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samedi 20 avril 2024
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Le Cameroun mise sur des vaches laitières françaises.

Le 3 octobre 2020, 165 génisses, de race montbéliarde, quittaient le Jura (France), leur région natale, pour un voyage de six heures en avion, qui les a menées à Garoua, une ville située dans le nord du Cameroun. Soit un périple de plus de 5000 km. Quelques mois plus tard, 143 veaux voyaient le jour à la station zootechnique de Louguéré, créée en 1982, où les vaches, réputées pour être de très bonnes laitières, ont été installées le temps de leur acclimatation et du vêlage, avant d’être dispatchées à l’intérieur du pays. Le but de l’opération ?  Doper la production laitière du pays et réduire les importations. Explications.

Malgré une production de lait d’environ 275 000 tonnes par an, le Cameroun accuse un déficit estimé à 120 000 tonnes. Soit quelque 20 milliards de FCFA (30,5 millions d’euros) d’importations de produits laitiers dont de la poudre de lait destinée aux laiteries. Un manque qui s’explique par la faible productivité des vaches locales, dont la production de lait dépasse rarement 10 litres/jour. Un volume très inférieur à celui de la montbéliarde qui peut atteindre 30 l/j, sur une période de 10 mois.

Le Prodel

L’importation des ruminants au Cameroun s’inscrit dans le cadre du Projet de développement de l’élevage (Prodel). D’une durée de 6 ans et financé par la Banque mondiale (134,15 millions de dollars) et le gouvernement camerounais, représenté par le Ministère de l’Élevage, des pêches et des industries animales (Minepia), le projet comprend 4 composantes interconnectées. « C’est dans la sous-composante Amélioration de l’accès aux intrants et aux services de qualité, que les génisses ont été importées », souligne Fidèle Yobo, spécialiste Agriculture au bureau de la Banque mondiale à Yaoundé. 

Considérées comme des intrants de qualité, les 165 génisses ont été fournies, pour un montant de 824 881 euros, par Coopex Montbeliarde, une coopérative agricole française, sise dans le département du Doubs (France), qui regroupe des éleveurs.

Considérées comme des intrants de qualité, les 165 génisses ont été fournies par Coopex Montbeliarde, une coopérative agricole française, sise dans le département du Doubs (France)

L’objectif du Prodel étant d’améliorer la productivité des systèmes de production et la commercialisation des produits du secteur de l’élevage, un travail de réflexion sur la chaîne de valeur de la filière lait a été engagé et un ensemble d’actions (identification des  bénéficiaires, élaboration de cahier des charges, formation) a été mené avant la venue des vaches au Cameroun. Avec les inévitables recentrages, pour rectifier le tir.   

Djedo Palwe à Louguéré.

En peu de temps, les montbéliardes, une race résistante aux tensions thermiques, se sont adaptées aux chaleurs du Sahel. « Bien nourries et abreuvées, elles se sont vite acclimatées et ont vêlé sans problème. La montbéliarde s’acclimate mieux à la chaleur que la holstein », explique Jean-Paul Brun, expert de Coopex, formateur et conseiller.

Ainsi dès le mois de février 2021, 164 génisses et leurs veaux ont été partagés entre 17 éleveurs, répartis dans trois régions du pays : l’Extrême nord, l’Adamaoua et le Centre. Le nombre de vaches par éleveur varie de 3 à 20. Une 2è vague d’importation de vaches est prévue courant 2021, qui ciblera peut-être d’autres régions.

L’acquisition des vaches devant permettre d’alimenter la filière laitière, l’activité doit impérativement prendre en compte le marché. D’où la nécessité pour le bénéficiaire d’élaborer un plan d’affaires.

Des business plans

À l’origine, le gouvernement pensait remettre les génisses à tous les élevages. Mais il a dû revoir ses critères. L’acquisition des vaches devant permettre d’alimenter la filière laitière, l’activité doit impérativement prendre en compte le marché. D’où la nécessité pour le bénéficiaire d’élaborer un plan d’affaires et d’établir des connexions entre producteurs et acheteurs de lait. D’autres conditions sont également imposées.

