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mardi 23 avril 2024
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RDC : le déploiement de soldats ougandais soulève des questions

S’il est un sujet sur lequel Félix Tshisekedi suscite colère, incompréhension et critiques sardoniques, c’est sans doute son approche de la situation dans l’est de la République démocratique du Congo où opèrent une ribambelle de groupes armés tant nationaux qu’étrangers. Le déploiement, début décembre 2021, de soldats ougandais en RDC n’a pas calmé les esprits.

Dans un rapport publié en février 2021 sur le « baromètre sécuritaire du Kivu », le groupe d’étude sur le Congo, un groupe de chercheurs qui analyse la violence qui affecte par endroits ce pays, faisait état de 122 groupes armés actifs dans ce pays. Il se pourrait que ce nombre ait chuté, à la suite des opérations en cours des forces armées congolaises. Malgré tout, certaines localités de l’est du pays échappent encore au contrôle du gouvernement de Kinshasa.

Investi dans ses nouvelles fonctions en janvier 2019, après des élections émaillées de violences, le président Félix Tshisekedi a, à cœur, de restaurer la paix dans l’est en proie à l’insécurité et à l’instabilité depuis le génocide rwandais de 1994.  

Le chef de l’État a donné son feu vert au lancement d’une série d’offensives conjointes des forces congolaises et des forces ougandaises contre les groupes armés

Après avoir fait le pari risqué d’un rapprochement entre Kinshasa et Kigali, le chef de l’État a donné son feu vert au lancement d’une série d’offensives conjointes des forces congolaises et des forces ougandaises contre les mouvements armés.  « Nos deux pays ont convenu tout récemment de mutualiser leurs efforts en vue de mener des opérations conjointes contre cet ennemi commun (…). Je veillerai à limiter au temps strictement nécessaire à ces opérations, la présence de l’armée ougandaise sur notre sol », a déclaré Félix Tshisekedi lors de son récent discours sur l’état de la nation, prononcé le 13 décembre 2021, devant les deux chambres du Parlement.

Voix discordantes

Le Parlement a-t-il vraiment été associé en amont à cette décision, comme l’a indiqué le président ? Non, répond Juvénal Munubo, député de l’Union pour la nation congolaise (UNC), un parti allié à l’UDPS du président Félix Tshisekedi. « L’accord conclu entre la RDC et l’Ouganda n’a pas été soumis à l’Assemblée nationale, alors que les accords de défense sont normalement examinés par l’Assemblée nationale. C’est l’esprit de l’article 214 de la Constitution. Ce qui s’est passé est une entorse aux textes. Sur un plan politique, on peut questionner l’opportunité d’un tel accord, » explique cet élu qui est également membre de la commission de la défense nationale.

L’équipe dite des « warriors » a fini par admettre, du bout des lèvres, la présence de troupes ougandaises sur le sol congolais, peu après l’avoir démentie.

Gêné aux entournures, le gouvernement congolais a louvoyé, avant de communiquer sur ce dossier sensible. L’équipe dite des « warriors » a ainsi fini par admettre, du bout des lèvres, la présence de troupes ougandaises sur le sol congolais, peu après l’avoir démentie.  

L’embarras du gouvernement est vraisemblablement dû au fait que les armées rwandaise et ougandaise ont commis des crimes sur le sol congolais ces dernières années. Et que de nombreux Congolais, qui ne tiennent pas Kigali et Kampala en haute estime, expriment leurs réserves sur l’initiative des autorités. Sur les réseaux sociaux, peu de personnes semblent favorables à cette coopération militaire entre Kampala et Kinshasa.

L’embarras du gouvernement est vraisemblablement dû au fait que les armées rwandaise et ougandaise ont commis des crimes sur le sol congolais ces dernières années

La voix du docteur Denis Mukwege s’est jointe au concert des indignés. Ce prix Nobel de la paix, qui se bat pour la création d’un tribunal pénal chargé de juger les auteurs des innombrables crimes commis sur le sol congolais ces dernières décennies, s’est montré résolument hostile à l’arrivée de soldats ougandais en RDC.

« Non aux pyromanes / pompiers. Les mêmes erreurs produiront les mêmes effets. Debout Congolais, Nation en danger ! », assène, dans un tweet acide, ce gynécologue respecté, dont la voix porte au-delà des frontières nationales. « L’Ouganda et le Rwanda ne sont pas des partenaires fiables. On aurait pu se limiter à un échange de renseignements dans le cadre de la Communauté économique des pays des grands lacs », avance, pour sa part, Juvénal Munubo.

