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mardi 19 mars 2024
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RDC. Mabele Coop, une coopérative pour inciter à consommer congolais

Comment inciter les Congolais à privilégier les produits alimentaires congolais ? A cette question, la coopérative Mabele, initiée par Al Kitenge, entrepreneur, consultant et analyste économique, tente d’apporter des réponses. La coopérative a inauguré le 6 mars dernier un supermarché à Kinshasa – le premier d’une série de 50 qu’elle compte ouvrir, à terme, dans la capitale.

Charles Vila, membre du conseil d’administration et coordonnateur intérimaire de Mabele, détaille ici, pour Makanisi, les contours de ce projet innovant dans un pays largement tributaire d’importations alimentaires.

Propos recueillis pour makanisi par Arthur Malu-Malu

Makanisi : Quelles sont les raisons de la création de Mabele ?

Charles K. Vila

Charles Vila : Des Congolais se sont mis ensemble après avoir constaté que nos produits sont vendus dans la rue, parfois dans l’insalubrité. Nos producteurs n’arrivent pas à émerger. L’étude que nous avons menée révèle que les produits qui sont sur les étals de nos marchés ne sont pas toujours de bonne qualité à cause de leur exposition au soleil et à la saleté environnante. En plus, leurs prix sont très élevés en raison des problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement. Entre les lieux de production et les centres de consommation, il y a environ 70 % des pertes dues aux mauvaises conditions de conservation. Cette situation est liée à une insuffisance de centres de stockage dans les lieux de production et à un mauvais système d’acheminement.

La création de la société coopérative Mabele (terre, en lingala, la langue la plus parlée à Kinshasa) répond aux questions que cette situation soulève. Si nous nous mettons ensemble, nous pouvons relever le défi en tant que société. Mais c’est également important pour notre économie. Aujourd’hui, 95 % des supermarchés à Kinshasa sont détenus par des étrangers.

Il fallait atteindre 300 membres pour constituer le capital, selon le modèle proposé. A terme, il y aura 540 000 associés coopérateurs.

Comment a germé l’idée de lancer cette coopérative ?

Al Kitenge, initiateur du projet

C.V. : J’ai été contacté il y a un peu plus d’une année par Al Kitenge, l’actuel président du conseil d’administration de Mabele. Il fallait atteindre 300 membres pour constituer le capital, selon le modèle qu’il avait proposé. Donc 300 membres fondateurs, avec un investissement de 200 dollars pour chaque membre Platinum et l’exercice d‘un leadership sur 60 autres personnes qui seront des membres Gold. A leur tour, ceux-ci doivent investir chacun 100 dollars. Les Gold recruteront les Silver qui, eux, mettront 50 dollars chacun. Il faudrait 30 membres Silver. A terme, nous serons 540 000 associés coopérateurs.

Les associés sont-ils, pour l’essentiel, à Kinshasa ?

C.V. : Les associés sont majoritairement établis à Kinshasa, mais on en trouve aussi ailleurs dans le pays, notamment à Goma, Bukavu, Lubumbashi, etc. Le projet devrait être dupliqué assez rapidement à Lubumbashi. Des Congolais qui vivent à l’étranger nous ont également rejoints.

Les dépenses sont budgétisées. Les décaissements s’opèrent après l’approbation du conseil d’administration qui est composé de 12 personnes issues de divers horizons.

Concrètement, comment se passe la gestion des fonds récoltés dans le cadre de ce projet ?

C.V. : Au départ, l’argent était logé sur le compte séquestre de la fondation Entreprendre, qui a servi d’organe technique à la matérialisation du projet. C’est cette fondation qui encadrait le mouvement jusqu’à la mise sur pied de la coopérative. Une fois la coopérative constituée et le capital libéré, l’argent qui était sur le compte séquestre a migré vers le compte courant de la coopérative ouvert à l’Equity Bank. Les dépenses sont budgétisées. Les décaissements s’opèrent après l’approbation du conseil d’administration qui est composé de 12 personnes issues de divers horizons.

Combien d’argent a déjà été recueilli pour la mise en œuvre du projet, à commencer par le lancement du supermarché ?

