C’est à l’univers pictural du peintre congolais Marcel Gotène que le professeur Bellarmin Étienne Iloki consacre l’un de ses derniers ouvrages, paru chez l’Harmattan. Outre une présentation du peintre et de son parcours, Iloki tente, dans ce livre, de cerner le sens et la cohérence de son œuvre artistique. Il s’interroge également sur la conception du « beau », sur ce qu’il appelle « l’esthétisme de la transcendance », ainsi que sur la fonction de l’art et le sens de la création artistique. Plus généralement, il nous interpelle sur ce qui nous permet de nous transcender et sur toute forme de connaissance et de langage qui nous mène sur le chemin de la spiritualité.
La parution, le 18 février 2021, de cet ouvrage, ne doit rien au hasard. Elle correspond, à deux jours près, à l’anniversaire du décès le 20 février 2013, à Rabat (Maroc), de ce célèbre peintre congolais, né en 1939 à Yaba, dans le district d’Abala (département des Plateaux).
Pour Bellarmin Iloki, « l’œuvre de Marcel Gotène longtemps dédaignée ou jugée peu sérieuse, révèle pourtant une pensée originale qui propose une réflexion philosophique sur le sens de la création artistique ».
De Pierre Loyds à Jean Lurçat
L’auteur consacre le premier chapitre de son livre au parcours de Gotène, qui fut l’un des élèves de l’École de peinture de Poto-Poto, fondée par le français Pierre Loyds. Il la quittera deux ans plus tard, pour ouvrir, en 1953, son propre atelier. Invité par le français Jean Lurçat, qui a rénové la tapisserie d’Aubusson, Gotène se rend en France, où, lors d’un second séjour, il s’inscrit à l’École nationale des arts décoratifs d’Aubusson et étudie de façon plus académique la tapisserie, avant de regagner le Congo en 1975. Ce séjour fut très important pour lui, car, c’est, entre autres, aux côtés de Lurçat, qu’il trouvera son style.
Gotène a su préserver son indépendance, refusant toujours d’être enfermé dans un genre artistique.
À la recherche d’un style personnel
Ainsi, quelles que soient ses rencontres, et tout en reconnaissant avoir été influencé par Lurçat et impressionné par ses prédécesseurs, Gotène a su préserver son indépendance, refusant toujours d’être enfermé dans un genre artistique. Marqué certes par les images de son enfance – « la rivière et le crocodile, le chemin du marché et les anneaux de cuivre que portaient les femmes aux bras et aux jambes » -, il fut toujours à la recherche d’un style personnel et entendait rester original. Solitaire, il le restera toujours, « parce qu’il savait que c’était là le seul moyen de rester libre », souligne Iloki.
Harmonie entre le minéral, le végétal, l’animal et l’humain

Convaincu que la vocation d’un peintre est d’explorer le mystère de la vie, Gotène veillait « dans son travail, au maintien de l’harmonie entre le minéral, le végétal, l’animal et l’humain ». Pour lui, l’art et le sacré ne font qu’un et l’acte créateur est « la part divine de l’homme qui impose une puissante stylisation à des objets inconsciemment formée par la nature. Pour être humain, le monde a besoin de l’homme, de l’artiste en particulier ». Selon lui, le sentiment artistique appartient par sa nature au même ordre de sentiment que celui évoqué par les grands mythes. D’où le concept d’engagement de l’art, non au sens étroit du terme, c’est-à-dire au sens d’engagement politique, mais l’engagement qui « consiste à rendre visible, l’invisible, à forger une connivence avec le spectateur pour le mener sinon à l’action du moins à la réflexion. L’art devient ainsi un dévoilement ».
Pour lui, l’art et le sacré ne font qu’un et l’acte créateur est « la part divine de l’homme qui impose une puissante stylisation à des objets inconsciemment formée par la nature.
En quête de l’unité originelle
Dans les chapitres suivants, Bellarmin Iloki s’interroge et interroge la peinture de Gotène sur la notion du beau. La vraie beauté relèverait de la permanence et non des « canons de beauté, à la durée de vie éphémère ». Ainsi, produire du beau n’est pas toujours le but premier de la peinture. Pour Gotène, le beau est ce qui donne à percevoir et à penser.
« Il s’agit d’un désir et d’un effort de réunion des fragments dispersés d’un même tout »
Cette réflexion sur la beauté amène l’auteur à s’interroger sur la fonction de l’art. Vision du monde, expression du secret, peinture de l’infini, révélation du réel, l’art a de multiples dimensions. Mais il est surtout entrelacement, retour à l’unité, un mouvement « qui traverse le cosmos de l’infiniment petit à l’infiniment grand. « Il s’agit d’un désir et d’un effort de réunion des fragments dispersés d’un même tout ». Pour Iloki, Gotène, à travers sa peinture, semble « être en quête de l’unité originelle ».
Le vivre ensemble
Pour Bellarmin Iloki, l’art doit aussi être vécu et vu comme l’expression du vivre ensemble. Pour lui, la diversité, loin d’être un obstacle, est plutôt une richesse. « Absorber le problème de l’autre, des autres, devrait conduire à des constats rassurants : la diversité est source de connaissance, de découverte, elle est donc enrichissement », écrit l’auteur. À le lire, on en vient à penser que l’art, qu’il soit visuel ou musique, s’inscrit dans le langage universel des symboles, qui est une forme de communication. « Le peintre et le compositeur ont inventé des symboles qui se transmettent d’homme à homme en lui communiquant sans intermédiaire les idées et les sentiments », nous explique Iloki.
« la diversité est source de connaissance, de découverte, elle est donc enrichissement »,
L’art, une quête spirituelle
L’Univers pictural de Marcel Gotène est un ouvrage très riche, parfois un peu ardu à lire et à comprendre, magnifiquement illustré avec des reproductions de toiles de Marcel Gotène, qui nous invite certes à découvrir le peintre, mais bien plus. Les fans de Gotène découvriront des faces cachées de sa vie et de son œuvre. D’autres apprendront à le connaître.
Plus généralement, au-delà de son propos sur l’œuvre de Gotène et les fonctions de l’art notamment de l’art plastique, cet ouvrage, préfacé par Dieudonné Moyongo, l’actuel ministre de la Culture et des Arts, interpelle tous ceux qui sont en quête de spiritualité et utilisent le langage des symboles pour y parvenir. En touchant à la sensibilité, à l’intellect, mais aussi à la philosophie et à la spiritualité, l’art, par sa puissance d’évocation et sa fonction de « dévoilement », envoie un message fort à celui qui est en quête du sens de la vie et qui sait regarder.
L’auteur : Bellarmin Étienne Iloki
Maître de conférences CAMES, Bellarmin Étienne Iloki est professeur de littérature française et comparée à l’université Marien-Ngouabi à Brazzaville (Congo). Responsable du Parcours-type Langue et littérature françaises à la faculté des lettres, arts et sciences humaines, il est également directeur général du Livre et de la Lecture publique au ministère congolais de la Culture et des Arts.
Il a soutenu sa thèse de doctorat en littérature française et comparée sur « L’esthétique de la brièveté dans Le bloc-notes de François Mauriac (Tome I, 1952-1957) » à l’université Bordeaux-Montaigne ou Bordeaux III (France) Il est l’auteur de plusieurs ouvrages.
L’univers pictural de Marcel Gotène

- Auteur : Bellarmin Étienne Iloki
- Préface : Dieudonné Moyongo
- Éditeur : L’Harmattan
- Date de publication : 18 février 2021
- Nombre de pages : 276 pages
- Prix : 30 euros
- ISBN : 978-2-343-21992-9