« Les pays désertiques de la sous-région nous nourrissent », constate Baudouin Kakudji, inspecteur provincial de l’agriculture. Le qualificatif de désertique peut paraître exagéré, mais l’autosuffisance alimentaire de la province minière du Haut-Katanga est loin d’être atteinte. C’est surtout le déficit en maïs, base de l’alimentation provinciale, qui pose problème. Pour rectifier le tir, le gouvernorat a pris des mesures pour augmenter la production locale, stabiliser les prix en période de soudure et parvenir à terme à l’autosuffisance.
Depuis l’époque coloniale, le maïs est la base du régime alimentaire des populations urbaines de l’hinterland minier. Sa consommation s’est également étendue en milieu rural même si le manioc, sous forme de fufu (pâte), reste très apprécié des ménages. Le maïs grain est parfois grillé mais il sert surtout à fabriquer de la farine, avec laquelle est préparé le fufu de maïs, appelé bukari en langue swahili. Cette pâte consistante accompagne la plupart des plats dans les grands centres urbains dont Lubumbashi, chef-lieu de la province, et Likasi. La farine sert également à confectionner deux breuvages : le munkoyo, une boisson fermentée et le lutuku, une liqueur.
Le maïs grain sert surtout à fabriquer de la farine, avec laquelle est préparé le fufu de maïs, appelé bukari en langue swahili
Un déficit de production
Difficile de chiffrer la production et la consommation de maïs et de farine de maïs, faute de statistiques fiables. Selon les statistiques du gouvernorat, la production de la province s’est élevée, en 2020, à 231 258 tonnes de maïs, dont la moitié proviendrait des grandes fermes, pour des besoins évalués à près de 1,681 million de tonnes.
Le déficit agricole résulte de la vocation minière de la province qui a détourné une partie des habitants de l’agriculture. Pourtant les sols arables ne manquent pas. Dans le Territoire de Kambove, les sols sont argileux et la vallée de la Lufira est très propice à l’agriculture.
Le déficit en maïs est comblé par des importations, essentiellement sous forme de farine de maïs, en provenance de Zambie, parfois d’Afrique du Sud et de Tanzanie. La province pourrait compter sur le Haut-Lomami et le Tanganyika, deux zones de production de la céréale. Mais par manque d’infrastructures routières de qualité, les échanges sont limités entre ces provinces et le Haut-Katanga. « Pour aller à Kamina ou Manono, on peut mettre un mois en saison des pluies », déplore Aerts Joseph Kayumba, ministre provincial de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage.
Le déficit en maïs est comblé par des importations, essentiellement sous forme de farine de maïs, en provenance de Zambie, parfois d’Afrique du Sud et de Tanzanie.
Quelle stratégie agricole pour la province ?
La disponibilité en maïs, et, par ricochet, en farine de maïs à un prix abordable, a toujours constitué une préoccupation des autorités provinciales. Pour stimuler la production locale et sortir d’une situation paradoxale où les devises tirées de l’activité minière servent principalement à payer les importations, notamment alimentaires, plusieurs politiques agricoles ont été élaborées et diverses mesures prises au cours des 15 dernières années.
À la fin des années 2000, Moïse Katumbi, qui fut gouverneur de l’ex-province du Katanga de février 2007 à fin septembre 2015, avait encouragé les miniers et les deux brasseries de la province à cultiver au moins 500 hectares de maïs. Une activité qui devait répondre à leurs responsabilités sociales. Ceux qui ne pouvaient pas mettre en culture des champs, pré-finançaient des intrants agricoles. L’ancien exécutif provincial avait également invité des agro-industriels à investir dans la province. Cette politique a eu toutefois des résultats mitigés du côté des miniers.
Les villages agricoles
L’idée des villages agricoles revient au gouverneur Jean-Claude Kazembe Musonda, qui prit les commandes du Haut-Katanga en 2015. Un an plus tard, les villages étaient créés par arrêté. Toutefois, c’est Jacques Kyabula Katwe, qui prend la tête du Haut-Katanga en 2019, qui donnera une nouvelle impulsion au projet et en redéfinira le contenu.