C.V. : Je n’ai pas abordé la question avec le conseil d’administration. J’ignore si je suis habilité à donner ces chiffres. Nous sommes dans une phase stratégique.

La production congolaise souffre d’encadrement. L’objectif est d’arriver à rendre les producteurs compétitifs. Les produits locaux coûtent plus cher que les produits importés.

S’agit-il de privilégier les produits congolais ?

C.V. : Privilégier ? Le mot est faible. Mais l’idée n’est pas de vendre exclusivement les produits congolais, pour la bonne et simple raison qu’il y a des besoins auxquels nous ne pouvons pas apporter de réponses à ce stade. La production congolaise souffre d’encadrement. L’objectif est d’arriver à rendre les producteurs compétitifs. Les produits locaux coûtent plus cher que les produits importés. Cela est dû au fait que les produits importés émanent de grandes productions où on peut faire de grandes économies d’échelle. Nous n’en sommes pas encore là, faute de synergies nécessaires. Nous sommes en train d’identifier nos faiblesses et d’étudier les moyens de les transformer en atouts. Quand on a 10 fournisseurs qui produisent le même type de piment et qui ont des problèmes de volumes, peut-être que si on met en place des mécanismes pour les fédérer, on arrivera à avoir des produits en quantité et de meilleure qualité. Le premier supermarché, ouvert le 6 mars 2021, est situé vers le croisement de l’avenue des huileries et de l’avenue Baraka, à Kinshasa. Dans un premier temps, 20 personnes sont employées dans cet établissement d’une superficie de 200 m2. Nous embaucherons progressivement, en fonction des besoins. Je souligne que les supermarchés ne sont que la partie émergée de l’iceberg.

Nous pensons que cette initiative incitera les petits producteurs disséminés un peu partout dans le pays à produire davantage. Nous irons vers eux pour leur apporter des réponses concrètes à leurs préoccupations qui sont, somme toute, fondées.

Le 6 mars 2021, jour de l’inauguration de Mabele Coop à Kinshasa.

Y a-t-il une prise de conscience collective sur le « Consommons congolais » ?

C.V. : Oui, manifestement. Et c’est nettement au-dessus de mes attentes. Nous pensons que cette initiative incitera les petits producteurs disséminés un peu partout dans le pays à produire davantage. Nous irons vers eux pour leur apporter des réponses concrètes à leurs préoccupations qui sont, somme toute, fondées.

Ces produits sont-ils normés ?

C.V. : L’Office congolais de contrôle (OCC) est chargé du contrôle des normes. Mais ce n’est pas cela le sujet. Malgré la présence de l’OCC, des produits d’importation de mauvaise qualité entrent dans le pays. Au stade où nous en sommes, l’OCC importe peu dans notre réflexion.

Quelle est la nature des produits que l’on peut trouver dans les rayons ?

C.V. : On y trouve tout ce qu’on trouve habituellement dans les supermarchés, notamment des produits frais.

Notre leitmotiv est l’indépendance alimentaire de la RDC. Lorsque la masse critique du projet sera atteinte, le langage sera tout autre face à tous les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui.

La réduction de l’indépendance alimentaire de la RDC vis-à-vis de l’extérieur est-elle l’un de vos objectifs ?

C.V. : C’est ce que nous visons. Notre leitmotiv est l’indépendance alimentaire de la RDC. Lorsque la masse critique du projet sera atteinte, le langage sera tout autre face à tous les problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin : si le cap des 540 000 membres est atteint, nous irons plus loin. C’est un projet perpétuel. Nous jetons les bases afin que les générations à venir puissent également en bénéficier.

Il s’agit, pour nous, de faire en sorte que les produits, qui arrivent dans les rayons de nos supermarchés, gardent toute leur fraîcheur et que les coûts soient réduits.

La collecte de produits vivriers dans un pays aussi étendu que la RDC, mais qui dispose de faibles infrastructures, représente un immense défi logistique. Comment comptez-vous le relever ?

