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mercredi 8 mai 2024
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RDC : découpage administratif et décentralisation, quel bilan six ans après ?

Depuis 2015, le nombre de provinces est passé de 11 à 26. Ce découpage, prévu par la Constitution de 2006, soulève quelques interrogations. Les Congolais restent divisés sur le maintien de cette réforme de l’organisation administrative et territoriale du pays, qui a mis au jour la fragilité des institutions provinciales.

Et la série continue… Un autre dirigeant de province est tombé. Le tout-puissant gouverneur de la province du Tanganyika a, en effet, été destitué le 6 mai dernier. Le « prince » déchu n’est autre que Zoe Kabila, un frère de l’ancien président Joseph Kabila, qui a dirigé le pays entre 2001 et 2019. Depuis la mise en œuvre progressive, à partir de 2015, de la réforme qui a porté le nombre de provinces de 11 à 26, il ne se passe pas un mois sans qu’un gouverneur soit renversé, par le biais d’une motion de censure suivie d’un vote de l’Assemblée provinciale.  

Pour l’essentiel, les accusations portées contre les personnalités mises en cause sont les mêmes : corruption, détournement de fonds publics, mauvaise gestion, manque de transparence, etc. Bien souvent, rien n’est entrepris pour leur donner la possibilité de présenter leurs moyens de défense. D’où la crainte de voir une politisation à outrance de ces évictions qui ne reposent pas toujours sur de solides fondements juridiques. 

« Dans l’ensemble, le bilan est mitigé. Mais l’augmentation du nombre de centres de décisions est plutôt une bonne chose. Tout ne se décide plus à Kinshasa. Il y a un petit essor provincial qui est visible »

Quel bilan ?

La République démocratique du Congo traverse ces dernières années une zone de turbulences marquées par des crises politiques à répétition. Six ans après l’entrée en vigueur des provinces, quel bilan peut-on établir ? Quels enseignements peut-on tirer à ce stade ? « Il y a plusieurs points négatifs : l’instabilité des institutions, des motions que nous qualifions d’alimentaires pour renverser les gouverneurs, des arriérés de salaires… », souligne Emmanuel Kasongo, professeur à l’université de Kinshasa et expert en gouvernance locale. « Plusieurs provinces ont des difficultés de fonctionnement, faute de ressources adéquates », note, pour sa part, Jacques Kuyungana, inspecteur à la Territoriale et spécialiste de la décentralisation. Pour autant, le tableau n’est pas sombre sur toute la ligne. Par-ci, par-là, des initiatives sont prises pour faire face au plus urgent. « Dans l’ensemble, le bilan est mitigé. Mais l’augmentation du nombre de centres de décisions est plutôt une bonne chose. Tout ne se décide plus à Kinshasa. Il y a un petit essor provincial qui est visible. Des provinces construisent des infrastructures sur fonds propres. Il y a çà et là quelques initiatives locales à encourager », explique Emmanuel Kasongo.

 « La démocratie gagne du terrain. Ce qui est une bonne chose. Plusieurs provinces essaient de se prendre en charge. Avec le peu de ressources qu’elles ont, elles arrivent à se doter d’infrastructures »

« Je dirais également que la démocratie gagne du terrain. Ce qui est une bonne chose. Plusieurs provinces essaient de se prendre en charge. Avec le peu de ressources qu’elles ont, elles arrivent à se doter d’infrastructures. En Ituri, par exemple, des ponts ont été construits. Une université est également sortie de terre. Les choses se font peu à peu, peut-être dans la discrétion », explique Jacques Kuyungana.

Autre point positif : certaines entités arrivent à générer davantage de recettes. Mais cela concerne surtout les provinces minières qui perçoivent désormais directement la part des royalties (25%) qui leur revient. Cela est dû également au fait que les taux de la redevance minière, sur notamment les minerais considérés comme stratégiques, ont été relevés. Des dispositions du code minier de 2018 qui commencent enfin à être appliquées.