Le Prodel accompagne le bénéficiaire dans l’élaboration et la mise en œuvre de son business plan, qui doit être validé pour être co-financé. Cet investissement à coûts partagés met en jeu trois acteurs : le Prodel, les bénéficiaires et les banques locales. La contribution du Prodel permet à l’éleveur d’être bancable. Ce dernier devra lui-même rembourser le prêt à la banque. Le Prodel a signé des conventions avec deux banques et des établissements de micro-crédit, qui les engagent à ouvrir des lignes de crédit aux promoteurs.

L’éleveur Nana Bouba Amadoua et son staff.

Un élevage sédentaire

Avant l’arrivée des vaches, diverses actions ont été engagées pour s’assurer que les montbéliardes seront bien entretenues. Ainsi des bergers, des éleveurs, des vétérinaires, des inséminateurs et des techniciens ont été envoyés en formation, pour se familiariser avec la race, apprendre à la nourrir et à la soigner et permettre aux génisses de vêler dans de bonnes conditions. La reproduction se fera par insémination.

Pour des raisons économiques et sécuritaires, l’élevage laitier, lui, est de type sédentaire. Ce nouveau mode d’élevage nécessite d’accueillir les vaches dans des fermes.

Traditionnellement, l’élevage bovin est transhumant au Cameroun, en particulier dans la partie septentrionale du pays. Pour des raisons économiques et sécuritaires, l’élevage laitier, lui, est de type sédentaire. Ce nouveau mode d’élevage nécessite d’accueillir les vaches dans des fermes.

D’où la nécessité pour le bénéficiaire « d’aménager une étable, qui fait fonction d’aire de repos, de construire un puits, d’avoir un système d’adduction d’eau et des fourrages. Une commission se rend sur place pour constater si toutes les conditions logistiques, alimentaires et sanitaires sont réunies », explique Djedo Palwe, ingénieur agronome au Minepia, directeur-adjoint de la station de Louguéré. La plupart des éleveurs se sont dotés de trayeuses mécaniques.

Traite dans la coopérative d’Ismael Bel,
responsable de l’association des éleveurs de montbeliardes

L’essentiel de la nourriture des ruminants est fourni par des fourrages. Mil, sorgho, coton ou maïs… Chaque zone agro-écologique a ses plantes spécifiques. Néanmoins, la production de fourrages de qualité n’est pas encore très bien maîtrisée. Depuis la production de semences fourragères jusqu’aux techniques de récolte sous forme sèche et de stockage des foins et des tourteaux, les formations se poursuivent. Sur le terrain, les choses progressent, même si des efforts sont encore nécessaires pour éviter les pertes de poids des animaux et donc le risque de diminution de la production de lait.

Collecte et transformation du lait

Au stade de l’élaboration du projet, la question de la collecte du lait n’avait pas été clairement anticipée, mais le lien entre production de lait, collecte et transformation est aujourd’hui bien établi. Mis en place par le Minepia, des laiteries ou des éleveurs, des centres de collecte se structurent dans les zones de production et autour des laiteries, vers lesquelles le lait est acheminé. Ces initiatives veillent aux questions d’hygiène avec la mise à disposition de récipients adaptés et de matériels pour mesurer la qualité du lait.

Quid de la transformation ? Le Cameroun ne manque pas de laiteries. Dans un projet antérieur, financé par l’Union Européenne, des mini laiteries ont été construites et équipées, venant s’ajouter ainsi au réseau existant. Mais elles n’ont pas pu être fonctionnelles par manque de lait.

Lait frais, beurre, fromages (gouda, mozarella), yaourts et crèmes glacées… Le savoir-faire existe localement et la gamme des produits laitiers est variée.  Le type de laitages consommés diffère selon les régions.

