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samedi 20 avril 2024
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RDC : cap sur les zones économiques spéciales

La mise en œuvre de zones économiques spéciales destinées à doper l’économie nationale chancelante devrait être effective en 2021. Même si la crise sanitaire liée au covid-19 complique un peu plus l’équation, les autorités parient en effet sur l’année en cours pour le coup d’envoi des travaux du site de Maluku, dans la province de Kinshasa, dont le groupe Strategos, qui n’est pas à l’abri de critiques, est chargé de l’aménagement.

Si l’aménagement et le développement de la zone économique spéciale de Maluku, qui sortira de terre sur un site d’une superficie de 211 hectares, à quelque 70 km du centre de Kinshasa, suscitent un engouement dans les hautes sphères du pouvoir, une dose de scepticisme est toutefois perceptible au sein de certaines couches de la population et même à l’Assemblée nationale.

La désindustrialisation a fait des ravages, sous les effets combinés de longues années de mauvaise gouvernance et de deux vagues de pillages

Le pays était l’un des plus industrialisés du continent à son accession à l’indépendance. Mais soixantaine ans plus tard, la désindustrialisation a fait des ravages, sous les effets combinés de longues années de mauvaise gouvernance et de deux vagues de pillages initiées dans plusieurs villes au début des années 1990 par des militaires en furie.

Pour tenter de remédier à la dégradation continue de la situation, les autorités ont décidé de mettre en place des zones économiques spéciales (ZES). Ces ZES, dont l’essaimage sera progressivement entrepris dans le cadre d’un partenariat privé-public ou privé-privé, sont des espaces dotés d’un régime juridique particulier en vue d’attirer des investissements. Les entreprises qui s’installeront dans ces zones bénéficieront de facilités fiscales et douanières, d’une certaine souplesse administrative et de diverses exemptions, de manière à les rendre plus compétitives.

Si le projet pilote de Maluku est un succès, l‘expérience sera étendue à d’autres provinces, comme le Lualaba, le Haut-Katanga et le Kongo-Central

L’idée remonte à 2012

L’idée d’implanter les ZES a été lancée en 2012, sous la présidence de Joseph Kabila. Après la mise en place en 2014 d’un cadre législatif fixant le régime des ZES en RDC et la création de l’Agence des zones économiques spéciales (AZES) en 2015, le gouvernement a lancé le processus de recrutement de l’aménageur privé de la ZES Pilote de Maluku en 2018. Ce processus a été piloté par la Cellule d’exécution des financements en faveur des États fragiles (CFEF), l’agence d’exécution du Projet de développement des pôles de croissance (PDPC) financée par la Banque mondiale.

Au bout du compte, le groupe Strategos a été retenu et a signé le contrat d’aménagement de la ZES Pilote de Maluku avec l’AZES en janvier 2020. Le groupe a surclassé ses concurrents, dont une société chinoise et un consortium congolo-sud-africain. Si le projet pilote de Maluku est un succès, l‘expérience sera étendue à d’autres provinces, comme le Lualaba, le Haut-Katanga et le Kongo-Central. Dans le Haut-Katanga, le site de Kiswishi (Lubumbashi) a acquis le statut de ZES en décembre 2020. Son aménagement sera réalisé dans le cadre d’un partenariat privé. 

Luc-Gerard Nyafe, « l’aménageur » établi en Colombie

Jean-Luc Nyafe

Le groupe Strategos appartient à Luc-Gérard Nyafe, un homme d’affaires congolais établi en Colombie où il a créé Tribeca, un fonds d’investissement dont les actifs étaient évalués à un demi-milliard de dollars en 2016. L’homme, qui nourrit d’ambitieux projets d’investissements, s’emploie à diversifier les activités de son groupe en RDC.

Luc-Gérard Nyafe est un ancien de l’Institut catholique des hautes études commerciales (Belgique). À son diplôme d’ingénieur commercial s’est ajoutée une maîtrise en administration des affaires (MBA), obtenue à l’International Institute for Management Development de Lausanne (Suisse).

Nyafe a été nommé, en mars 2019, ambassadeur itinérant du président Félix Tshisekedi, qui a succédé à Joseph Kabila en janvier 2019, après des élections législatives et présidentielle organisées dans un climat d’extrême tension, sur fond de contestation.

Mélange des genres ? Etrange coïncidence ? Certains voient derrière le contrat signé par Strategos une « preuve » de copinage. D’autres arguent que le groupe a été sélectionné après avoir présenté un dossier solide et mieux construit que ceux de ses concurrents.

Une pluie de critiques est tombée sur l’AZES, l’établissement public rattaché au ministère de l’Industrie et chargé de l’administration, de la régulation et du suivi des activités liées à l’aménagement et au développement des zones économiques spéciales

Favoritisme, conflit d’intérêts ou simple coïncidence ?

Les soupçons de favoritisme et de conflit d’intérêts, qui ne s’appuient pas sur des preuves irréfutables, sont balayés par l’Agence des zones économiques spéciales.

« Je crois sincèrement que Luc-Gérard Nyafe n’est pas en conflit d’intérêts. On lui fait un faux procès. Le projet de ZES et tout le processus de sélection de l’aménageur du site ont commencé bien avant l’arrivée du président Félix Tshisekedi au pouvoir. Strategos avait déposé son dossier bien avant les élections. Il y a juste eu un concours de circonstances », explique Auguy Bolanda, le chargé de mission de l’AZES.