Entités économiquement faibles

Reste que, sur le plan économique, les provinces ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines d’entre elles sont dépourvues d’infrastructures de base. Les disparités entre les nouvelles entités sont frappantes. Avant 2015, sur les 11 provinces que comptait la RDC, seules trois d’entre elles étaient en mesure de subvenir à leurs besoins : le Bas Congo, grâce au port de Matadi, Kinshasa, grâce aux impôts sur les sociétés et le Katanga grâce aux revenus miniers, bien que, dans les faits, l’État traînait des pieds pour rétrocéder à toutes les provinces, y compris ces trois entités, la part (40%) de la fiscalité qui leur était due.

Le nouveau découpage n’a pas considérablement modifié la situation, même si, de ces trois provinces, seul le Katanga a été morcelé. Les quatre nouvelles entités qui en sont issues (Haut-Katanga, Lualaba, Tanganyika et Haut-Lomami) n’ont pas le même poids économique que l’ex-Katanga.

Les provinces ne sont pas logées à la même enseigne. Certaines d’entre elles sont dépourvues d’infrastructures de base. Les disparités entre les nouvelles entités sont frappantes.

Si le Haut-Katanga et le Lualaba, qui concentrent les gisements de cuivre et de cobalt du pays, s’en tirent bien, et d’autant mieux que, depuis 2019, les sociétés minières leur reversent directement la part de la redevance minière qui leur revient, la situation du Haut-Lomami et du Tanganyika n’est pas nécessairement enviable. Pour l’exercice 2021, le Haut-Katanga a voté un budget d’environ 360 millions de dollars, alors que le Tanganyika a présenté, fin décembre 2020, un budget de quelque 76 millions de dollars.

Le Kwango, l’une des trois provinces nées de la partition de l’ex-Bandundu (ouest), a adopté, pour 2021, un budget de l’ordre de 123 milliards de francs congolais (environ 60 millions de dollars). Ces chiffres prouvent à suffisance que le niveau de richesse créée et la mobilisation des recettes varient considérablement d’une province à l’autre. Autant de facteurs qui limitent le budget de fonctionnement mais surtout d’investissement de nombre de provinces et, par ricochet, le bien-être des populations.

D’où l’idée du législateur de mettre en place des mécanismes de redistribution afin d’aider les provinces les plus vulnérables à financer leurs projets d’investissement public, avec notamment l’institution de la Caisse nationale de péréquation (CNP), prévue par la Constitution de 2006.

La CNP a  pour mission de financer des projets et programmes d’investissement public, en vue d’assurer la solidarité nationale et de corriger le déséquilibre de développement entre les provinces et entre les autres entités territoriales décentralisées.

Caisse nationale de péréquation, un leurre ?

Les compétences et les ressources des provinces sont clairement définies et séparées de celles du gouvernement central. Il arrive toutefois que des voix s’élèvent dans des provinces pour accuser le gouvernement central d’empiéter sur les plates-bandes des entités décentralisées. Les conflits de compétences surgissent dans ce contexte.

Sur le papier, les choses sont pourtant claires. La CNP a « pour mission de financer des projets et programmes d’investissement public, en vue d’assurer la solidarité nationale et de corriger le déséquilibre de développement entre les provinces et entre les autres entités territoriales décentralisées. Elle dispose d’un budget alimenté par le Trésor public à concurrence de 10% de la totalité des recettes à caractère national revenant à l’État chaque année ». La répartition se fait dans un ordre inversement proportionnel à la répartition de 40% des recettes à caractère national allouées aux provinces. En d’autres termes, moins la province génère de recettes, plus sa part du fonds de péréquation sera élevée.