En effet, bien décidé à impulser l’essor de l’agriculture pour assurer l’indépendance de la province et la sortir du « tout-minier », le nouveau gouverneur organise, en septembre 2019, une Table ronde sur l’agriculture. À l’issue des travaux, le principe est retenu d’installer les villages agricoles et de subventionner, sous certaines conditions, les agriculteurs qui s’impliqueront dans la culture de maïs.
C’est ainsi que cinq villages agricoles, représentant 10 000 à 15 000 ménages ruraux, avec un potentiel de 30 000 hectares cultivables, ont été installés dans la province.
C’est ainsi que cinq villages agricoles, représentant 10 000 à 15 000 ménages ruraux, avec un potentiel de 30 000 hectares cultivables, ont été installés dans la province : à Mwaiseni (Territoire de Kipushi), Kasomeno (Kasenga), Kambove et Katolowe (Kambove) et à Sakania dans le Territoire éponyme. « On va installer deux nouveaux villages dans les territoires de Pweto et de Sakania », précise le ministre provincial de l’agriculture.
Ces villages sont des regroupements de ménages ruraux autour d’un site choisi par le gouvernorat situé à proximité des villages existants. Dans ce site, des lopins de terre destinés à la culture du maïs, de 1 à 2 hectares maximum, sont octroyés aux ménages habitant le village. Mais les demandes de superficies tendent à augmenter. Encadrés par des moniteurs et des agronomes choisis par le gouvernorat, les cultivateurs sont conseillés et appuyés en matière d’intrants et d’engrais. « Le Haut-Katanga est un modèle en RDC en matière de villages agricoles. En visite dans notre province, le ministre congolais de l’Agriculture du gouvernement central a déclaré que toutes les provinces devaient adopter ce modèle », martèle le ministre provincial.

Octroi de subventions
Les subventions sont accordées sous forme de semences et de fertilisants (6 sacs NPK et 4 sacs d’azote et d’urée par ha). Outre les ménages des villages agricoles, elles sont également octroyées à des associations religieuses, telle Eva Buka, des ONG, comme Maman Espoir du Congo ou Tegra, des particuliers (fonctionnaires et agents du gouvernorat) et des grands fermiers qui s’adonnent à la culture du maïs et sont inclus dans la coordination provinciale des villages agricoles.
Les subventions sont accordées sous forme de semences et de fertilisants (6 sacs NPK et 4 sacs d’azote et d’urée par ha).
Pourquoi subventionner les grands fermiers ? « Cela permet d’avoir des stocks stratégiques plus fournis et d’injecter ainsi du maïs sur le marché en période de soudure. Cela permet aussi au gouvernorat de contrôler ce qui est produit », informe le professeur Didier Kambol Tshikung, coordonnateur principal des villages agricoles.
La subvention est budgétisée sur la base d’un nombre d’hectares global décidé par le gouvernorat en fonction des besoins et de ses moyens financiers. Pour les villages agricoles, la subvention dépend de la superficie cultivée qui est prédéfinie. Les grands fermiers déterminent le volume d’intrants dont ils ont besoin en fonction du nombre d’hectares emblavés. La décision finale revient au gouvernorat.
D’autres critères sont établis. « Pour la première subvention, le demandeur doit présenter des documents justifiant la véracité de sa société et de son titre de propriété. Pour être éligible à une nouvelle année, il doit avoir remboursé », explique le professeur Tshikung.
Quelque 13 000 ha de maïs ont ainsi été subventionnés en 2020, 11000 ha en 2021, en baisse en raison de la pandémie du Covid-19, et 15 000 ha dont 5000 ha pour les villages agricoles en 2022.
