemble de la planète, les « vieilles démocraties » sont ébranlées, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières, par la montée de courants anti-démocratie. Une situation marquée par la défiance croissante d’une partie des opinions à l’égard de ce système, mais aussi par l’émergence de régimes, notamment en Europe, qui affichent leurs réserves, voire leur prévention vis-à-vis de la démocratie représentative », écrit Laloupo. Conjuguées à la real politik, cette dérive dans les vieilles démocratiques, est dangereuse pour tout le monde, car les vieilles démocraties ont destin lié avec les démocraties émergentes. « Si les démocraties anciennes s’affaissaient, les émergentes verraient leur processus de consolidation durablement compromis », martèle Francis Laloupo.   

Les « vieilles démocraties » sont ébranlées, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières, par la montée de courants anti-démocratie.

2020 : le pic de la crise du processus démocratique

Dans plusieurs pays, les modifications opportunistes des Constitutions ou les tentatives de restauration autocratique ont conduit aux crises dites du « troisième mandat », ou à l’exclusion des oppositions des compétitions électorales. L’Afrique centrale, à l’exception de la RDC, s’est illustrée dans le tripotage des constitutions. La Centrafrique en est l’un des derniers exemples avec le limogeage, par le président Touadéra, de la présidente de la Cour constitutionnelle, « l’empêcheuse de tourner en rond ». Mais l’Afrique de l’Ouest n’échappe pas au phénomène. « Au cours de l’année 2020, les événements en Guinée-Conakry et en Côte d’Ivoire sont venus souligner la lente dégradation des situations politiques dans cette région d’Afrique de l’Ouest, réputée quelques années plus tôt pour ses « avancées démocratiques », note Laloupo. Des situations paradoxales : « Pouvait-on seulement imaginer que ceux qui accèdent au pouvoir grâce aux règles démocratiques en deviennent les pires ennemis ? », s’interroge l’auteur.

Des pays encore démocratiques

Par bonheur, l’ancrage démocratique se confirme dans des pays tels que le Ghana, le Cap Vert, le Nigeria, le Niger, Sao Tomé et Principe, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Botswana… Par bonheur également, le rétablissement du système du parti unique combattu dans les années 1970 et 1980, n’est pas à l’ordre du jour. Pas encore, du moins, même si l’affaiblissement des oppositions ainsi que l’accaparement des medias et de l’appareil administratif par les régimes autoritaires en place permettent de bâillonner les voix divergentes et d’instaurer, ainsi, une forme de pensée unique. Toutefois, la demande de démocratie et de l’État de droit est toujours au cœur de l’agenda politique africain.

« Soit on continue ce combat pour consolider la démocratie, soit alors c’est le retour aux ténèbres, des partis uniques, de la barbarie, de la tyrannie ».

Démocratie ou tyrannie ?

Entre les régimes démocratiques, les démocratures et les régimes autoritaires, l’Afrique est au milieu d’un gué politique qui devrait façonner son avenir.  Pour Francis Laloupo, la question centrale est de savoir si on veut consolider ou non la démocratie : « soit on continue ce combat pour consolider la démocratie, soit alors c’est le retour aux ténèbres, des partis uniques, de la barbarie, de la tyrannie ».

Pour l’auteur, la démocratie n’a pas d’identité. Il n’y a pas de démocratie occidentale ou africaine. La démocratie, tout court, est avant tout un élan collectif de populations qui aspirent à la liberté, à une communauté de destin. Elle ne se décrète pas. Il n’y a pas de frontières, ni de nationalité pour la démocratie. « Il ne faut surtout pas importer ou exporter la démocratie. Il faut la conquérir », insiste Laloupo.

Il n’y a pas de frontières, ni de nationalité pour la démocratie. « Il ne faut surtout pas importer ou exporter la démocratie. Il faut la conquérir »

Reste à évaluer quelle est la capacité des populations africaines à conduire à terme cette révolution, à conquérir des espaces de liberté, engager de vraies dynamiques de développement et en finir avec les logiques de la violence politique. Plusieurs formes de systèmes politiques sont possibles. Tout dépend de la capacité pleine et entière des acteurs politiques et de la société civile à apporter les réponses nécessaires à la gestion de la Cité. On pourrait imaginer aussi une forme endogène de démocratie participative au sein de laquelle les rôles et les attributions des uns et des autres seraient alors clairement identifiables et consignées. Une telle initiative relèverait d’un choix de société, consenti par toutes les forces vives d’un pays.

Déterminer ses propres choix

Dans un monde marqué par une démarcation conflictuelle entre systèmes démocratiques et régimes autoritaires, quels sont les choix spécifiques de l’Afrique ? Telle est l’autre question fondamentale. Plutôt que de se déterminer en fonction des intérêts objectifs des autres puissances, l’Afrique doit pouvoir construire et affirmer ses propres choix sur la scène internationale et ne plus être la variable d’ajustement des conflits entre grandes puissances.

Plutôt que de se déterminer en fonction des intérêts objectifs des autres puissances, l’Afrique doit pouvoir construire et affirmer ses propres choix sur la scène internationale

En Afrique, la démocratie demeure un enjeu historique, le plus important après celui des indépendances. Malgré les difficultés d’étapes, les militants pro-démocratie, partout à travers le continent, n’ont pas renoncé à relever le défi. Pour ces nouveaux résistants, « qui ont fait de l’usage des réseaux sociaux un domaine de militantisme planétaire, l’objet ne se réduit pas à la contestation des dérives autoritaires, mais à défendre la « nécessité démocratique », indique Francis Laloupo. Et ce dernier de rappeler encore « que l’Acte constitutif de l’Union africaine souligne « l’importance de la gouvernance démocratique, de la participation populaire, de l’État de droit et des droits de l’homme et des peuples et du développement socio-économique durable». La bataille pour la démocratie n’est pas un combat d’arrière-garde.

Francis Laloupo

Francis Laloupo est né en 1955 au Bénin. Il a une longue expérience de journaliste. Il débute sa carrière dans la presse écrite, au début des années 1980 et fonde, en 1982, la magazine Taxi Ville à Libération. Puis il devientrédacteur en chef de la Nouvelle Afrique Asie de 1996 à 2005 et directeur de la rédaction du magazine Continental de 2006 à 2010. Il a également exercé à la radio et à la télévision : comme chroniqueur à France Inter de 2002 à 2008 et à RFI, comme animateur à France Ô et éditorialiste à TV5 à partir de 2000.  En 2010, il rejoint Africa n°1 où il a animé l’émission Le Grand Débat, pendant plusieurs années.

Francis Laloupo est également chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques  (IRIS), enseignant en relations internationales à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) et à l’Institut pratique du journalisme (Université de Paris-Dauphine). Consultant media, il est directeur général de Generis Media Entreprises (GME) et préside depuis 2003 l’Observatoire des Réformes et Géopolitiques d’Afrique et Partenaires d’Europe (ORGAPE).

Il est l’auteur de deux ouvrages : « France-Afrique : la rupture, maintenant ? » (Acoria, 2013), et « Blues démocratique 1990-2020.

Blues démocratique 1990-2020

  • Éditeur : Karthala
  • Date de parution : avril 2022
  • Nombre de pages : 210
  • Prix : 20,00 euros TTC

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