Des mesures dont l’application se fait toutefois attendre. Pourtant, l’organisation et le fonctionnement de la CNP ont été définis dans une loi organique adoptée en 2016, tandis qu’un comité de gestion et un conseil d’administration ont été mis en place fin 2018. Mais la CNP n’est pas opérationnelle. En 2020, le Fonds de péréquation, fixé à 642,555 millions de dollars, n’a pas été décaissé. Le budget 2021 a prévu d’allouer 158 millions de dollars au Fonds. Qu’en sera-t-il de sa mise en oeuvre à la fin de l’année 2021 ? Certains estiment que Kinshasa est réticent à la mise en place de cette Caisse, pour des raisons inavouées : elle mettra fin à la « gloutonnerie » du gouvernement central.  

Solution à court terme

L’augmentation du nombre de provinces a mécaniquement entraîné une hausse des dépenses publiques. Dans chaque province, le nombre de ministres ne peut pas dépasser dix. Mais si toutes les 26 provinces se conforment à la « règle de dix », le pays aura automatiquement 260 ministres provinciaux. À cela s’ajoutent les nombreux postes créés ex nihilo dans l’administration provinciale, qui induisent de nouvelles dépenses publiques.

Si des personnalités n’hésitent plus à réclamer à cor et à cri une évaluation de ce nouveau découpage administratif, rien n’indique toutefois que les députés soient disposés à remettre les compteurs à zéro.  

La RDC ressemble, par moments, à un train fou qui a déraillé, échappant au contrôle de son conducteur et dévalant à vive allure une colline escarpée, alors que passagers et opérateurs, médusés et impuissants, ne font rien, tout en sachant qu’ils courent à la catastrophe si rien n’est fait de toute urgence.

Si des personnalités n’hésitent plus à réclamer à cor et à cri une évaluation de ce nouveau découpage administratif, rien n’indique toutefois que les députés soient disposés à remettre les compteurs à zéro. « On ne doit pas revenir sur cette réforme. Il faut laisser les provinces telles qu’elles sont et, au besoin, en ajouter d’autres. La RDC est plus de deux fois plus grande que le Nigeria, en termes de superficie. Mais le Nigeria dispose de 36 États fédérés et d’un gouvernement fédéral. Je crois sincèrement que l’expérience congolaise ne doit pas être abandonnée. Mais il faut surtout que cette question soit dépolitisée », observe Emmanuel Kasongo.

« Je pense que 26 provinces, c’est trop. On a choisi de décentraliser. La décentralisation est notre mode de gestion. Avec 26 provinces, on a 260 ministres, des conseillers, etc. Toutes ces personnes sont prises en charge par l’État. Mais l’État a-t-il les moyens qu’il faut pour ça ? Si cela ne dépendait que de moi, on aurait six provinces, six provinces économiquement viables, comme c’était le cas à un moment sous la colonisation belge. On aurait ainsi des gouverneurs puissants, dotés de solides moyens financiers… Et on aurait 60 ministres provinciaux, au lieu de 260 », tranche, de son côté, Jacques Kuyungana.

Une vieille tradition

Depuis la période qui a précédé l’indépendance, la République démocratique du Congo est divisée en deux camps : les partisans d’un État unitaire fortement décentralisé et les défenseurs du fédéralisme. Jusque-là, les « fédéralistes » n’ont pas réussi à s’imposer, mais ils constituent un courant non négligeable, au cœur de la vie politique depuis longtemps. La carte administrative de la RDC évolue depuis sa création, en tant qu’État indépendant du Congo. Ce vaste territoire, qui fut autrefois la propriété privée de Léopold II, le roi des Belges, devint une colonie belge en 1908.

Lors de son accession à l’indépendance, le 30 juin 1960, le Congo comptait six provinces, en vertu des textes adoptés par l’administration coloniale en… 1935                     

Lors de son accession à l’indépendance, le 30 juin 1960, le Congo comptait six provinces, en vertu des textes adoptés par l’administration coloniale en… 1935. En 1963, leur nombre est passé à 21. Ces entités administratives, communément appelées « provincettes », ont été ramenées à neuf, trois ans plus tard. En 1988, le Kivu a été morcelé en trois « régions » (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Maniema). C’est ainsi que le pays a vu le nombre de ses provinces passer à 11. Cette configuration administrative a tenu jusqu’en 2015.

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