Lire aussi : RDC. Haut-Katanga, la plus méridionale des provinces congolaises en bref : https://www.makanisi.org/rdc-haut-katanga-la-plus-meridionale-des-provinces-congolaises-en-bref/
Remboursement en maïs-grain
À la récolte, les bénéficiaires remettent 30% de leur production à la province. Le remboursement est calculé sur la base d’un sac de maïs-grain de 50 kg par ha. Les maïs sont acheminés à partir des villages agricoles vers les dépôts de Lubumbashi avant d’être envoyés à la minoterie pour être transformés en farine. Les grandes fermes qui ont des minoteries, signent des contrats avec le gouvernement pour la transformation.
Cette approche permet à la province de constituer un stock de maïs-grain, qui sera transformé en farine vendue en période de soudure. Et ainsi de stabiliser les prix. « Avant, les prix pouvaient grimper jusqu’à 30 dollars, voire 60 dollars entre décembre et février. Aujourd’hui, le sac de farine de 25 kg se vend environ 9 dollars. Même les commerçants vendent la farine importée à 10/11 dollars maximum », signale le ministre.
À la récolte, les bénéficiaires remettent 30% de leur production à la province. Le remboursement est calculé sur la base d’un sac de maïs-grain de 50 kg par ha.
Ménages ruraux et petits exploitants
La politique agricole du gouvernorat a fait émerger une diversité d’exploitants. Traditionnellement, les exploitations des ménages ruraux sont de petite taille (de 100 m2 à 500 m2), les techniques de production rudimentaires, les rendements faibles et l’usage d’engrais y est exceptionnel, par manque de capital. Généralement, l’homme prépare le terrain tandis que la femme s’occupe du semis, du sarclage, de la récolte et de la transformation. La production est centrée sur l’autoconsommation et la culture du maïs associée à d’autres spéculations : arachide, haricot, manioc, patate douce ou voandzou (pois de terre).

À ces ménages traditionnels sont venus s’ajouter les petits exploitants intervenant dans le cadre des villages agricoles que « le gouvernorat encourage à se regrouper en coopératives pour améliorer leur production, leurs conditions de vie et leur habitat, et contribuer ainsi à instaurer un développement durable », insiste Tshikung.
Les exploitants des fermes moyennes, comme Mikembo et Evabuka, dont certaines sont localisées près des centres urbains, sont issus du milieu rural ou urbain. Le maïs y est plutôt exploité en monoculture avec des rendements de l’ordre de 2 à 3t/par ha. Avec la politique de subvention, de plus en plus de jeunes urbains sans emploi, qui ont terminé leurs études, cherchent à obtenir des terres dans des villages agricoles proches des villes ou s’organisent pour avoir leur propre lopin de terre et demander des subventions, que certains ont toutefois des difficultés à rembourser.
Les grandes fermes agro-industrielles
Prenant peu à peu la place des entreprises publiques comme la Gécamines et la Société nationale des chemins de fer (SNCC) et des miniers, les grandes fermes agro-industrielles privées se sont développées à la fin des années 2000. La production et la transformation de maïs y occupent une place importante dans leurs activités qui portent aussi sur d’autres denrées et l’élevage. La culture est mécanisée et l’usage d’intrants et d’engrais systématique. Les superficies cultivées peuvent dépasser 10 000 hectares et les rendements atteignent 6 tonnes à l’hectare. Les concessions sont localisées le long des grands axes routiers qui mènent aux centres urbains.
Les grandes fermes agro-industrielles privées se sont développées à la fin des années 2000.
Parmi ces grandes exploitations, on peut citer la Ferme Espoir de l’ex-président Joseph Kabila, sur la route de Kasumbalesa, l’entreprise Terra (3000 ha de maïs dont 2000 ha subventionnés), une filiale de la Société minière du Katanga (Somika), fondée et dirigée par l’homme d’affaires indien Chetan Chug, GoCongo Enterprise, installé, qui s’est associé récemment avec le groupe Forrest pour former GoCongo Holding.

Signalons aussi la ferme Mashamba (champ en swahili) de Moïse Katumbi, créée en 2008 au village de Futuka, à 30 km de Lubumbashi, dans le territoire de Kipushi. Débuté en 2009, le projet maïs y occupe 11 000 hectares sur les 15 000 ha que compte la ferme. Elle ne bénéficie pas d’intrants, mais parfois d’exonérations. Des supermarchés se sont également lancés dans la production, tels que l’indien Jambo Mart dont la ferme Jambo, située sur la route de Kasenga, à hauteur de Malawe, consacrait 4000 ha au maïs fin 2021, et le groupe Psaro.
