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vendredi 19 avril 2024
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Les Aquatiques d’Osvalde Lewat ou la quête d’une existence authentique

Paru en août 2021 aux éditions Les Escales, le roman “Les Aquatiques” marque le début littéraire de la cinéaste et photographe Osvalde Lewat. L’essai est concluant. Après les salutations des libraires et des critiques, l’ouvrage de l’auteure d’origine camerounaise a été distingué par le Grand prix panafricain de littérature.

État imaginaire sous les traits duquel se profile le Cameroun, le Zambuena accueille le roman. Une variété de figures pittoresques forme les motifs dominants de cette toile romanesque : une épouse de notable éprise d’amitié pour un artiste homosexuel, sa nonne de sœur, un mari violent et volage, une tante bigote, un père partisan du pouvoir en place, des fréquentations en haut lieu…

La trame se noue autour d’une série de péripéties, à travers lesquelles le quotidien de Katmé Abia (épouse d’un dignitaire du pays) va basculer.

Un destin qui bascule

La trame du roman se noue autour d’une série de péripéties, à travers lesquelles le quotidien de Katmé Abia (épouse d’un dignitaire du pays) va basculer. Lorsqu’il apprend que la tombe de sa belle-mère, décédée il y vingt ans, doit être déplacée, Tashun, son conjoint, animé par son ambition politique, décide d’organiser de nouvelles funérailles, grandioses, capables de dynamiser sa campagne pour une élection.

L’arrestation du sculpteur et photographe Samy, ami et protégé de Katmé, menace de compromettre les ambitions de Tashun et provoque une confrontation entre les époux, dont le choc favorisera un nouveau regard de Katmé sur son existence. Bien que l’intrigue s’articule, pour l’essentiel, autour de l’emprisonnement de Samy, le cœur et la philosophie du roman émergent des conflits internes de Katmé et des oppositions auxquelles l’exposent ses inclinations éthiques.

Les ravages d’une gouvernance perverse

Composé en forme de diptyque, le roman brosse un tableau d’une complexité et d’une richesse à la hauteur des maux sociopolitiques qui l’ont inspiré. Sur ses panneaux, le sort de l’individu dans une société qui le nie, dialogue avec les effets sur la masse d’une gouvernance perverse. Emprunté à une série de photos de Samy, le titre du roman est opportun à cet égard. La bien-nommée séquence d’images « présentait des visages terrifiés émergeant d’eaux usées, d’inondations, les pièces d’identités surnageant, des mères suspendant à bout de bras au-dessus de leur tête un bébé, une lampe, une valise, la figure tuméfiée d’un noyé ».

Composé en forme de diptyque, le roman brosse un tableau d’une complexité et d’une richesse à la hauteur des maux sociopolitiques qui l’ont inspiré.

Au moyen d’une intrigue qui la situe dans la lignée du romancier sud-africain André Brink, sont harmonieusement romancés les ravages d’un tel ordre politique sur les aspirations au progrès du petit peuple et la quête d’une existence authentique dans une société conformiste. Osvalde Lewat enfonce-t-elle une porte ouverte ? Oui ! Et son geste est le bienvenu. Tant que l’injustice affectera l’histoire de l’humanité, les plumes comme la sienne seront toujours à propos.

Les plaies d’un pays vues par une nantie

La série de photos éponyme du roman laissait envisager une intrigue inspirée des misères du petit peuple des bidonvilles, Osvalde Lewat prend cette attente à contre-pied. Les plaies du pays sont envisagées à travers le prisme d’une nantie. Le point d’observation, s’il est inhabituel, a le mérite de montrer l’inconfort d’une privilégiée en rupture avec les valeurs de son milieu.

Les plaies du pays sont envisagées à travers le prisme d’une nantie. Le point d’observation, s’il est inhabituel, a le mérite de montrer l’inconfort d’une privilégiée en rupture avec les valeurs de son milieu.

Les mécanismes sociaux, psychologiques et politiques qui animent le Zambuena émergent des rapports de Katmé avec les autres protagonistes. Ceux-ci, efficaces dans les rôles assignés par l’auteure, forment des formidables contrastes avec une Katmé exaltée par un effet de clair-obscur. Conservatisme, souci des convenances de l’élite éduquée éclatent dans l’attitude de Tashun à l’égard de son épouse. N’affirme-t-il pas que « c’est pas en étant spirituelle qu’on fait bouillir la marmite ». Les exhortations de Mama Récia à la résignation face aux complications matrimoniales accusent la submersion de l’individu par les valeurs groupales et religieuses.

Son ami et protégé Samy Pankeu, artiste homosexuel, fait figure de martyre d’une condition illicite et jugée immorale par la société zambuenaise. Le tripotage du troupeau n’est pas en reste. L’inconséquence de l’exécutif ne laisse souvent d’autre choix à ses victimes que la débrouille. L’expédient est aussi l’antichambre de la canaillerie. Au gré des déplacements de Katmé, de la contingence de ses rencontres, s’animent – comme dans les pays africains incarnés par le Zambuena – diplômés échoués dans la débrouille, charlatans, policiers sadiques, escrocs, trafiquants d’ossements, etc.