C.V. : C’est un énorme défi. Nous y avons réfléchi et cela est bien intégré dans la stratégie que nous sommes en train de déployer. L’ouverture de supermarchés n’est qu’un axe de cette stratégie. Nous nous penchons sur les problématiques que nous avons pu identifier. Il s’agit, pour nous, de faire en sorte que les denrées alimentaires, qui arrivent dans les rayons de nos supermarchés, gardent toute leur fraîcheur et que les coûts soient réduits. Pour que les coûts baissent, tout le circuit doit être analysé de fond en comble.

Qu’en est-il des centres d’entreposage et de la chaîne du froid dans un pays où l’accès à l’électricité est encore faible ?

C.V. : Tous ces éléments restent au cœur de notre projet. Les produits frais nécessitent d’être conservés dans de bonnes conditions. Nous avons conscience que les choses ne sont pas faciles. Nous nous sommes lancés après avoir identifié les obstacles. Nous avons réfléchi à la façon de pallier les difficultés. La réflexion a déjà été menée. Nous sommes en train de mettre en œuvre les solutions.

Avant la fin de l’année, nous aurons un deuxième supermarché, à Masina, dans la partie est de la ville, qui est populeuse. D’ici 5 ans, il est question que nous ouvrions 50 supermarchés à Kinshasa. Prochainement, nous pourrons vendre également en ligne et au besoin livrer à domicile.

Quels sont les projets de Mabele à court et moyen termes ?

C.V. : Avant la fin de l’année, nous aurons un deuxième supermarché, à Masina, dans la partie est de la ville, qui est populeuse. D’ici 5 ans, il est question que nous ouvrions 50 supermarchés à Kinshasa. La vitesse à laquelle nous opérerons dépendra du rythme d’adhésion à la coopérative. Nous sommes en instance de finalisation de notre site internet. Prochainement, nous pourrons vendre également en ligne et au besoin livrer à domicile.

Mabele est une belle initiative, mais est-ce une première dans la région ?

C.V. : Je ne sais pas si au-delà de nos frontières, il y a eu de telles initiatives. Je sais, en revanche, que ces expériences ont été tentées avec succès dans des pays comme la Suède et les Pays-Bas et nous nous en sommes inspirés. Notre site en ligne sera opérationnel dans quelques jours. En République démocratique du Congo, nous sommes les premiers à avoir concrétisé une initiative d’une telle envergure.

Mabele compte devenir une banque. Avec 540 000 comptes, nous pourrons faire beaucoup de choses. Notre ambition est de ne pas nous limiter au secteur qui est le nôtre aujourd’hui

Mabele sortira-t-il un jour du cadre alimentaire pour aller tâter d’autres secteurs ?

C.V. : Bien entendu. Mabele compte devenir une banque. Avec 540 000 comptes, nous pourrons faire beaucoup de choses. Notre ambition est de ne pas nous limiter au secteur qui est le nôtre aujourd’hui. Nous comptons aller bien au-delà.

Comment ce projet est-il accueilli dans les milieux d’affaires et par les pouvoirs publics ?

C.V. : Les milieux d’affaires sont positifs. Les réactions émanant de l’ex-Bandundu et du Kongo-Central sont encourageantes. Il est question qu’on mette en place des synergies avec les producteurs de ces provinces proches de Kinshasa. Nous sommes disposés à travailler ensemble. J’ai reçu des personnalités d’institutions et d’organismes privés ou publics qui ont accueilli notre démarche avec beaucoup d’enthousiasme. Elles veulent se joindre à nous afin que nous puissions aussi bénéficier de leurs observations et de leurs conseils. Quant aux pouvoirs publics, on n’a pas enregistré de réaction formelle. Mais nous sommes dans un contexte politique un peu particulier, marqué notamment par l’imminence de la formation d’un nouveau gouvernement. La scène politique est prise par des négociations…

Ne craignez-vous pas d’être combattus par ceux qui inondent le marché de produits importés, sachant qu’ils sont souvent de mèche avec des responsables politiques qui les protègent ?

C.V. : À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Nul ne peut espérer mener à bien un projet de cette importance, sans se heurter à des résistances. L’hostilité de certaines personnes est là et nous en avons conscience. Tous les jours qui passent, nous nous armons pour y faire face.

Lire aussi notre article : Grande distribution à Kinshasa, la guerre des enseignes.

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