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samedi 27 juillet 2024
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Comores : élections démocratiques ou truquées ?

Le président Azali Assoumani, qui est également le président en exercice de l’Union africaine, a remporté, dès le premier tour, l’élection présidentielle qui s’est tenue le 14 janvier dernier aux Comores. L’ancien putschiste rempile pour 5 ans, après la validation de sa victoire par la Cour suprême. Les 5 candidats malheureux crient à la fraude. Nassurdine Mchangama a rejoint l’opposition, après avoir soutenu le régime jusqu’en novembre 2023. Ce consultant en développement de projets, qui vit actuellement en France, dénonce une forfaiture et regrette d’avoir contribué à installer le « système ».

Propos recueillis à Paris par Arthur Malu-Malu.  

Makanisi : Quelle analyse faites-vous du processus électoral, après la validation, par la Cour suprême, de la victoire du président Azali Assoumani à la présidentielle ?

Nassurdine Mchangama : Le processus en lui-même a été biaisé dès le départ. Quand on joue un match, on ne change pas les règles du jeu au cours du match. Pourtant, c’est ce qui est arrivé aux Comores. Le président a limogé la présidente de la Cour suprême. Il sait, au plus profond de lui-même, pourquoi il a pris cette décision, mais il ne le dira pas. Le fait même d’écarter la présidente de la Cour suprême en pleine campagne soulève une série de questions.

Le limogeage de la présidente de la Cour suprême est-il légal ?

Oui, c’est légal. Je ne peux pas dire autre chose. Le président Azali Assoumani pouvait légalement procéder ainsi. Il avait le droit de la démettre de ses fonctions. Ce n’est pas interdit, mais il y a la règle et il y a l’usage. 

Parmi les candidats écartés figure le gendre de l’ex-présidente de la Cour suprême. Sa candidature a été invalidée parce qu’elle ne respectait pas les règles

Qu’est-ce qui se cacherait derrière cette décision ?

Un certain nombre d’anciens alliés du régime étaient candidats. Le régime a demandé l’invalidation de leurs candidatures, sans pour autant être suivi : ces candidatures ont quand même été acceptées. C’est la vraie raison de la mise à l’écart de la présidente de la Cour suprême. Mais ces dossiers ont été validés parce qu’ils étaient en règle. Ils obéissaient aux critères préalablement définis. Parmi les candidats écartés figure le gendre de l’ex-présidente de la Cour suprême. Sa candidature a été invalidée parce qu’elle ne respectait pas les règles. Lorsque la présidente de la Cour suprême a annoncé la couleur, comme quoi elle est là pour appliquer la loi, le régime s’est vu en danger et l’a limogée.

Les irrégularités et les dysfonctionnements que vous dénoncez ont-ils affecté la crédibilité du scrutin ? 

Azali Assoumani a été malin. Il s’est présenté à des élections présidentielles dans son pays, tout en étant président en exercice de l’Union africaine. C’était calculé à l’avance. Certains s’interrogeront : « Et la communauté internationale dans tout ça » ?

Pendant la campagne électorale, Azali Assoumani ne parlait que du bilan de sa présidence entre 2002 et 2006

L’Union africaine a reconnu la victoire électorale du président Azali Assoumani…

Le président Azali Assoumani est également le président en exercice de l’Union africaine. L’Union africaine réalisera qu’elle s’est mis le doigt dans l’œil, lorsque le président Azali Assoumani présentera son bilan. Il n’a pas de bilan, en réalité. Pendant la campagne électorale, Azali Assoumani ne parlait que du bilan de sa présidence entre 2002 et 2006.

Pourquoi la population comorienne ne s’est-elle pas révoltée à l’annonce des résultats ? 

La population, qui a du dédain pour ce régime, s’est révoltée à l’annonce des résultats. Les révoltes ont eu lieu au lendemain de la publication des résultats. Mais nous ne sommes pas nombreux et nous n’avons pas une vieille tradition révolutionnaire. Lorsque les manifestants protestent dans les rues de notre pays, il suffit qu’il y ait un décès et tout s’arrête. L’armée a tiré à balles réelles sur un jeune de 21 ans qui est mort, comme en 2019. À partir de ce moment, tout s’est estompé, parce que ce n’était pas une contestation organisée par l’opposition. C’était plutôt un mouvement spontané, même si le régime veut le mettre sur le compte de l’opposition qui est, du reste, plus nulle qu’Azali Assoumani lui-même.

C’est une fraude électorale qui a été organisée aux Comores, avec la complicité de l’Union africaine et de la Cour suprême comorienne

À quoi attribuez-vous le faible taux de participation… Un taux de 16,30 % qui, d’ailleurs, a beaucoup fluctué ?

Au bout du compte, ce taux a été recalculé et revu à la hausse par la Cour suprême. Et il est passé de plus de 16 % à plus de 60 %. Je n’ai pas une autre explication là-dessus. C’est une fraude électorale qui a été organisée aux Comores, avec la complicité de l’Union africaine et de la Cour suprême comorienne. La Commission électorale et la Cour suprême sont complices de cette fraude. L’Union africaine n’a fait que suivre. Il faut savoir que les Comoriens voient l’Union africaine d’un autre œil.

L’image de l’Union africaine s’est-elle dégradée aux Comores ?

