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jeudi 18 avril 2024
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La filière maïs se structure peu à peu au Congo. Reste à la renforcer

Après des débuts difficiles, la filière maïs tend à trouver ses marques. De nouveaux producteurs émergent, la transformation industrielle se développe et des maillons de la chaîne de valeur de la filière se mettent progressivement en place, en particulier dans la fourniture d’intrants et de services. Mais des goulots d’étranglement subsistent. Si elle ne satisfait pas totalement la demande, la production progresse néanmoins, traduisant un début de diversification de l’économie congolaise dans l’agriculture et l’élevage.

Les premiers à s’être lancés  dans la culture du maïs, au début des années 2010, ont été des fermiers sud-africains, qui ont fondé Todi River Farms, dans le district de Malolo (Niari), ainsi que Tolona, une société à capitaux espagnols, établie près de Loudima (Bouenza). Mais l’irrégularité de la demande, les difficultés d’approvisionnement en semences et en engrais, conjuguées au manque d’organisation de la filière, ont fait chuter la production, faute de débouchés. Seuls les petits agriculteurs ont maintenu la culture pour leurs propres besoins.

À la fin de la décennie 2010, sous la conjonction de plusieurs facteurs, dont l’élevage, la culture du maïs a suscité de l’intérêt ou un regain d’intérêt. Principalement concentrée dans la Bouenza et le Niari, avec quelques producteurs dans la Lékoumou, les Plateaux et la Cuvette, la culture est réalisée par trois catégories d’acteurs.

Principalement concentrée dans la Bouenza et le Niari, avec quelques producteurs dans la Lékoumou, les Plateaux et la Cuvette, la culture est réalisée par trois catégories d’acteurs.

Les « poids lourds »

Les « poids lourds » de la filière sont des entreprises agricoles dont les superficies varient entre 100 et 300 hectares. À l’exception de Todi River Farms, qui, après une pause d’environ deux ans, a repris la culture sur quelque 1 000 ha. La société, qui a obtenu une concession de 40 000 ha, dispose d’importants matériels.

Las de dépendre des importations, Rui Frederic Barreto, directeur de la Poule Qui Rit, sa ferme avicole qui a vu le jour en 2007, près de Pointe-Noire, et compte quelque 80 000 gallinacées, a décidé de se lancer dans la culture du maïs en 2019. Il fonde Green Peas, dont les champs sont situés dans la Bouenza, près de Mont-Belo. « J’ai commencé avec 55 hectares de maïs. Aujourd’hui, nous avons 172 ha plantés, avec un rendement d’environ 6 tonnes par ha. Soit une production de 1100 tonnes. Nous allons semer 60 ha supplémentaires en avril prochain, si la pluie est au rendez-vous », confie Barreto.

La Société agricole de raffinage industriel du sucre (Saris), filiale de la Société d’Organisation de Management et de Développement des Industries Alimentaires et Agricoles (Somdiaa), un groupe français, s’est également lancée dans le maïs. Un créneau qui complète son activité principale centrée sur la culture de la canne à sucre et la production de sucre. De 40 ha, les superficies plantées en maïs sont passées à 100 ha. L’entreprise vise 300 ha à partir d’octobre prochain.

Les « poids lourds » de la filière sont des entreprises agricoles dont les superficies varient entre 100 et 300 hectares. À l’exception de Todi River Farms, qui, après une pause d’environ deux ans, a repris la culture sur quelque 1 000 ha.

Champ de maïs de Green Peas. @GP

Les néo-ruraux

La culture mobilise d’autres producteurs aux profils et aux superficies variés. Les plus petits sont des agriculteurs, dont l’activité est axée sur le vivrier. Le maïs occupe des superficies excédant rarement 5 ha.

Plus récemment, un nouveau type d’acteurs a émergé. Surnommés néo-ruraux, ces producteurs sont composés d’employés de sociétés privées, souvent agro-industrielles, comme Saris, qui veulent diversifier leurs sources de revenus,  et de jeunes Brazzavillois et Ponténégrins, sans emploi, qui cherchent des sources de revenus. Les uns et les autres disposent de petites superficies de 5 ha à 10 ha.

Au nombre des néo-ruraux figurent aussi de riches commerçants ou des hauts cadres de l’administration. Les premiers, qui investissaient dans l’immobilier, se sont tournés vers l’agriculture, la location d’appartements, de bureaux ou de maisons étant au point mort avec la crise économique. Outre l’acquisition de revenus supplémentaires, l’engouement pour l’agriculture des seconds n’est pas étranger à l’appel des autorités du pays à investir dans ce secteur. Ces néo-ruraux, dont les surfaces cultivées en maïs tournent autour de 50 hectares, ont des moyens financiers et du matériel mais ils manquent d’expériences dans le domaine agricole. Les pertes, notamment financières, résultant de la faiblesse de leurs connaissances agronomiques les amènent à délaisser la culture. Leur activité dure rarement au-delà de 3 ans.

