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samedi 27 juillet 2024
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RDC : le nouveau Premier ministre sera-t-il à la hauteur des attentes ?

L’insoutenable suspense est terminé : Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge est le nouveau Premier ministre de la République démocratique du Congo. L’annonce de sa nomination a été faite après plusieurs semaines de rumeurs de toutes sortes. Le futur chef du gouvernement congolais est un ingénieur de 43 ans, peu connu du grand public, qui dirigeait jusque-là la Gécamines, le géant minier du pays. Il prend ses nouvelles fonctions dans un contexte de crise économique et sanitaire.

Kinshasa bruissait de ragots ces dernières semaines. Les rumeurs les plus insistantes, qui traversaient la ville de part en part, laissaient entendre que « l’informateur » Modeste Bahati Lukwebo tenait la corde. Cet ancien ministre de l’Économie a été chargé d’identifier une nouvelle majorité au sein de l’Assemblée nationale après le basculement du rapport de force au sein de l’Assemblée nationale en faveur de l’Union sacrée de la nation (USN), la nouvelle coalition initiée par le président Félix Tshisekedi.

Le nom de Moïse Katumbi a également été avancé pour prendre le poste de Premier ministre. Ce richissime homme d’affaires, ancien gouverneur du Katanga et candidat exclu de l’élection présidentielle de décembre 2018 pour des raisons discutables qui exhalaient un parfum de règlements de comptes, est un ambitieux homme politique qui entend peser sur la conduite des affaires du pays.

Né à Paris il y a 43 ans, le nouveau Premier ministre est issu des rangs d’Avenir du Congo, un parti politique « confidentiel » sur l’échiquier politique

Il ne manque pas d’atouts

Au bout du compte, le choix de Félix Tshisekedi s’est porté sur un jeune Katangais peu connu du grand public, mais qui ne manque pas d’atouts. Né à Paris il y a 43 ans, le nouveau Premier ministre est issu des rangs d’Avenir du Congo, un parti politique « confidentiel » sur l’échiquier politique national, qui a connu une scission. Son père, Stéphane Lukonde Kyenge, assassiné en 2001, était une figure centrale de la vie politique de la région minière. C’est après ce drame familial que le jeune ingénieur, qui travaillait en Afrique du Sud, a décidé de rentrer au pays.    

Il se lance en politique en 2006. Il est élu à Likasi (Haut-Katanga) et devient le plus jeune député de l’hémicycle. « Cette expérience m’a permis de découvrir la capitale, le monde politique et tous ses rouages qui sont totalement différents de ce qu’on trouve au Katanga où la vie est beaucoup plus centrée sur le travail, les mines et les champs », se souvient-il, dans une vidéo non datée, largement diffusée sur les réseaux sociaux après l’annonce de sa nomination.

En 2015, il intègre le gouvernement dirigé par Augustin Matata Ponyo en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports 

Première expérience gouvernementale

En 2015, il intègre le gouvernement dirigé par Augustin Matata Ponyo en tant que ministre de la Jeunesse et des Sports. Il est l’un des plus jeunes ministres de cette équipe dont il démissionne au bout de neuf mois.

« C’était une décision difficile et assez inattendue que j’avais prise par conviction. J’ai démissionné parce qu’à ce moment là, il y avait toute une lutte sur l’alternance et le respect de la Constitution. C’était important, pour moi, en tant que jeune, que je puisse rester moi-même. Je crois en un Etat démocratique où il y a l’alternance politique», explique-t-il 

Après cette démission, il rejoint tout naturellement l’opposition. Et se rapproche de Moïse Katumbi. C’est à cette époque que son chemin croise celui d’une figure montante de la scène politique nationale : Félix Tshisekedi. Ce dernier, fils d’Étienne Tshisekedi, figure emblématique de l’opposition congolaise depuis le début des années 80, devait encore se faire un prénom.

Il était obligé de cohabiter avec des ministres hostiles qui, manifestement, obéissaient au doigt et à l’œil à « l’autorité morale » du FCC, Joseph Kabila, lequel entendait conserver les leviers du pouvoir, même s’il n’est plus à la tête du pays 

Le courant passe bien entre Tshisekedi et Sama Lukonde

Le courant passe bien entre les deux hommes qui ambitionnent de transformer la RDC. Félix Tshisekedi aurait vite décelé les qualités qui sont communément attribuées à Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge : assiduité au travail, solides convictions et intégrité. 

Après son investiture consécutive à sa victoire aux élections législatives et présidentielle organisées en décembre 2018, sur fond de controverse, dans un climat d’extrême tension, Félix Tshisekedi devait procéder à des nominations à la tête d’entreprises publiques.

Le chef de l’État a jeté son dévolu sur Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge pour le poste de directeur général de la Gécamines, le géant minier national. Mais la marge de manœuvre de Félix Tshisekedi était tellement étroite face à un Parlement majoritairement favorable à Joseph Kabila que les choses n’ont pas été faciles. Les fidèles de l’ancien président ont tout mis en œuvre pour empêcher le nouveau DG de prendre ses fonctions. Il n’a pu avoir accès à son nouveau bureau qu’après un peu plus d’un an de tractations entre le Front commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le Changement (CACH).

