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mardi 19 mars 2024
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De Congokina à Pharmakina, un siècle d’histoire du quinquina en RDC

La quinine est un alcaloïde présent dans les écorces aériennes et racinières du quinquina, un arbre à feuillage persistant, de la famille des Rubacées, originaire de la cordillère des Andes, notamment du Pérou et de la Bolivie (Amérique du Sud).

L’intérêt pour cet arbre s’accrut en 1820 lorsque deux pharmaciens français, Pierre Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou, isolèrent le principe actif du quinquina qu’ils nommèrent quinine (cf. Marie Plassard)

La « poudre de la comtesse »

Le Cinchona, déformation de chinchona, qui désigne le quinquina, doit son nom à la comtesse espagnole Francisca de Chinchon, qui contracta le paludisme lors d’un voyage à Lima (Pérou) qu’elle effectua en 1629. Elle fut guérie grâce à un breuvage à base de poudre d’écorce de quinquina qu’utilisaient les Indiens des Andes pour lutter contre les fièvres. Si une seconde poussée de fièvre emporta malheureusement la comtesse à son retour au pays, son époux, le comte de Chinchon, rapporta en Espagne de grandes cargaisons de quinquina. De là, la précieuse plante, que firent connaître les missions jésuites espagnoles, gagna d’autres pays européens (Italie, France, Angleterre, Allemagne, etc.), alors fréquemment touchés par les fièvres des marais, puis d’autres continents.

De là, la précieuse plante, que firent connaître les missions jésuites espagnoles, gagna d’autres pays européens (Italie, France, Angleterre, Allemagne, etc.), alors fréquemment touchés par les fièvres des marais, puis d’autres continents.

Le quinquina fut introduit au XIXème siècle et au début du XXème siècle dans plusieurs pays d’Afrique en particulier par les Anglais, les Français et les Portugais, et, en Asie par les Anglais (Inde) et les Néerlandais (Indonésie). En Afrique lusophone, l’impulsion décisive à la diffusion du quinquina a été donnée par le Professeur Júlio Henrique, directeur du Jardin botanique de l’Université de Coïmbra (Portugal). L’arbre est implanté, en 1869, dans les îles du Cap-vert et, en 1970, à Sao Tome et Principe.

L’hégémonie hollandaise de Java

Après l’implantation du quinquina sur l’île de Java en 1852, sa culture prit de l’ampleur sous la houlette de l’Anglais Charles Ledger à partir de 1865. De vastes plantations s’y développèrent, les surfaces augmentèrent à grande vitesse, multipliant ainsi par 4 les exportations d’écorces et de sulfate de quinine  entre 1916 et 1920. Java, qui réunissait les conditions pédologiques, climatiques et d’altitude idéales pour la culture, aura le quasi-monopole de la production d’écorce, fournissant 90 % du marché mondial, jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Suite à un accord signé, en 1913, entre 122 planteurs de Java et 7 fabricants de quinine, un organisme, dénommé Kinabureau, fut établi à Amsterdam. Il devait veiller à l’application de l’accord dont le but était d’assurer des conditions stables sur les marchés des matières premières, par un système de licences visant à maintenir l’équilibre entre les exportations et les besoins mondiaux, pour éviter les fluctuations de prix. Treize usines furent contingentées dans le monde. Une seconde convention, signée en 1918, assouplit les règles. Le Kinabureau sera dissout en 1961.

Java aura le quasi-monopole de la production d’écorce, fournissant 90 % du marché mondial, jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

Premiers essais au jardin botanique d’Éala au Congo

À l’époque de l’État Indépendant du Congo, des essais de plantations de quinquina ont été effectués dans le jardin botanique d’Éala. Situé près de la rivière Ruki, à environ 7 kilomètres de Coquilhatville (actuel Mbandaka), le jardin fut créé en octobre 1900 à l’initiative du docteur Émile Laurent, un naturaliste et botaniste belge de la Faculté agronomique de Gembloux, qui y entreprit plusieurs missions jusqu’en 1904. En 1922, l’agronome belge Joseph-Jean-Marie Piéraerts, directeur du Laboratoire de recherches chimiques et onialogiques de Tervuren, qui avait fait des études sur le quinquina, « fit ressortir que les plants de Cinchona cultivés à Eala pouvaient soutenir la comparaison avec ceux d’autres pays au point de vue de la teneur en alcaloïdes totaux. Aussi devint-il un chaud partisan de la culture du quinquina en Afrique centrale ».