Ces néo-ruraux, dont les surfaces cultivées en maïs tournent autour de 50 hectares, ont des moyens financiers et du matériel mais ils manquent d’expériences dans le domaine agricole.

Plus de semences

Maillon important de la chaine de valeur de la filière, l’offre en semences de maïs s’est améliorée avec l’établissement, en 2011, de Congosem, filiale du groupe français Novalliance, spécialisé dans l’amélioration des plantes, la production et la commercialisation de semences potagères et de maïs pour les zones tropicales.

L’entreprise a d’abord importé du maïs. « Notre premier client fut Tolona qui nous a commandé 3 tonnes de maïs », signale Pavy Bobenda, le responsable commercial et du développement de Congosem. Puis, sur la base d’une étude de marché, Congosem s’est tournée également vers l’importation de semences de maïs dont la demande est en progression. De 17 tonnes en 2017/18, les importations sont passées à 30 tonnes en 2020. C’est auprès de Limagrain, un groupe coopératif agricole français spécialisé dans les semences de grandes cultures, que se fournit Congosem.

Les variétés de semences vendues au Congo, réputées pour leur homogénéité et des rendements garantis, sont adaptées aux zones très pluvieuses, humides et chaudes. « Elles peuvent être utilisées en agriculture bio. Elles sont protégées des germes pathogènes au sol », informe Bobenda. 

Les clients de Congosem sont Saris-Congo, la Société des Grands Moulins du Phare (SGMP), autre filiale du groupe Somdiaa, la Poule Qui Rit, Gilles Satou, Incubateurs agricoles du Congo et des petits producteurs isolés, qui opèrent dans la Bouenza, le Niari et Brazzaville. S’il n’envisage pas de se lancer dans la culture du maïs, en revanche, Congosem n’exclut pas la possibilité de produire des semences au Congo.

Les variétés de semences vendues au Congo, réputées pour leur homogénéité et des rendements garantis, sont adaptées aux zones très pluvieuses, humides et chaudes.

Engrais et services agronomiques

La création, en 2019, de Central Africa-Agriculture (CA-Agri), un partenariat entre le sud-africain VS-Agri et le congolais General Trading Company (GTC), a été une bonne nouvelle pour les producteurs de maïs, dont certains devaient importer des engrais via des centrales d’achat ou par appel d’offre, et d’autres en acheter auprès d’importateurs installés sur place.

L’approche de CA-Agri, qui démarrera la production d’engrais dans son unité de Dolisie en avril prochain, intègre du conseil et de la formation. « Nous conseillons les agriculteurs sur  les types d’engrais et  les produits phytosanitaires à utiliser, les quantités, les mélanges à faire, en fonction des cultures et des sols. Notre spécialiste en phytosanitaire peut les former et faire les premiers épandages avec eux. Nous avons une machine qui permet de faire la dispersion du produit. À terme, nous ouvrirons des champs-écoles », souligne Michel Djombo, gérant de l’entreprise.

L’approche de CA-Agri, qui démarrera la production d’engrais dans son unité de Dolisie en avril prochain, intègre du conseil et de la formation.  L’entreprise propose d’autres services, dont l’analyse des sols et la location de matériels agricoles

CA-Agri assure par ailleurs être 5% moins cher à Dolisie que ses concurrents de Pointe-Noire et être en mesure de proposer des tarifs compétitifs. « Nous ferons du blending au prix international ». L’entreprise propose d’autres services, dont l’analyse des sols et la location de matériels agricoles. « Nous pouvons déjà mettre en location une moissonneuse et, dans un proche avenir, nous aurons des tracteurs », signale Djombo.

Transformation industrielle

Pendant longtemps, la transformation locale du maïs était artisanale et pratiquée par les fermes avicoles ou par des coopératives de transformateurs qui possédaient des petits moulins. Elle l’est encore. Mais avec l’installation à Pointe-Noire de la SGMP, la transformation industrielle a fait son entrée au Congo. Inauguré en février 2020, ce vaste complexe industriel, établi dans l’enceinte du port maritime, compte entre autres une maïserie qui peut traiter entre 25 000 et 30 000 tonnes de maïs par an.

Trois types de produits y sont fabriqués : du gritz (cœur de la graine de maïs), de l’aliment de bétail provenant des résidus du gritz (son et mélanges avec protéines) et de la farine à destination des ménages congolais pour faire des bouillis.

Destiné aux brasseries du Congo, le gritz, qui représente l’essentiel de la production de l’entreprise, est également écoulé au Cabinda, une province angolaise qui fait frontière avec le département de Pointe-Noire. Sons et  mélanges protéinés sont vendus aux élevages porcins, avicoles et d’autruches. Les clients de la farine de maïs, un très petit marché, sont des supermarchés et des grossistes.

Ce vaste complexe industriel, établi dans l’enceinte du port maritime, compte entre autres une maïserie qui peut traiter entre 25 000 et 30 000 tonnes de maïs par an.