Lait frais, beurre, fromages (gouda, mozarella), yaourts et crèmes glacées… Le savoir-faire existe localement et la gamme des produits laitiers est variée. Le type de laitages consommés diffère selon les régions. Les populations du nord du Cameroun ont une préférence pour le lait frais, le yaourt et le beurre. Dans les deux grandes villes du pays, Yaoundé, la capitale, et Douala, la demande en fromages est plus forte.

Les vaches montbéliardes donnant plus de lait que prévu, la transformation pose problème. Les capacités de stockage de lait frais oscillent entre 1500 et 2000 litres/jour, mais celles de transformation dépassent rarement 500 litres/jour. Seules deux laiteries peuvent parvenir à 1 000 litres. D’autres goulots d’étranglement freinent le décollage et la rentabilité de la transformation. En cause, les emballages, qui sont importés, et la mauvaise qualité du réseau routier dans certaines régions, qui rend difficile l’acheminent de la matière première jusqu’à la laiterie.

L’essentiel de la nourriture des vaches est fourni par des fourrages.

Un fort engouement

Toutefois, malgré les problèmes, l’engouement et la volonté sont là. Des coopératives d’éleveurs, de collecteurs et de transformateurs de lait se mettent peu à peu en place. Une maison des éleveurs de montbéliardes a été installée à Ngaoundéré. À tous les stades de la filière, des investisseurs se mobilisent. Des éleveurs veulent acquérir des vaches. Des privés se positionnent pour réhabiliter et exploiter des laiteries. D’autres veulent agir sur la collecte pour la rendre plus efficace. Pour s’équiper et transformer davantage, des laitiers envisagent de faire des achats groupés pour importer des machines. Çà et là, des laiteries organisent des brain-storming pour mettre au point leurs produits. « On teste des yaourts, du fromage et du beurre », indique Jean-Paul Brun.

À tous les stades de la filière, des investisseurs se mobilisent. Des éleveurs veulent acquérir des vaches. Des privés se positionnent pour réhabiliter et exploiter des laiteries. D’autres veulent agir sur la collecte pour la rendre plus efficace.

Laiterie de Ngaoundéré

Les produits sont de plus en plus disponibles sur le marché. « On les trouve dans les supermarchés, les supérettes, les kiosques et les boutiques de détail, en particulier dans les grandes villes comme Yaoundé, Douala ou Garoua », signale Djedo. Chaque laiterie a sa marque et a lancé un appel à manifestation pour la création de son logo.

Outre les marchés local et national, les études préparatoires ont ciblé le marché sous-régional, notamment les pays où l’élevage laitier est difficile compte tenu des conditions climatiques. 

« On est allé au Tchad, au Gabon et au Nigeria pour étudier les opportunités pour nos produits dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine », informe Djedo. Toutefois, l’exportation ne sera envisagée que lorsque les besoins du marché national seront satisfaits.

Un marché porteur

Après le 30 janvier 2023, date de l’achèvement du Prodel, la filière sera-t-elle en mesure de se pérenniser ? Certes, elle sera encore fragile, mais plusieurs facteurs permettent d’être optimiste. À travers l’acquisition d’équipements et d’intrants et le renforcement des savoir-faire des acteurs, les bases de la filière ont été posées. Si les consommateurs se montrent réceptifs aux produits et si des privés continuent à manifester de l’intérêt pour la filière, il n’y a aucune raison qu’au plus haut niveau de l’État, rien ne soit mis en œuvre pour pérenniser et renforcer les acquis du Prodel. Par le passé, des initiatives de transformation du lait local ont été faites dans l’Adamaoua, un bassin laitier important, des unités ont fait faillite, mais le marché est porteur.

À travers l’acquisition d’équipements et d’intrants et le renforcement des savoir-faire des acteurs, les bases de la filière ont été posées.

Le jeu en vaut la chandelle. À travers la production laitière, c’est toute une filière qui se met en place. À la clef, la création d’activités, d’emplois et de revenus, une économie de devises et le développement de synergies entre l’élevage, l’agriculture, les services et l’industrie.

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