La configuration des deux chambres du Parlement majoritairement acquises au FCC, le regroupement de partis et de formations favorables au président Joseph Kabila, mettait Félix Tshisekedi en porte-à-faux. Il était obligé de cohabiter avec des ministres hostiles qui, manifestement, obéissaient au doigt et à l’œil à « l’autorité morale » du FCC, Joseph Kabila, lequel entendait conserver les leviers du pouvoir, même s’il n’est plus à la tête du pays.

La crise couvait au sein de la coalition FCC-CACH au pouvoir

La coalition de circonstance FCC-CACH qui dirigeait la RDC depuis janvier 2019 portait en elle les germes de sa propre destruction. La crise qui couvait en son sein a pris une autre dimension après la nomination, par Félix Tshisekedi, de trois juges à la Cour constitutionnelle en juillet 2020. Malgré la vive controverse suscitée par cette initiative et la forte opposition du FCC, qui a manœuvré pour faire annuler ces nominations, les nouveaux juges ont prêté serment trois mois plus tard – ce qui a été perçu par le FCC comme une déclaration de guerre.

Dans la foulée, trois piliers du FCC : la présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba ainsi que le président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba, ont été écartés.

La majorité des parlementaires qui se revendiquaient du FCC ont rejoint l’Union sacrée de la nation. Félix Tshisekedi a désormais les mains libres pour mener à bien les réformes qu’il juge nécessaires pour faire décoller le pays 

Félix Tshisekedi remporte le bras de fer

À la faveur du jeu des alliances, Félix Tshisekedi est sorti vainqueur du bras de fer qu’il avait engagé contre son prédécesseur. Il peut aujourd’hui se prévaloir d’une forte majorité au sein de l’Assemblée nationale. Et à ce stade, la recomposition du paysage parlementaire a mis un terme à la crise politique exacerbée après le discours télévisé de Félix Tshisekedi de décembre 2020, dans lequel il annonçait la fin de la coalition FCC-CACH empêtrée dans des querelles oiseuses qui bloquaient la marche du pays vers de nouveaux horizons.

Joseph Kabila a été ainsi isolé sur la scène politique. Les rangs de ses partisans se clairsèment au fil des semaines. La majorité des parlementaires qui se revendiquaient du FCC ont rejoint l’Union sacrée de la nation. Félix Tshisekedi a désormais les mains libres pour mener à bien les réformes qu’il juge nécessaires pour faire décoller le pays. L’arrivée du nouveau Premier ministre est dictée par l’évolution de la situation politique. C’est un choix que Félix Tshisekedi a fait en conscience. La donne a changé depuis qu’il a su habilement manœuvrer pour renverser les alliances qui contrariaient son action.

Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge est le seul garçon de sa famille qui compte sept filles. Ce qui fait dire à certains Congolais, sur le ton de l’humour, que ce père de trois enfants a appris tôt, au sein de l’environnement familial, à jouer les pompiers et qu’il peut appliquer les mêmes recettes à la tête du gouvernement. Allusion ici est faite à la perception selon laquelle les risques de désaccords entre enfants sont plus élevés au sein des familles nombreuses.

Tout semble urgent dans ce pays fragilisé par de longues années de mauvaise gouvernance et de corruption généralisée 

Une équipe réduite qui fera de la sécurité sa priorité

L’équipe qu’il est appelé à former sera de taille plus réduite, à la différence du pléthorique gouvernement sortant qui comptait plus de 60 membres, dans un contexte où, paradoxalement, la réduction de la dépense publique et la baisse du train de vie de l’État sont préconisées par les dirigeants politiques de tous bords.

Tout semble urgent dans ce pays fragilisé par de longues années de mauvaise gouvernance et de corruption généralisée et où la pauvreté ne cesse de gagner du terrain. Mais quelles seront les priorités du tout nouveau Premier ministre ?

« La sécurité, particulièrement dans l’est de la République démocratique du Congo et dans le Katanga », a déclaré Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, après son premier tête-à-tête avec le président Félix Tshisekedi.

Si ses compétences ne sont pas en cause, sa relative inexpérience ministérielle suscite néanmoins quelques interrogations 

Le nouveau Premier ministre sera jugé sur pièces

Ces derniers temps, on note, dans l’ex-Katanga, une recrudescence d’attaques contre les forces de l’ordre menées par des Ba Kata Katanga, une milice séparatiste constituée, pour l’essentiel, de jeunes désoeuvrés sans perspectives. D’autre part, les groupes armés qui opèrent dans le Kivu (est) restent actifs, même si l’armée a repris quelques-unes des localités occupées par ces hors-la-loi qui volent, violent et tuent quasiment en toute impunité depuis plusieurs années.  

La nomination du nouveau Premier ministre a été accueillie plutôt favorablement par l’opinion nationale. Si ses compétences ne sont pas en cause, sa relative inexpérience ministérielle suscite néanmoins quelques interrogations. Est-il véritablement taillé pour le poste ? A-t-il suffisamment d’autorité pour diriger une équipe gouvernementale dans un contexte de crise économique et sanitaire ? A toutes ces questions – et à bien d’autres encore – les réponses ne sont pas évidentes. Les optimistes, les pessimistes et les sceptiques sont d’accord sur un point : Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge sera jugé sur pièces. Et le temps n’est pas son meilleur allié dans ses nouvelles fonctions.

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