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mardi 19 mars 2024
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Les combats de Brice Arsène Mankou, sociologue et défenseur des droits

Vivre ensemble, lutter contre les discriminations, comprendre les phénomènes sociaux et migratoires, rassembler… sont au coeur des travaux de recherche, des engagements, des enseignements et des activités de Brice Arsène Mankou, originaire du Congo-Brazzaville. Son riche parcours l’a mené du journalisme à la recherche et à l’enseignement, en passant par le séminaire et l’action politique à la base en tant qu’élu local.   

« Nous sommes une famille mélangée. Mon père qui travaillait à Air Afrique, a exercé dans divers pays  dont la Côte d’Ivoire et le Cameroun. Certains de mes frères et sœurs ont épousé des étrangers », déclare Brice Arsène Mankou. Ce melting pot familial aurait-il influencé ses choix futurs ? Sans nul doute. Toutefois, hors vacances scolaires pendant lesquelles toute la famille se réunit chez les parents, c’est au Congo qu’il passe l’essentiel de son temps pendant sa jeunesse. D’abord à Brazzaville où il est né le 3 août 1972 et où il fait ses études primaires.

Élève séminariste

En 1985, il entame ses études secondaires dans le petit séminaire Saint-Paul de Mbamou, fondé en 1950, dans le Pool, par les missionnaires de la Congrégation du Saint-Esprit, puis transféré en 1986 à Brazzaville.

Parce qu’il nourrit l’idée de devenir prêtre, il entre au séminaire Notre-Dame de Loango, dans le département du Kouilou. Il en sort en 1992 avec un baccalauréat littéraire, option latin, en poche. Après mûres réflexions, il renonce à la vocation sacerdotale et choisit de poursuivre ses études supérieures à Brazzaville.

De son passage au séminaire, il garde un bon souvenir.  « Un bon séminariste, nous disait-on, doit cultiver les 3  S : santé, science et sainteté. Le fait d’être passé au séminaire m’a permis d’avoir une grande ouverture d’esprit. J’y ai appris à être un citoyen et un homme au sens large, dont les actes sont guidés par des valeurs morales qui tendent à disparaître aujourd’hui : l’honnêteté, la probité morale et le sens du bien commun », confie-t-il. 

« J’y ai appris à être un citoyen et un homme au sens large, dont les actes sont guidés par des valeurs morales qui tendent à disparaître aujourd’hui : l’honnêteté, la probité morale et le sens du bien commun »

Étudiant et journaliste à Brazzaville

En 1993, il s’inscrit en linguistique, à l’université Marien Ngouabi et obtient une licence en Lettres modernes en 1996. Tout en faisant ses études, il travaille, comme pigiste, à La Semaine Africaine, un journal catholique dont Mgr Kombo était le président. « Mgr Kombo trouvait que j’avais une belle plume. Il m’a encouragé à rejoindre l’équipe du journal. J’animais la page culturelle et je faisais des reportages. Les petits revenus que me procurait le journal complétaient ma bourse », confie Brice.

La guerre de 1997/1998 interrompt ses études et son travail. Après le conflit, La Semaine Africaine lui confie le projet d’ouvrir un bureau à Pointe-Noire. Alors qu’il se trouve dans la cité océane, il obtient une bourse de Misereor, une association caritative de l’Église catholique en Allemagne.

Brice Mankou avec le président François Hollande @Mankou

Études à l’Institut catholique de Paris

C’est ainsi qu’il débarque à Paris en 2000 où il étudie la communication audiovisuelle à l’Association catéchétique nationale pour l’audiovisuel (Acnav), une branche de l’Institut catholique de Paris. « L’Église avait en tête d’ouvrir sa propre radio, c’est pour cela que je suis entré à l’Acnav ». Pour Brice, les années Acnav sont inoubliables. «  J’y ai rencontré beaucoup de gens et j’ai fait des stages dans différents médias, ce qui m’a permis de découvrir la France ». Il obtient sa maîtrise en 2003. Son thème, Le dialogue inter-religieux, retrace ce qu’il a étudié, vu et vécu à Marseille, « une ville cosmopolite, ouverte sur le monde ». Il fait aussi des piges pour la Croix du Nord, un journal catholique.

La radio de l’Église catholique tardant à se mettre en place au Congo, Mgr Kombo conseille à Brice de rester en France. Mankou trouve un poste de commercial chez Findexa, un groupe franco-canadien spécialisé dans l’édition d’annuaires téléphoniques, à Rueil-Malmaison. Il y restera deux ans.

Les changements intervenus en France suite aux difficultés économiques et au chômage poussent Mankou à militer à SOS Racisme, dirigé alors par Malek Boutih. « Tant qu’il n’y avait pas de chômage, les rapports entre les communautés étaient bons. Les Français et les étrangers s’acceptaient mutuellement. Mais quand la situation économique et de l’emploi s’est dégradée, tout a changé. Des Français se sont  repliés sur eux-mêmes et on a assisté à une montée du racisme et des phénomènes de discrimination. Ce repli a été exacerbé avec le terrorisme », analyse Mankou.

