24.5 C
Kinshasa
samedi 27 juillet 2024
AccueilSecteursEnvironnement-BiodiversitéOlivier Mushiete « Remettre l’homme au centre de la conservation de la...

Olivier Mushiete « Remettre l’homme au centre de la conservation de la nature »

Ingénieur agronome de formation, né en 1960 en RDC, Olivier Mushiete est membre de la communauté des notables-coutumiers de la chefferie de Mbankana, depuis 2001. À partir de 2008, il a installé une plantation agro-forestière de 1500 ha, sur le domaine d’Ibi village, à 130 km du centre de Kinshasa, dans la commune de Maluku, sur le Plateau Batéké. Ce dispositif a été inscrit dans la convention cadre des Nations unies pour les changements climatiques. De septembre 2020 à juin 2021, Olivier Mushiete a dirigé le domaine de chasse et réserve de Bombo-Lumene avant d’être engagé à la Banque allemande de développement (KfW). Il a été nommé le 12 août dernier, directeur (par intérim) de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). 

Olivier Mushiete s’est confié à makanisi.org sur son expérience, les missions et les enjeux de l’ICCN ainsi que les actions qu’il compte entreprendre au sein de l’Institut.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu  

Olivier Mushiete

Makanisi : Vous avez été nommé DG par intérim de l’ICCN le 7 août dernier.  Quelles sont les missions de cet institut et son patrimoine foncier ?

Olivier Mushiete : L’ICCN est une entreprise publique, autonome, en lien avec trois ministres : de l’Environnement, du Tourisme et de la Défense. Sa mission consiste à gérer les 72 aires protégées de la RDC, avec trois axes d’actions : garantir l’alimentation des populations, assurer à long terme la gestion des espaces disponibles et préserver la biodiversité.

L’emprise territoriale des aires protégées représente 13,5 % du territoire congolais. À cette surface, il convient d’ajouter les zones tampons, qui sont à la périphérie des aires protégées. Le tout forme environ 22 % de la superficie du territoire national.    

La mission de l’ICCN consiste à gérer les 72 aires protégées de la RDC

Que recouvrent les aires protégées ?

O.M. : Il y a une dizaine de catégories d’aires protégées : des domaines de chasse, des réserves naturelles, intégrales ou spécifiques, des réserves de biosphère, des parcs nationaux, des jardins zoologiques, des jardins botaniques, etc.

Vue aérienne du parc national de Salonga.

À travers vos expériences précédentes, quels sont les acquis que vous pouvez mettre à profit dans votre nouvelle fonction ?

O.M. : Ma carrière professionnelle en RDC s’est articulée simultanément sur deux aspects assez distincts mais complémentaires. Le premier aspect est l’expérience de mobilisation des collectivités locales vers des activités d’agro-foresterie communautaire climatique durable. Cela consiste à accompagner les populations locales vers l’exploitation durable du sol. L’objectif est de produire des denrées alimentaires et de développer des plantations forestières pour protéger les sols et les rendre plus fertiles.  Nous avons ainsi mis au point un modèle d’exploitation du sol qui vise la production vivrière et de bois énergie. Ce modèle a fait ses preuves, aussi je compte maintenant le reproduire à grande échelle.

Je combine ainsi une action de terrain de proximité avec les communautés locales à une expérience de relations internationales.

Ma deuxième expérience est d’avoir travaillé pour le gouvernement congolais à travers une plusieurs ministères dont principalement les Droits de l’Homme, l’Environnement et les Affaires étrangères. Ces expériences m’ont apporté une connaissance globale de la situation de la RDC et de ses relations avec ses voisins et ses alliés du monde entier. Je combine ainsi une action de terrain de proximité avec les communautés locales à une expérience de relations internationales. Je peux mettre tout cela ensemble dans ma nouvelle fonction.

 » mettre au point des partenariats et des coopérations efficaces et intelligentes avec les communautés locales et les peuples autochtones. » (Olivier Mushiete) @ICCN

Une de vos missions est de défendre et de protéger les aires protégées, ce qui implique l’intervention de corps de défense. Comment allez-vous articuler ces actions avec celles de conservation et d’implication des populations locales ?

O.M. : Ma vision de la direction générale de l’ICCN s’articule autour de 3 axes de travail fondamentaux. Le premier est la défense de l’intégrité des limites des aires protégées. La mission de l’ICCN, qui est une entité publique, est de faire respecter l’état de droit à l’intérieur du pays et par les voisins avec lesquels nous partageons des frontières. Le travail des agents de l’ICCN est de faire respecter ces limites. Ce qui nécessite la présence de l’État en milieu rural et de rétablir la fonction régalienne de l’État à l’intérieur du pays. Nous y contribuons dans le cadre de notre mission spécifique. Pour ce faire, il faut mettre au point des partenariats et des coopérations efficaces et intelligentes avec les communautés locales et les peuples autochtones. On travaille déjà activement à resserrer ces liens à travers des mécanismes de cogestion et de participation. Nous allons renforcer ces actions.