Toutefois, c’est dans le Kivu que la culture du quinquina prendra une réelle expansion à l’époque du Congo belge, la région aux riches terres volcaniques et au climat humide offrant un milieu favorable à certaines espèces qui affectionnent les altitudes comprises entre 1200 et 3000 mètres, en particulier au Cinchona Ledgeriana.

c’est dans le Kivu que la culture du quinquina prendra une réelle expansion à l’époque du Congo belge

Ernest Stoffels, le « père du quinquina »

Importé d’Indonésie, le quinquina fut introduit au Kivu à la fin des années 1930 par l’agronome belge Ernest Henri Joseph Stoffels, qui avait guidé le prince héritier de Belgique, le futur Léopold III, lors de son voyage à Java et Sumatra. De retour d’Indonésie, ce dernier installa en 1934 l’Institut national pour l’étude agronomique du Congo (Ineac) et confia à Stoffels la direction de la Station de Recherches agronomiques de Mulungu-Tshibinda au Kivu. De savantes sélections ont permis aux écorces des quinquinas du Kivu de contenir de fortes teneurs en quinine allant jusqu’à 11% et 12 %, soit nettement supérieures aux rendements indonésiens et indiens. En juillet 1945, Stoffels, que l’on avait surnommé affectueusement « le père du quinquina », affirmait  que « Les arbres à quinquina poussent mieux et produisent davantage qu’à Java. Les belles plantations produiront 1 100 kg par ha de sulfate de quinine en 15 ans. La sélection a progressé normalement et dans quatre ans une nouvelle amélioration pourra être acquise ».

le prince héritier de Belgique, le futur Léopold III, confia à Stoffels la direction de la Station de Recherches agronomiques de Mulungu-Tshibinda au Kivu.

De la plantation…

Au cours de la seconde guerre mondiale, de grandes plantations de quinquina furent établies au Congo, en particulier au Kivu. Elles prirent encore plus d’importance après l’occupation de l’Indonésie par les Japonais. En effet, en février-mars 1942, en réponse à la déclaration de guerre du Royaume des Pays-Bas à l’Empire du Japon en décembre 1941, les Japonais occupèrent les Indes orientales néerlandaises, dont l’île de Java, privant ainsi les armées alliées de quinine, largement utilisée dans la lutte contre la malaria.

… À l’usine de Congokina

Pour éviter une pénurie de quinine, le gouvernement belge décida, l’année suivante, de créer une usine pour traiter sur place le quinquina du Kivu. C’est ainsi qu’en 1943 une régie, appelée Congokina, installa une usine à Bukavu. Voici ce que rapporte le Bulletin d’information et de documentation de la Banque nationale de Belgique : « Le Congo, qui s’efforçait avant-guerre de produire lui-même le quinquina dont il a besoin, est parvenu à en exporter depuis lors. La consommation intérieure de ce produit est cependant grande. Elle le deviendra encore plus lorsque la campagne systématique de quininisation de l’indigène se sera généralisée. Les plantations, commencées en 1936 sur un plan industriel, couvrent actuellement plus de 2 600 ha. Pendant la guerre, une régie, dite Congokina, a érigé une usine à Costermansville [actuel Bukavu, NDLR] pour le traitement des écorces et la préparation des sels. Depuis lors, l’Office du Quinquina et la Régie ont été repris par une Coopérative des planteurs avec la participation et sous le contrôle du Gouvernement général. L’avenir de la culture du quinquina dépend évidemment de la production des Indes néerlandaises qui en détenaient le monopole avant la guerre. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que les plantations créées par les U.S.A. en Amérique centrale sont en voie de liquidation et que celles des Philippines ont subi de graves dégâts ».

Pour éviter une pénurie de quinine, le gouvernement belge décida, l’année suivante, de créer une usine pour traiter sur place le quinquina du Kivu. C’est ainsi qu’en 1943 une régie, appelée Congokina, installa une usine à Bukavu.

Puis vint Pharmakina

Pharmakina à Bukavu. DR

Après la guerre, en 1956, le groupe pharmaceutique allemand Böehringer-Mannheim s’associe à 50% dans Congokina, qui est transformée en société par actions. En 1961, un an après l’indépendance du Congo, le groupe allemand rachète la totalité des actions de l’entreprise qu’il rebaptise Pharmakina, et prend la gestion directe des plantations de quinquina abandonnées par les colons belges. La société agrandit son domaine en rachetant plus de 6 000 hectares de concessions diverses (thé, café, quinquina, pâturages et boisements). Elle abandonnera plus tard des plantations de thé et de café.

En 1997, le groupe suisse Roche prend le contrôle de l’allemand Böehringer Mannheim. En 1998, il retire Pharmakina de son groupe. Deux de ses employés, l’allemand Horst Gebbers et le français Etienne Erny, s’offrent pour la reprendre. Ils achètent les actions et en deviennent propriétaires. Horst Gebbers est décédé le 7 avril 2018 en Allemagne.  Etienne Erny est l’actuel directeur général de la société.

Sources

  • PLASSARD, Marie. Le Quinquina, histoire et développement. Thèse pour le diplôme d’État de docteur en pharmacie, présentée et soutenue publiquement le 9 décembre 2002. Faculté de pharmacie, Université de Limoges.
  • La culture des quinquinas et du pyrèthre au Congo belge. In : Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, septembre-octobre 1945.
  • Académie royale des sciences d’outre-mer. Biographie belge d’Outre-mer, tome VI 1958.
  • L’évolution de la situation économique du Congo belge de 1939 à 1947. Le quinquina. In : Bulletin d’information et de documentation, n°1, janvier 1948, Banque nationale de Belgique.
  • GOOSSENS Victor. Notes sur les Quinquinas en culture au Jardin Botanique d’Eala. In : Bulletin agricole du Congo Belge,  mars 1923.
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