Une femme en quête de son authenticité

Quelques romanciers de génie se réclament de la filiation des grands tragiques. Forts ou faibles, leurs personnages, au milieu de conflits inextricables, déploient des prodigieuses ressources d’humanité. Laids ou admirables, jamais tièdes, ces caractères frappent l’esprit d’une estampe durable. Bénéficiant de la nuance propre au roman, les personnages de ce genre ne s’expriment pas avec une radicalité immédiate. L’épaisseur du temps offre au lecteur le spectacle de leur transformation. Ainsi aura-t-il fallu un électrochoc à Katmé pour que fluctue en elle le désir d’une existence en résonnance avec ses propres aspirations.

Mais l’expression d’un soi authentique dans un contexte réfutateur de la singularité et soucieux, tel un berger avec ses brebis, de la réclusion des femmes dans un enclos étriqué exige un rare courage.

Mais l’expression d’un soi authentique dans un contexte réfutateur de la singularité et soucieux, tel un berger avec ses brebis, de la réclusion des femmes dans un enclos étriqué, exige un rare courage. Gauchement mariée, emprisonnée par l’opulence, le confort, les enfants, elle évolue sur une ligne de crête. Elle tergiverse. « Rien, admet-elle dans un aveu de dépendance, n’aurait été possible sans Tashun […] il tenait – à défaut de bonheur pour moi, du moins notre bien-être, en vigilance »

Le souci du détail et de la précision

Le mérite de l’auteur quant aux protagonistes n’aurait, seul, suffit à porter Les Aquatiques à son formidable degré de réalisme. Restitué avec le souci du détail et de la précision, le cadre de l’intrigue y contribue en de grandes proportions. La traversée de l’ouvrage marque, en effet, par son puissant aspect visuel ; lieux et atmosphères, finement décrits, s’objectivent dans l’imagination. Les relations d’accidents et de sévices, par exemple, charrient la violence des circonstances avec une âpreté si émouvante que la distance, qu’instaure en principe le caractère fictif des faits, n’épargne pas la douleur au lecteur.

La traversée de l’ouvrage marque par son puissant aspect visuel ; lieux et atmosphères, finement décrits, s’objectivent dans l’imagination.

À mesure que les pages se tournent, le faste des rentiers de la mal-gouvernance isolés sur un îlot d’abondance au milieu d’un océan de misère, les ravages de la corruption, la dégradation des infrastructures  apparaissent avec une netteté troublante.

L’apport de la photographie et du cinéma

Qu’un ensemble de clichés saisissants prête son titre à un roman ne suffit pas à le nuancer du même adjectif. Photographie et fiction romanesque obéissent à des exigences trop étrangères. Les sources du génie dans l’un et l’autre art ne sont guère interchangeables. Capter l’émotion à travers une posture ou un instant, sublimer une scène ou un paysage au moyen de l’instantané appartiennent à la photographie.

Le roman aussi fige, mais sa fixation, soumise à la dynamique des phrases, paragraphes et chapitres, est moins évidente. Il ne vise pas la simultanéité ; progressivement il érige un ensemble cohérent où apparaissent, plus richement qu’ailleurs, les ambiguïtés de l’expérience humaine. A cet égard, Osvalde Lewat détient le nécessaire pour se distinguer. Au nombre de ses mérites, le rejet des angles morts du manichéisme. Seul un regard ample pouvait aboutir au panorama des travers reflétés par Les Aquatiques.

Le roman ne vise pas la simultanéité ; progressivement il érige un ensemble cohérent où apparaissent, plus richement qu’ailleurs, les ambiguïtés de l’expérience humaine.

Le lecteur transformé en témoin

Par-delà leur identification par des allusions à leur apparence, les personnages gagnent en relief par leurs comportements (attitudes habituelles, tics de langagiers, etc.), leurs caractères, leurs valeurs, leurs flottements. Leur histoire aussi. Infusant chair et âme dans le récit, ils se hissent à un point de véracité qui évoque un propos d’Orhan Pamuk dans Les nuits de la peste : « l’art du roman repose sur le talent de raconter une histoire comme si elle avait été vécue par d’autres, et l’histoire des autres comme si nous l’avions vécue ». L’apport du cinéma y est probablement pour quelque chose ; Oswlade Lewat transforme le lecteur en témoin.

La fiction littéraire, le roman notamment, se rapporte à la chimie par le mélange de ses composants. Seulement, en art, pris isolément, le bon dosage est inopérant ; la réussite d’une oeuvre découle surtout de sa capacité à remuer l’âme. Osvalde Lewat peut se réjouir d’y être parvenue.

Auteure : Osvalde Lewat

Osvalde Lewat (Facebook)

Née à Garoua au Cameroun, photographe d’art et réalisatrice de films documentaires plusieurs fois primés, Osvalde Lewat vit à Paris. 

  • Titre : les Aquatiques
  • Éditeur : Les Escales
  • Parution : 18 août 2021
  • 304 pages
  • Prix : 20 euros
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