Il faut mettre au point des partenariats et des coopérations efficaces et intelligentes avec les communautés locales et les peuples autochtones.

Le deuxième axe est de remettre l’homme au centre des dispositifs de conservation de la nature. À ce titre, on portera une attention particulière au respect des droits de l’homme et à l’intégration des femmes dans la gestion des aires protégées à tous les niveaux. On mettra également un accent particulier sur la mise au point et la vulgarisation des mécanismes de gestion des plaintes. Le troisième axe est l’autofinancement du dispositif de conservation de la nature qui est, pour l’heure, presque totalement tributaire à l’aide publique au développement.

Domaine de chasse et réserve de Bombo-Lumene. @ICCN

Quelles sont les sources de financement que vous comptez mobiliser ?

O.M. : Les sources de revenus en fonds propres, sur lesquelles on va travailler, sont de trois ordres. La première est l’écotourisme, en faisant venir des étrangers en RDC et en permettant aux Congolais de se déplacer à l’intérieur du pays. Compte tenu de l’importance du réseau hydrographique dont dispose la RDC, la deuxième voie est la vente d’énergie provenant de centrales hydro-électriques.

Où seront réalisées ces barrages hydro-électriques ? Qui va investir ?

O.M. : Ces barrages sont situés dans les zones tampons où il est possible de réaliser des investissements sur de nouvelles infrastructures. Je viens de visiter le parc des Virunga. Trois barrages ont été installés à l’extérieur du parc, dans les zones tampons. C’est une expérience très intéressante.

Mon intention est de créer un dispositif d’intelligence financière afin de mieux gérer nos ressources financières. On ne peut pas rester éternellement tributaire de l’aide internationale.

Quelle sera la troisième source de revenus ?

O.M. : La 3è source de revenus proviendra de la transformation et la commercialisation des produits issus de l’agro-foresterie. Mon intention est de créer un dispositif d’intelligence financière afin de mieux gérer nos ressources financières. On ne peut pas rester éternellement tributaire de l’aide internationale. Il nous revient d’utiliser notre savoir-faire pour mettre au point en interne des dispositifs auto-porteurs qui assureront le développement à long terme sur base de ressources propres.

Olivier Mushiete et des agents de l’ICCN

À quoi allez-vous allouer ces ressources ?

O.M. : L’ICCN compte 3800 employés qui sont des agents de l’État. Ils sont payés sur le budget congolais. Leur rémunération est améliorée par un système de primes payées par les agences qui gèrent les aires protégées. C’est déjà l’amorce d’un système d’auto-financement, mais qui reste trop faible et doit être renforcé. Le reste des ressources est consacré au fonctionnement classique d’une institution pour faire face à ses dépenses de fonctionnement et d’investissement. L’amélioration du bien-être des agents et leur équipement est une priorité pour les premiers investissements de même que la matérialisation des limites des frontières des AP. Un autre point particulier dans le cas de l’ICCN, ce sont les activités de repeuplement des animaux ou même de certaines espèces végétales dans le cadre de la restauration des écosystèmes dégradés.

Les trois ministères sont connectés avec l’Institut par le biais du conseil d’administration.

Vos rapports avec les ministères de l’Environnement, du Tourisme et de la Défense nationale relèvent-ils de relations de tutelle ou de collaboration ?

O.M. : Les trois ministères sont connectés avec l’Institut par le biais du conseil d’administration. Chacun de ces ministères dispose d’un siège dans le Conseil d’administration de l’ICCN qui compte entre autres le DG de l’Institut et trois autres personnes désignées par ordonnance du chef de l’État. La direction générale de l’ICCN est sous le contrôle d’un conseil d’administration.

Ecogardes de l’ICCN. @ICCN

Existe-t-il au sein de l’ICCN une sorte de Charte de conduite ? 

O.M. : Cette question se rapporte aux droits humains. Pour maintenir ces droits, il faut en effet un protocole de conduite. Il existe déjà une formation pointue à destination des écogardes. Ce corps d’élite a le droit de porter des armes. Ce droit s’accompagne d’un code de conduite très rigoureux, qui, s’il n’est pas respecté, peut conduire à des situations compliquées. Il faut rendre ce protocole de conduite plus universel à tous les niveaux.

On a par ailleurs déjà mis en place une cellule des droits humains, sous la direction d’un de nos agents, qui commence à avoir un rayonnement national. Prochainement des points focaux « droits de l’Homme » seront établis dans les aires protégées. Leur rôle sera de faire respecter les droits humains en interne et dans les relations avec les communautés locales vivant aux alentours des parcs.