« Quand la situation économique et de l’emploi s’est dégradée, tout a changé. Des Français se sont  repliés sur eux-mêmes et on a assisté à une montée du racisme et des phénomènes de discrimination »

Chargé de mission à la mairie d’Évry

Parce qu’il cherche à comprendre les phénomènes sociaux, Brice Mankou décide d’entamer des études de sociologie. En 2004, il s’inscrit à l’université d’Evry-Val d’Essonne, pour faire un master en « Politiques de la Ville et développement urbain ».  Le thème de son mémoire ?  Lutte contre les discriminations et intégration des migrants Sub-sahariens : le cas de la ville d’Evry. Ses directeurs de recherche sont Alain Le Guyader et Olivier Le Cour Grandmaison.

Lors du stage de six mois qu’il fait à la mairie d’Evry dans le cadre de son master, il rencontre Manuel Valls, député-maire de la ville de 2001 à 2012, qui l’engage, dans son cabinet, comme chargé de mission contractuel en politique de la ville et de lutte contre les discriminations et intégration des étrangers.  De « cette expérience sur le vivre ensemble, qui a été très enrichissante, sortira Pour une France multicolore, l’exemple d’Evry, publié, en 2005, aux Editions Cultures croisées. Trois ans plus tard, son mémoire de master est édité sous le titre Racisme, discriminations : sources de violence urbaine, chez Publibook.

L’expérience politique

Alors qu’il est assistant pédagogique à l’Université de Lille où il s’installe, en 2007, avec sa famille et anime, en parallèle, des conférences sur l’Afrique, il fait la connaissance de Jack Lang, alors député de Boulogne, qui avait rédigé avec Hervé Le Bras, L’immigration positive, paru chez Odile Jacob en 2006. Ensemble, ils dédicaceront leurs ouvrages à Saint-Omer. C’est au cours de cette cérémonie que Brice Mankou rencontre Bruno Magnier, membre du Parti socialiste, qui le convainc de se présenter sur sa liste électorale.

Magnier remporte la mairie de Saint-Omer avec 57,76 % des suffrages exprimés. Devenu adjoint-délégué au maire, Mankou a en charge la jeunesse, la mixité sociale et le handicap. « Ce fut mon premier acte politique ». Son mandat s’achève en 2014.

En 2014, rebelote mais cette fois-ci à Lens. Élu sur la liste électorale du socialiste Sylvain Robert, qui succède à l’ancien député-maire Guy Delcourt à la tête de la mairie de Lens, il devient conseiller municipal à la mairie de Lens jusqu’en 2020.

Enseignant-chercheur

Inlassable étudiant et chercheur, il se lance dans une thèse de doctorat en sociologie à l’Université de Lille 1, sous la direction du professeur Rémy Bazenguissa-Ganga, qu’il soutient en 2011. Sa thèse, Cybermigration maritale des femmes camerounaises de Yaoundé vers le Nord-Pas-de-Calais, qui obtient la mention très honorable, fait découvrir à Catherine Wihtol de Wenden, une politologue française, spécialiste de la question des migrations, un concept « très novateur » qu’elle ne connaissait pas.

Sa thèse, Cybermigration maritale des femmes camerounaises de Yaoundé vers le Nord-Pas-de-Calais, fait découvrir à Catherine Wihtol de Wenden, spécialiste de la question des migrations, un concept « très novateur » qu’elle ne connaissait pas.

En 2015, après avoir été chercheur associé au Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et Économiques (Clersé), une unité mixte de recherche de l’Université de Lille et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Mankou est qualifié maître de conférences par le Conseil national des universités. Il exerce d’abord à l’université du Littoral Côte d’Opale de Dunkerque, tout en donnant des cours de sociologie à Saint-Omer.

Auteur d’articles et d’ouvrages, il participe à des travaux de recherche notamment sur les migrants à Calais, et enseigne, chaque année, les méthodes sociologiques à l’École nationale d’administration publique du Canada.

Brice Arsène Mankou avec ses étudiants de Sciences Politiques Reims

Maître de conférences et Défenseur des droits

Aujourd’hui, il a trois casquettes. Depuis 2018, il est maître de conférences à Sciences-Po de Reims où il enseigne la sociologie et les méthodologies en sciences sociales.

En juillet 2020, il devient conseiller technique auprès de la rectrice de l’académie de la région Normandie, en charge des études et de la recherche. Des études « qui doivent permettre à la rectrice de prendre des décisions dans le domaine des questions éducatives. Cela peut concerner le décrochage scolaire ou la valorisation des enseignants », informe Brice Mankou.
En février 2021, il est nommé Défenseur des droits, délégué en Normandie, par Claire Hédon, Défenseure des Droits. « On voulait que des personnes venant d’ailleurs soient davantage représentées dans les institutions françaises. C’est dans ce cadre que ma candidature a été proposée et retenue ».