Le Rwanda et l’Ouganda, des voisins pas comme les autres

L’Ouganda et le Rwanda brillent par un interventionnisme échevelé sur le sol congolais depuis près d’un quart de siècle. Kigali et Kampala ont créé, financé et armé divers groupes rebelles en RDC. En toile de fond : l’exploitation illégale de ressources minières dont regorgent les villages contrôlés par des hommes armés – Congolais et étrangers confondus – qui ont fait allégeance aux dirigeants des deux pays. 

Les armées ougandaise et rwandaise se sont affrontées à Kisangani, le chef-lieu de l’actuelle province de la Tshopo, à deux reprises en 2000, pour le contrôle de ressources minières de la région, faisant des centaines de morts dans les rangs des civils congolais

Un nouveau palier a été franchi lorsque les armées ougandaise et rwandaise se sont affrontées à Kisangani, le chef-lieu de l’actuelle province de la Tshopo, à deux reprises en 2000, pour le contrôle de ressources minières de la région, faisant des centaines de morts dans les rangs des civils congolais.

Les plaies ouvertes par ces guerres successives ne sont pas encore cicatrisées. L’État congolais ne semble pas avoir tendu la main aux familles de victimes qui se rappellent ces jours d’affrontements meurtriers entre deux armées étrangères sur le sol congolais.

La CIJ saisie

En juin 1999, la République démocratique du Congo (RDC) a saisi la Cour de justice internationale, une juridiction établie à La Haye et chargée de trancher les différends entre États, à propos des agissements du Burundi, de l’Ouganda et du Rwanda. La RDC réclamait entre autres des réparations pour les dégâts que les armées de ces pays auraient causés en territoire congolais.

Dans un arrêt, la CIJ a attribué à l’Ouganda la responsabilité de certaines exactions commises à l’encontre de la population civile et des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire

Après s’être penchée sur ce dossier, la CIJ a indiqué qu’elle détenait de nombreuses preuves « crédibles et convaincantes » de la participation d’éléments des forces ougandaises, parmi lesquels des haut-gradés, au pillage de ressources naturelles de la RDC. Dans un arrêt, la CIJ a attribué à l’Ouganda la responsabilité de certaines exactions commises à l’encontre de la population civile et des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

Reste que la RDC, qui réclamait 10 milliards de dollars en guise de réparations, n’a pas encore reçu le moindre paiement de la part de son voisin qui, visiblement, n’a pas les moyens de faire face à une telle facture. La Cour a ainsi recommandé aux deux parties de tenter de trouver un terrain d’entente par le dialogue. La RDC est sûrement appelée à rabattre ses prétentions. Si l’Ouganda du président Yoweri Museveni a été pointé du doigt par la CIJ, le Rwanda et le Burundi, de leur côté, n’ont pas été inquiétés à ce jour. C’est dans ce climat de suspicion généralisée que l’entrée, en RDC, de soldats ougandais en République démocratique du Congo a été « vendue », par les autorités de Kinshasa, comme un pas de plus vers la pacification de l’est de la RDC.

Quid de l’état de siège ?

Ces opérations conjointes se déroulent alors que l’état de siège, en vigueur depuis mai 2021 dans les provinces de l’Ituri et le Nord-Kivu, et reconduit une douzaine de fois, tarde à produire des résultats palpables. Les Congolais sont divisés sur le bilan de cette mesure d’exception.

« La situation a empiré depuis l’instauration de l’état de siège. Il faudrait qu’on mette fin à cet état de siège qui n’a rien réglé », tranche Mme Nicole Kinyoma, la coordonnatrice nationale du Mouvement des indignés, une organisation citoyenne qui suit de près la situation sécuritaire de la région.

Les communiqués triomphalistes des forces armées sur les redditions d’hommes armés et les conquêtes territoriales des militaires congolais en défaveur des hors-la-loi peinent à trouver un écho au sein de la population

Les communiqués triomphalistes des forces armées sur les redditions d’hommes armés et les conquêtes territoriales des militaires congolais en défaveur des hors-la-loi peinent à trouver un écho au sein de la population dont une partie se sent abandonnée à son triste sort.

« Nous remettons en cause les informations données par l’armée. Où sont les personnes qui auraient été capturées par les forces armées lors de ces opérations ? Pourquoi ne sont-elles pas jugées ? », s’interroge Nicole Kynioma.

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