Prochainement des points focaux « droits de l’Homme » seront établis dans les aires protégées. Leur rôle sera de faire respecter les droits humains en interne et dans les relations avec les communautés locales vivant aux alentours des parcs.

Les activités minières et pétrolières sont illégales dans les aires protégées. Qui est chargé de faire respecter la loi en la matière ?

O.M. : Les activités minières ou pétrolières, à caractère artisanal ou industriel, qui se déroulent à l’intérieur des aires protégées sont illégales. C’est la tâche des écogardes de faire respecter l’intégrité de notre territoire. 

Les Congolais ne connaissent pas toujours très bien la législation et la réglementation en vigueur concernant notamment la protection des espèces animales. Une clarification et une vulgarisation des textes s’imposent.  Comment allez-vous procéder ?

O.M. : La mission de l’ICCN est de faire appliquer deux lois, proches l’une de l’autre et complémentaires : celle sur la protection de l’environnement et celle sur la protection de la nature. Pour faire respecter l’ensemble de ces lois, il faut que les gens les connaissent. On a commencé ce travail d’information et de vulgarisation que l’on va renforcer.

La mission de l’ICCN est de faire appliquer deux lois, proches l’une de l’autre et complémentaires : celle sur la protection de l’environnement et celle sur la protection de la nature.

Jardin botanique de Kisantu dans le Kongo Central. @MDMM

Plusieurs dispositifs en interne permettent d’améliorer la compréhension des lois qui organisent notre mission. C’est un des rôles des agents qui ont en charge la conservation communautaire de les vulgariser. L’Institut comprend également des agents civils, qui sont des fonctionnaires de l’État et le corps PPN (Protection des parcs nationaux) rattaché au ministère de la Défense, ce qui explique la présence de son ministre dans le conseil d’administration de l’ICCN.

L’ICCN dispose d’un département juridique, qui peut mener des actions en justice, dans les cas de violation de territoire. Plusieurs dossiers sont au niveau de la justice. Ces actions contribuent à faire connaître et appliquer les lois.  

Le tourisme en RDC est avant tout l’apanage des expatriés, des étrangers en visite et de quelques rares congolais aisés. Que comptez-vous faire pour inciter les Congolais à visiter leur pays et leur faire connaître les aires protégées  ? 

O.M. : Pour inciter les Congolais à faire du tourisme, on travaille d’abord avec les écoles. La relation avec les écoles fait partie de la mission didactique de l’ICCN qui est d’apprendre la nature aux plus jeunes. C’est en cours. Nous allons également travailler sur l’image et la visibilité de l’ICCN, qui est mal connu du grand public congolais, par le biais d’actions de communication. 

Nous allons également travailler sur l’image et la visibilité de l’ICCN, qui est mal connu du grand public congolais, par le biais d’actions de communication. 

Des premiers pas dans la connaissance des aires protégées et des actions de l’ICCN ont été faits. Je prendrai l’exemple des centrales électriques. Pour des ménages ruraux, l’ICCN c’est l’électricité qui entre dans leur maison. Pour faire découvrir la nature aux Congolais, il faut leur faciliter l’accès aux parcs nationaux. Nous y travaillons.

Toutefois, dans un pays dont 80 % de la population vit en milieu rural, à proximité des aires protégées, qu’appelle-t-on tourisme ? Ainsi 25 % du territoire national, donc 25 % de notre population, sont impactés par l’ICCN. Les chercheurs universitaires représentent également des mouvements de milliers de personnes par an au sein des aires protégées. Cela reste toutefois insuffisant. Il faut renforcer cette connaissance et cette fréquentation des aires protégées.

Le fleuve Congo près de son embouchure. @MDMM

Allez-vous vous inspirer des expériences en matière de conservation de la nature de pays comme le Kenya, la Tanzanie et l’Afrique du Sud ?

O.M. : Il existe déjà le traité de collaboration transfrontalière du grand Virunga, qui nous lie formellement et institutionnellement à l’Ouganda et au Rwanda sur les monts Virungas et Ruwenzori. On peut partager les expériences, bien sûr. Mais, en RDC, l’échelle d’intervention au plan national n’est pas la même qu’au Kenya, en Tanzanie ou en Afrique du Sud.

Nous allons nous inspirer des modèles extérieurs mais aussi de nos propres expériences.

Dans le domaine de la recherche scientifique ou de la réintroduction des espèces, il y a beaucoup à faire en termes de relations transfrontalières. Il faut mettre en place des indicateurs avec les voisins et s’assurer que tout le monde les respecte. Il y a des questions à régler telles que les problèmes de pollution, comme celle de la rivière Kasaï liée à une rupture de digue dans une exploitation minière en Angola, et de transfert d’animaux. Le Kenya a de l’avance sur les recettes réalisées grâce au tourisme. Nous allons nous inspirer des modèles extérieurs mais aussi de nos propres expériences.

- Advertisment -

ARTICLES LES PLUS LUS