Comme tout autre pays, nous avons des partenaires historiques. Notre premier partenaire est la France et les Émirats arabes unis se situent en deuxième position… Puis viennent la Chine et l’Arabie saoudite. Ces quatre partenaires sont actuellement impopulaires aux Comores.

Ces partenaires ont-ils tous réagi favorablement à la réélection du président Azali Assoumani ?

Certains ont réagi, d’autres n’ont pas réagi. La France, par exemple, a réagi à travers l’Union européenne.

Quelle différence faites-vous entre Azali Assoumani I, lorsqu’il avait pris le pouvoir en 1999, et Azali Assoumani II, qui a repris les rênes du pays quelques années plus tard ?

Quand il a fait son coup d’État en 1999, le pays était au bord du chaos et de la guerre civile. Son initiative était salutaire. Il a organisé les élections qu’il a remportées en 2002. Il est resté à la présidence de 2002 à 2006. Et lors de la passation des pouvoirs avec son successeur, il a essuyé les huées de la population. Cette scène est restée dans sa tête. Il a la rancœur tenace, même après 10 ans de traversée du désert.

Pourquoi a-t-il été hué ?

Les Comoriens n’étaient pas satisfaits de ce qui s’était passé. Son bilan n’était pas remarquable. Nous nous sommes fait avoir. Lors de la campagne électorale, il a défendu son bilan de 2002 à 2006. Il n’a rien dit de ce qu’il a fait ou avait l’intention de faire entre 2019 et 2024.

Nous ne sommes plus en 1997, année où on pouvait « voler » les élections, sans témoins et sans preuves

Qu’en est-il des candidats de l’opposition ? 

Chacun des 5 candidats de l’opposition a un fief, c’est-à-dire une région ou une ville acquise à sa cause. Les Comores comptent plus de 320 000 votants inscrits sur les listes électorales. Selon les résultats publiés par la Commission électorale, Azali Assoumani est passé dès le premier tour. C’est mathématiquement impossible et logiquement improbable. Nous ne sommes plus en 1997, année où on pouvait « voler » les élections, sans témoins et sans preuves. Aujourd’hui, nous avons des smartphones qui filment et partagent. Des images authentifiées circulent et démontrent cette forfaiture. Le maire de Fomboli, la capitale de Mohéli, l’une des îles de l’Union des Comores, a été pris en flagrant délit de bourrage des urnes. Au lieu d’être arrêté, il a été escorté et protégé par les forces de l’ordre. À Anjouan, une directrice financière d’une entreprise publique a également été attrapée, la main dans le sac. Elle s’est livrée aux mêmes pratiques illégales pour faire triompher le président Azali Assoumani. Dans la région de Nioumakélé, les opérations de vote se sont arrêtées à midi.

Il serait tout de même légitime de s’interroger sur les stratégies de l’opposition qui est allée aux élections en ordre dispersé…

Les Comoriens disent majoritairement que l’opposition n’aurait pas dû aller à ces élections en ordre dispersé. Mais il faut savoir que c’était pour éviter qu’Azali Assoumani ne soit élu dès le premier tour. Or c’est ce qu’il a fait, au vu et au su de tous. Je m’appuie sur des données chiffrées et je regarde aussi la composition sociologique des Comores. Ils ont bourré les urnes au profit d’Azali Assoumani.

Quelles options sont sur la table pour faire échec aux initiatives du président Azali Assoumani que vous jugez nocives ?

Nous n’avons pas 10 000 options. Chaque pays a ses problèmes. Je prends l’exemple de la France… Les agriculteurs sont en colère. La France a d’autres chats à fouetter, si on peut dire. L’Arabie saoudite, la Russie et les autres pays ont aussi leurs problèmes. Je préconise que les Comoriens règlent eux-mêmes leurs problèmes, par tous les moyens qui existent. Je ne mets pas de gants là-dessus. La communauté internationale ne pourra venir qu’après. J’appelle à l’unité de la diaspora comorienne qui est très présente en France.

Comment peut-on amorcer le dialogue entre Comoriens, alors que le président Azali Assoumani est l’arbitre ?

Comment voyez-vous l’issue de cette crise politique ?

Quand les Comoriens faisaient face à une crise séparatiste en 1997, un homme politique a dit : « Fâchons-nous d’une manière telle qu’on puisse s’asseoir ensemble pour se réconcilier ». La porte est ouverte aux négociations. Les négociations aident à résoudre les problèmes. La violence, si violence il y a, ne fait que provoquer les négociations

Vous n’excluez pas tout recours à la violence…

Il ne faut pas l’exclure, parce que le président fait tout pour que les discussions, les négociations n’aient pas lieu. Il a tout ficelé. Il fait la politique de la sourde oreille.

Partout où il passe, alors qu’il est nouvellement élu, il est hué par la population

D’une certaine manière, vous avez rejoint l’Union africaine qui prône également le dialogue entre Comoriens…

Comment peut-on amorcer le dialogue entre Comoriens, alors que le président Azali Assoumani est l’arbitre ? Telle est la question. On verra bien ce qui va se passer lorsqu’il ne sera plus le président en exercice de l’Union africaine, dès le mois de février. Les données changeront en mars. Il n’aura plus la main.  

Mais le président est en position de force, pourquoi chercherait-il à négocier ?

À ce stade, il n’est pas en position de force. La preuve ? Partout où il passe, alors qu’il est nouvellement élu, il est hué par la population qui considère qu’il n’est pas légitime, qu’il a « volé » ces élections, avec ses partisans et sa famille.

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