C’est à la Maison de la justice et du droit de Louviers, près d’Evreux, et à celle de Val-de-Reuil qu’il tient ses permanences, une fois par semaine. Son rôle ? « Accompagner les citoyens français ou étrangers dans leurs démarches administratives et dans leur accès aux droits. Si j’estime que la réglementation n’a pas été appliquée, j’interviens alors pour faire valoir les droits du réclamant ».

En février 2021, il est nommé Défenseur des droits, délégué en Normandie, par Claire Hédon, Défenseure des Droits. « On voulait que des personnes venant d’ailleurs soient davantage représentées dans les institutions françaises. C’est dans ce cadre que ma candidature a été proposée et retenue ».

Et l’Afrique ?

Et l’Afrique dans tout cela ? « J’ai gardé le contact avec l’Afrique et mon pays d’origine. J’apporte ma pierre à l’édifice africain en m’impliquant dans des projets, que j’impulse parfois », insiste Mankou.

Son engagement se décline en trois axes. Primo la formation, d’abord de cadres du ministère congolais de la Jeunesse et de l’éducation civique sous le ministre Anatole Collinet Makosso puis de diplomates congolais à Paris initiés à la gestion de projets en 2019.

Secundo, la mise à disposition du Congo de jeunes de Saint-Omer, dans le cadre du service civique international pour animer les maisons de la jeunesse.

La vocation de l’Institut de Formation aux Métiers de la Ville (IFMV), mis en place à Lens, avec un collectif d’élus d’origine africaine en France, dont Mankou assure la présidence, entre dans ce cadre. « Notre but est de jumeler des collectivités locales françaises et africaines et de former des élus aux questions de développement local. À cet effet, nous sommes allés à Nkayi, une commune du Congo, et nous avons invité son  maire à Verquin », informe Brice. 

Un programme de formation des élus congolais, à l’étude, pourrait se faire avec l’appui du Conseil national de la formation des élus locaux en France dont Thierry Tassez, maire de Verquin (Pas-de-Calais), a été récemment élu président.  C’est suite à un stage à la Maison des élus socialistes et républicains, que les deux hommes sont devenus de grands amis.

Le président français Emmanuel Macron et Brice Mankou à Lens en 2018. @DR

Redonner leur place aux « soldats africains » dans la lutte contre le nazisme

Le troisième axe du combat de Mankou est l’inscription du 27 octobre comme date historique, au même titre que le 18 juin, commémoré chaque année dans les communes françaises, en souvenir de l’Appel du général de Gaulle depuis Londres en 1940.  Pourtant, la même année, le 27 octobre 1940, le même de Gaulle lançait, depuis Brazzaville, son « Manifeste », dans lequel il invitait les Français à continuer la bataille aux côtés des Alliés jusqu’à la victoire. Brazzaville devient ainsi la capitale de la France libre. Mais la date a été zappée. La réhabiliter dans la mémoire française « serait rendre justice aux soldats africains et leur redonner la place qui leur revient dans le combat contre le nazisme, pendant la seconde guerre mondiale », martèle Mankou.

Rendre justice aux soldats africains et leur redonner la place qui leur revient dans le combat contre le nazisme, pendant la seconde guerre mondiale 

Ce combat, Mankou le mène depuis plusieurs années. Remis à François Hollande quand il était président, le dossier passera dans les mains de son successeur Emmanuel Macron. En 2018,  dans le cadre de son itinérance  mémorielle dans l’est et le nord de la France, pour commémorer le centenaire de la fin de la première guerre mondiale, le président Emmanuel Macron s’arrête à Lens. Il y rencontre Brice Mankou, qui lui fait part de son projet. L’idée fera son chemin.

Le 15 août 2019, à Saint-Raphaël, lors du 75è anniversaire du débarquement de Provence, le président Macron invitera les maires de France à renommer des rues, des places et des monuments en hommage aux combattants africains de l’armée française lors de la seconde guerre mondiale. 

Brice Arsène Mankou et Thierry Tassez à Verquin devant la stèle dédiée aux soldats africains Sept 2020 @MDMM

Déjà briefé par Brice Mankou, qui avait animé des conférences sur le sujet dans des communes de la région Hauts-de-France, Thierry Tassez fait ériger, à Verquin, fin 2019, une stèle dédiée aux soldats africains, en souvenir de Brazzaville, capitale de la France libre. Une grande satisfaction pour Brice. Lancée en 2020 par Emmanuel Macron, l’initiative Africa 2020, qui vise « à apprendre aux jeunes français ce qu’est l’Afrique », rejoint également la démarche de Mankou.

Vivre ensemble, se connaître, lutter contre les discriminations, établir des passerelles entre les humains et les pays, réunir et fédérer, étudier et faire savoir… Le combat de Brice Arsène Mankou n’a pas de frontières.

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