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jeudi 28 mars 2024
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La ronde des ombres, une fiction sur la dictature et la politique en Afrique centrale

Premier roman de Philippe N. Ngalla*, La ronde des ombres met en scène Sylvestre, un despote imaginaire, en fin de règne, tourmenté par l’apparition d’ombres mystérieuses et l’éventualité d’un soulèvement populaire. Tout autour de lui gravite une palette de personnages, dont l’auteur nous croque de truculents portraits : les bénéficiaires directs du régime, membres du premier cercle, et, dans leur sillage, ceux qui profitent du ruissellement de la manne présidentielle, puis, très loin du pouvoir, le peuple, grande victime du système, une force de changement potentielle mais peu organisée.

Ce roman, passionnant et agréable à lire, offre une peinture réaliste d’un régime en fin de course, dont le dirigeant, archétype du dictateur qui s’est enfoncé, au fil des ans, dans les « délices » du pouvoir, passe son temps non pas à gérer la cité mais à maintenir son pouvoir par tous les moyens.

Prisonnier de l’univers qu’il a créé

La ronde des ombres, c’est ce tourbillon sans fin de fantômes qui viennent envahir Sylvestre, un chef d’État africain. Mais loin d’être une danse légère, la ronde s’apparente plutôt à une ronde de prisonniers. Martelant de leurs pas lourds le sol de sa conscience et de son inconscient, les fantômes transforment l’univers de Sylvestre en un système carcéral. Un monde qu’il a lui-même créé et qui se referme sur lui. La prison dans laquelle il a enfermé son peuple, est devenue la sienne. Il ne peut plus en sortir. Il est devenu son propre prisonnier.

Quelle issue pour échapper au pire ?

Tourmenté par cette ronde infernale, au bord du désespoir, le vieux potentat, séparé du peuple par une barrière de dignitaires et de thuriféraires, cherche une issue. Doit-il encore faire appel aux forces occultes ? Hélas, ni les féticheurs, ni sa conseillère en sciences occultes ne peuvent plus rien pour lui désormais. Sylvestre a dépassé les bornes. Il a brisé le pacte qu’il avait scellé avec la forêt. L’esprit de la forêt, sa protectrice, s’est détourné de lui.

Si les fétiches ne sont plus efficients, que faire après avoir joué la carte des violences politiques, puis celle de l’achat des consciences ?

Si les fétiches ne sont plus efficients, que faire après avoir joué la carte des violences politiques, puis celle de l’achat des consciences ? Ouvrir un peu les vannes pour faire taire la révolte populaire et une opposition qui s’agite, et tenter, ainsi, d’échapper à la menace d’une chute impitoyable qui pourrait en résulter ? Le vœu est certes pieux, mais il révèle davantage la profondeur du désarroi et de la peur de Sylvestre qu’une réelle volonté de changement.

Ceux qui veillent au grain

Et de toute façon, vouloir ouvrir les vannes serait sans compter avec les ayatollahs du régime, qui ont plus à perdre qu’à gagner d’une ouverture politique même limitée.  Neveu et aide de camp du président, l’énigmatique Bruno est l’un de ces ayatollahs qui veillent au grain. S’il veille sur son oncle, il cherche aussi et surtout à maintenir ses avantages. Incapable de sentir et d’accepter les évolutions sociales et politiques, il écarte en effet tous ceux qui pourraient influencer (dans le bon sens) son oncle. Enfant du clan, élevé dans un cercle fermé, surprotégé, il est à mille lieux du quotidien difficile du petit peuple, qu’il découvrira à la faveur d’une enquête destinée à tester le pouls de l’opposition. Une enquête policière qui le mènera au fin fond des bars et des malewas (restaurants populaires) de Brazzaville. Mais cela ne changera rien à ses convictions.

Et de toute façon, vouloir ouvrir les vannes serait sans compter avec les ayatollahs du régime, qui ont plus à perdre qu’à gagner d’une ouverture politique même limitée. 

L’emprise de l’occultisme

Parmi les détenteurs de « forces occultes », auxquels Sylvestre a souvent recours, figure Vieux Faugon, un nganga (féticheur), qui opère à Madingou. Fin manipulateur, harnaché de multiples grigris, il use de divers subterfuges et même de psychologie pour pratiquer sa « science » et envoûter ses patients. Il incarne une image dévoyée du féticheur d’autrefois, celui qui guérissait les âmes et les corps, dont il n’a plus les qualités. Il lui reste toutefois un zeste de conscience. Il refuse ainsi de « couvrir » les forfaits de Sylvestre.

Fin manipulateur, harnaché de multiples grigris, il use de divers subterfuges et même de psychologie pour pratiquer sa « science » et envoûter ses patients.

Issue d’un milieu populaire, Mamou Cocton est une jeune arriviste, qui veut se hisser au dessus de la mêlée. Grâce à quelques « bonnes » fréquentations, dont Marcel Ebara, qui finit par l’apprécier et devient son conseiller spirituel, Mamou s’intéressera à la lecture, à la philosophie et même aux arts. Si elle parvient à se faire nommer conseillère en sciences occultes du président, elle ne fera toutefois jamais la bêtise d’être « hors jeu ». Pas question de dépasser les bornes, même s’il s’agit de conseiller le président. Elle ne veut pas prendre le risque de perdre ses biens, dans le cas d’une confrontation entre le peuple et le régime.

Les « sociologues » de Poto-Poto

Brazzaville est un autre personnage du roman. Disons plutôt la Brazzaville populaire, figurée par Poto-Poto, à la fois arrondissement et quartier, situé au cœur de la capitale. C’est dans cet univers grouillant de vie et cosmopolite depuis sa création, où cohabitent des Congolais de toutes les régions du pays et des étrangers notamment des Ouest-africains, que l’on fait connaissance avec les shégués, les enfants de la rue, dont Asta Guerra est l’une des figures emblématiques.

Véritables « sociologues » de terrain, fins limiers, ils arpentent chaque recoin et chaque ruelle de la ville, en quête d’informations qu’ils négocieront ensuite à bon prix. Ils connaissent tout le monde, notamment tous les « grands », avec leurs défauts, leurs qualités et leurs habitudes.

Ils savent qui fait quoi, qui est puissant et qui ne l’est pas ou qui ne l’est plus. C’est grâce à Asta Guerra que Mamou a pu atteindre son but : mettre un pied à la présidence.

Ils connaissent tout le monde, notamment tous les « grands », avec leurs défauts, leurs qualités et leurs habitudes

Dans ce monde où la morale a pris un grand coup dans l’aile, où l’on « s’arrange » avec sa conscience, deux personnages sortent du lot : Moussa Dramé, le vieux sage, et Marcel Ebara, un fonctionnaire retraité, qui représentent les grandes valeurs de base : l’honnêteté, la rigueur, le travail bien fait et la défense de l’éducation. De quoi espérer…

* Né au Congo-Brazzaville, Philippe N. Ngalla est le fils de l’historien Dominique Ngoïe-Ngalla, décédé le 17 octobre dernier. Juriste de profession, il vit en France depuis une vingtaine d’années.

Philippe N. Ngalla

La ronde des ombres

  • Auteur : Philippe N. Ngalla
  • Éditeur : Le Lys bleu Éditions
  • Date de publication : janvier 2020
  • Nombre des pages : 204 p.
  • Prix : 17,60 euros
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