Appui aux petits producteurs

La SGMP se fournit en maïs auprès des producteurs locaux dont certains, comme Green Peas, sont à la fois ses fournisseurs et ses clients. Bien qu’en augmentation, la production locale reste insuffisante, obligeant l’entreprise à importer du maïs de France. L’objectif de la société est de s’approvisionner sur le marché local.

Pour sécuriser son approvisionnement, la SGMP établit des contrats avec les grands producteurs. Avec les petits producteurs de la zone de Nkayi, elle a mis en place des contrats aidés pour doper leur production. « On leur avance une partie des intrants, on les accompagne, on les forme et on assure un suivi. En échange, ils s’engagent à nous remettre les volumes produits. L’objectif est de les rendre autonomes d’ici quelques années », indique Julia Gardies, responsable Développement Maïs et Supervision Couvoir chez SGMP. Le bilan est encourageant : la surface cultivée par ces petits producteurs est passée de 175 ha à 650 ha.

Des réunions de formation sont organisées mensuellement avec les jeunes urbains qui veulent se lancer dans la culture, « l’idée étant de leur expliquer ce qu’on fait sur leurs champs pour qu’ils soient en mesure de prendre eux-mêmes des décisions », explique Julia.

Badiba Jirphel, jeune producteur de maïs dans la Bouenza. @Julia-Gardies

Le problème du financement

Malgré les avancées constatées dans la structuration de la filière, deux grands obstacles, difficiles à lever, subsistent. En premier, le coût du transport routier, particulièrement élevé au niveau du péage sur la RN 1, entre Brazzaville et Pointe-Noire. Le second problème est le financement. Les banques sont frileuses et les crédits octroyés au compte-goutte et chers. Ce qui exclut les petits producteurs des prêts bancaires et bloque l’extension des superficies des grands qui « n’arrivent pas à financer leur croissance », déplore Djombo. La SGMP, pour sa part, mise sur l’augmentation des surfaces et donc du marché pour amener les banques à s’intéresser à la filière, en établissant des contrats tripartites. Un moyen de déléguer la partie financement au secteur bancaire.

Les banques sont frileuses et les crédits octroyés au compte-goutte et chers.

Quid de l’irrigation ? Au Congo, la culture du maïs est pluviale,  avec deux récoltes par an, mais soumise aux aléas climatiques. L’irrigation permettrait d’améliorer les rendements et de s’affranchir des pluies. Mais son coût est élevé, soit 1,5 million de FCFA par hectare. Difficile d’envisager cette option pour le moment, sauf si l’État finançait l’infrastructure.

La formation des agriculteurs, en particulier des petits agriculteurs, reste une bataille. « Il faut passer de l’agriculture traditionnelle à l’agriculture commerciale. La première est basée sur la transmission orale de savoir-faire ancestraux, la seconde impose d’autres pratiques culturales, incluant la prévention et la prévision, et l’acquisition de connaissances agronomiques », renseigne Michel Djombo.

De bonnes perspectives ?

La culture du maïs a de beaux jours devant elle, car d’importants segments du marché sont loin d’être couverts. « Pour satisfaire l’ensemble des besoins du Congo, il faudrait planter 7 000 ha de maïs, à raison d’un rendement de 4 tonnes par ha », indique Julia Gardies.

La culture du maïs a de beaux jours devant elle, car d’importants segments du marché sont loin d’être couverts.

Un potentiel existe du côté des brasseries. Les besoins en gritz de Brasco, la brasserie du groupe Heineken, sont d’environ 5 000 à 6 000 tonnes par an. Ceux de Bralico, du groupe Castel dont fait partie Somdiaa, tournent autour de 3 000 à 4 000 tonnes. Des besoins que la production locale ne satisfait pas.

L’élevage est un autre créneau porteur de croissance. « Avec la crise économique qui s’est installée, beaucoup de petites fermes d’élevage, qui avaient entre 2000 et 5 000 poules, se sont créées. Par manque d’aliment de bétail, elles ont périclité. Mais elles pourraient être viables aujourd’hui, grâce à la SGMP », informe Djombo. La production de poussins de la SGMP devrait également stimuler l’élevage avicole.

Le maïs de bouche est un autre marché à condition d’introduire des variétés améliorées. Consommée surtout en milieu rural, la plante a fait une percée à Brazzaville. «  Lorsque les populations rurales adoptent un produit, elles diffusent sa consommation  en milieu urbain », explique Bobenda. Son entrée dans les habitudes alimentaires en zone urbaine pourrait conduire à l’augmentation des superficies et des rendements. Et permettre de rendre le pays moins dépendant de l’extérieur sur le plan alimentaire. « Ce sont les petits producteurs ruraux qui assureront la stabilité de ce marché », assure Bobenda.

Bien évidemment, le marché de la RDCongo, notamment les provinces de Kinshasa et du Kongo Central, intéresse les uns et les autres. « Mais il faut déjà consolider la filière au Congo, avant de se lancer ailleurs », insiste Julia Gardies.

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