Une pluie de critiques est néanmoins tombée sur cet établissement public rattaché au ministère de l’Industrie et chargé de l’administration, de la régulation, du contrôle et du suivi des activités liées à l’aménagement et à la gestion des ZES en RDC.

« Notre Agence a été injustement attaquée par les gens qui pensaient à tort qu’on avait poussé le dossier de Luc-Gérard Nyafe. Il n’a jamais été favorisé. Il suffit de regarder la chronologie des événements pour comprendre que le démarrage de ce processus est antérieur à sa nomination à la présidence. Nous lui avons toutefois fait signer un document en vertu duquel il s’engage à ne pas s’immiscer dans le processus, en sa qualité de collaborateur du président », précise Auguy Bolanda.  

Sous le regard de la Banque mondiale

Le processus de sélection de « l’aménageur » a été encadré de bout en bout par la Banque mondiale. Cette institution a été au cœur du dispositif qui a débouché sur le lancement de l’appel d’offres. L’encadrement de la Banque mondiale est généralement perçu comme un gage de sérieux dans des pays où les appels d’offres sont parfois entachés d’irrégularités.

Mais des analystes financiers font tout de même remarquer que certaines pratiques douteuses peuvent échapper à la vigilance de cette institution de Bretton Woods.

« Normalement les processus d’appel d’offres supervisés par la Banque mondiale se passent selon les règles prévues. Je dis normalement, parce qu’il peut toujours y avoir moyen, pour les représentants de l’Etat qui organisent le processus d’appel d’offres, de favoriser un soumissionnaire, même si la Banque mondiale est là. Le biais ne vient pas de cette institution qui fait des recommandations. Elle ne se substitue pas aux représentants de l’Etat qui peuvent, par exemple, donner certaines informations privilégiées au soumissionnaire qu’ils comptent favoriser, en contrepartie de pots-de-vin », note un analyste financier établi à Londres, qui connaît bien l’Afrique centrale.

« Les choses ne sont pas toujours aussi simples qu’elles en ont l’air. Il arrive que le soumissionnaire qu’on veut privilégier ait accès à des informations capitales avant qu’elles ne deviennent publiques. Cela peut se faire à l’insu des consultants de la Banque mondiale, car il y a toujours des trous dans la raquette. La Banque mondiale laisse une certaine latitude à l’État qui reste le dernier donneur d’ordre. Cela ne signifie pas que c’est forcément ce qui s’est passé avec Strategos en RDC », ajoute-t-il.

Les préoccupations de la FEC sont jugées irrecevables par certains économistes, dans un contexte où, soutiennent-ils, la reconstruction du pays nécessiterait un remède de cheval en toute urgence

Les réserves de la FEC

Si la Fédération des entreprises du Congo, la principale organisation patronale du pays, n’est pas résolument hostile aux zones économiques spéciales, elle émet toutefois des réserves sur le projet de Maluku.

L’organisation patronale met en avant les préalables liés aux infrastructures qui, selon elle, doivent être remplis avant la mise en œuvre de ce projet. Elle estime qu’un accès plus facile à la ZES serait la condition sine qua non pour la réussite du projet. La seule route qui relie le centre de Kinshasa à Maluku est souvent engorgée. C’est ainsi que la FEC préconise la construction d’une voie ferrée entre le centre de Kinshasa et Maluku, avant la mise en valeur du site de la ZES. Ce chemin de fer partirait de Banana, où est prévue l’édification d’un port en eaux profondes, jusqu’à Maluku, en passant par Matadi et Kinshasa.

Les préoccupations de la FEC sont jugées irrecevables par certains économistes, dans un contexte où, soutiennent-ils, la reconstruction du pays nécessiterait un remède de cheval en toute urgence. Il est vrai que les indicateurs macroéconomiques de la RDC et sa place dans les classements internationaux n’incitent pas à un excès d’optimisme depuis des décennies.

La sortie du tunnel serait-elle envisageable à moyen terme ?  Le coût du projet de ZES de Maluku est, à ce stade, de 126 millions de dollars. L’État a décaissé 21 millions de dollars. À charge pour le groupe Strategos de mobiliser d’autres partenaires pour réunir les fonds qui manquent et passer à l’exécution des travaux.

Le groupe est tenu de constituer une société de gestion dans laquelle il serait l’actionnaire majoritaire. Cependant, l’État ne sera pas partenaire de la nouvelle société dans laquelle il n’est pas prévu, jusqu’ici, qu’il prenne des parts. 

La priorité du moment est de tout mettre en œuvre pour endiguer la grave crise sanitaire qui paralyse l’activité économique

Jouer la « carte RDC »

Pendant ce temps, le site de Maluku a été délimité par un mur de clôture qui s’étale à perte de vue. Les investisseurs potentiels observent de près ce qui s’y passe. Le groupe Strategos, qui n’a pas encore bouclé ses tours de table, s’emploie à les convaincre de jouer la « carte RDC ».

À quand le coup d’envoi des travaux ? Probablement au courant de l’année 2021, à en croire l’AZES. Personne n’a vu venir le covid-19 qui s’est placé au centre de l’actualité depuis mars 2020. La pandémie provoquée par le coronavirus parti de Wuhan, en Chine, paralyse l’activité économique sur toute la planète. La RDC, où des restrictions ont été imposées, comme presque partout ailleurs, n’est pas épargnée. Sa priorité du moment est de tout mettre en œuvre pour tenter d’endiguer cette grave crise sanitaire et de retrouver ainsi une vie à peu près normale.

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