À l’exception de Bazano et MinMetal group (MMG) Kinsevere, filiale du Chinois China Minmetals, la plupart des entreprises minières ne sont plus directement impliquées dans l’agriculture aujourd’hui. Un changement lié à l’introduction dans le code minier révisé, adopté en 2018, de cahiers des charges portant sur la responsabilité sociale des entreprises minières vis-à-vis des populations locales. « Ce sont les communautés qui décident et fixent leurs priorités. On ne peut donc pas contraindre les miniers à cultiver du maïs si les communautés ne le souhaitent pas », précise le ministre provincial de l’Agriculture.
La transformation
Dans les villages, la transformation du maïs en farine est réalisée artisanalement par les ménages agricoles soit manuellement au mortier soit par mouture mécanique à l’aide de petits moulins disposant d’un concasseur et d’un tamis.

Au niveau industriel, on distingue les minoteries de taille moyenne, telle que Mukalay à Lubumbashi, des grandes minoteries, qui sont généralement l’extension des fermes agro-industrielles et ont des capacités de traitement élevées. Créée en 2009, la société Africa Milling Company Congo (AMCC), est le prolongement du projet Terra. Situées sur la route de Kinsevere, près de Lubumbashi, ses installations ont une capacité installée de 336 t/jour. Gocongo Enterprise et la Ferme Mashamba comptent également des unités de transformation et produisent leurs propres marques de farine.
Au niveau industriel, on distingue les minoteries de taille moyenne, telle que Mukalay à Lubumbashi, des grandes minoteries, qui sont généralement l’extension des fermes agro-industrielles et ont des capacités de traitement élevées
Problèmes de semences et d’intrants
Si la production et la transformation locales de maïs sont en hausse, en revanche, les semences et les intrants restent majoritairement importés. « Nous lançons des appels d’offres pour l’achat d’intrants et de semences. Pour réduire les importations, le gouvernorat cherche des partenaires étrangers susceptibles d’investir localement dans ces créneaux», explique AertsJoseph Kayumba.
Entre 2% et 3% du budget provincial est consacré à l’agriculture, une part que la province entend augmenter. Si le maïs est la priorité, les autres cultures ne sont pas négligées. Avec la présence accrue de Kinois dans la province, la demande en fufu de manioc et surtout en chikwange (pain de manioc) a augmenté. Les villages font face à la demande mais la fabrication de chikwange s’effectue en ville. Pour les produits maraîchers, le gouvernorat procèdera étape par étape.
Après le maïs, cap sur la pisciculture. « On subventionnera ceux qui font de la pisciculture. Cela permettra de produire plus de poissons dont le tilapia et le poisson chat »
Pisciculture et élevage
Après le maïs, cap sur la pisciculture. « On subventionnera ceux qui font de la pisciculture. Cela permettra de produire plus de poissons dont le tilapia et le poisson chat ». En projet également, la relance de l’élevage au Ranch de Mitwaba, une zone où existent de très bons pâturages. « Nous avons reçu des partenaires sud-africains prêts à investir dans l’élevage dans cette zone », indique le ministre provincial de l’agriculture. Mais l’essor de l’agriculture et de l’élevage ne va pas sans l’amélioration des routes et des dessertes agricoles. À ceci s’ajoutent les questions d’urbanisation et de sécurité à résoudre. Or, le budget de la province n’est pas extensif.
Au-delà des questions budgétaires, l’objectif, à court terme, est de satisfaire les besoins en maïs, poissons et autres produits agricoles du Haut-Katanga, et, s’il y a des surplus, ravitailler d’autres provinces congolaises. Sur le plus long terme, le défi est de positionner la province à une bonne place dans les échanges commerciaux dans le cadre de la Zlecaf.