Une quinzaine de jours avant le 6ème Sommet Union Européenne/Union Africaine, qui a eu lieu les 17 et 18 février 2022 à Bruxelles, s’est tenue la 5ème édition de l’Africa Week organisée par le groupe politique Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates du Parlement européen. À l’occasion de cette 5è édition, fidèle à sa ligne éditoriale, l’émission Afrika Europa, produite par Afrikavision, créée en 2010 par la journaliste Mona Mpembele, a réuni, le 3 février, plusieurs invités pour un débat sur les relations Europe-Afrique.
Tournée au Parlement Européen, l’émission a enregistré la présence de plusieurs invités, dont trois eurodéputés : le Portugais Carlos Zorrinho, membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du Parlement européen, l’Allemand Udo Bullman, président du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen et Maria Arena, femme politique belge membre du Parti socialiste.
La presse était représentée par trois journalistes, originaires et/ou spécialistes de la RD Congo, dont Patrick Ndungidi, qui collabore aux media en ligne Adiac-Congo.com et d’Africansharpers.com, et Jean Boole, journaliste à Yambola magazine, politologue et auteur d’un ouvrage sur les défis du changement climatique en RDC. Enfin, deux membres de la société civile étaient également de la partie : la RD-congolaise Noëlla Coursaris, qui a créé la Fondation Malaïka, et le chanteur Innoss’B, également originaire de la RDC, initiateur de la Fondation Innocent.
Animé et modéré par Mona Mpembele, le débat a porté sur divers sujets : l’état et le contenu du partenariat Europe-Afrique, le rôle et l’action des pays européens, notamment de la France en Afrique, les coups d’État et les positionnements de l’Europe face à cette question, les investissements européens, la sécurité dans le Sahel, les migrations et la perception des relations UE/UA par les Européens.
Manque de faits et de preuves
Animé et sans complaisance, le débat a mis en évidence plusieurs faiblesses du côté des arguments de certains députés européens. On pouvait s’attendre en effet à avoir plus d’informations documentées et étayées par des exemples plus diversifiés, ainsi que par des faits et des chiffres. Pour exemple, le premier thème abordé sur l’état du partenariat Europe-Afrique a été présenté d’emblée comme « ne fonctionnant pas ». Reste que les réponses nous ont laissés sur notre faim. Quels sont les pays européens impliqués dans ce partenariat ? Dans quels domaines et comment interviennent-ils ? À hauteur de quels montants ? En quoi ce partenariat ne fonctionne-t-il pas ? De quels types de relations s’agit-il : aide ou investissement ? Qui, dans chaque partie, peut définir clairement ses intérêts ? Comment concilier les intérêts des États européens entre eux, et avec l’Afrique, entre le bilatéral et le multilatéral ? Peu de réponses ont été données sur ces points.
Manque d’impartialité
On a pu noter également une certaine partialité dans les cibles des critiques. Ainsi la France a été au cœur de bien des accusations. Ses dirigeants seraient les seuls à ne pas dénoncer ouvertement les coups d’État et ses entreprises, les seules à ne respecter ni le fameux win-win, ni l’environnement et le développement durable, ni les droits humains et ceux des travailleurs…
Quid des autres pays ? À seulement s’appesantir sur la France pour illustrer les méfaits du partenariat Europe-Afrique pourrait faire penser qu’il s’agit d’un règlement de comptes plutôt que d’une volonté de mettre en évidence les lacunes et, partant, de formuler les changements nécessaires à opérer pour rééquilibrer le partenariat.
Chauvinisme
Il y a eu aussi quelques déclarations étonnantes. Oubliant les vilains petits canards qui se comportent mal, le chauvinisme européen a vite refait surface. Ainsi l’un des eurodéputé aurait demandé à des dirigeants africains qui devraient-ils choisir « entre un investisseur européen attentif aux valeurs sociales, demandant la transparence et qui va donc lutter contre la corruption, et un investisseur chinois qui va « s’en foutre » de la question sociale et environnementale africaine et qui va donner un canal de corruption à des élites africaines… Vous devrez choisir l’investissement qui ne vous enrichit pas mais qui va donner de la richesse à votre population ». L’Europe des lumières face au sombre et machiavélique Empire du milieu !
Douche écossaise
C’est une douche écossaise qu’ont reçue Innoss’B, dont la fondation porte assistance aux populations victimes de l’éruption du volcan Nyiragongo en RDC, et Noëlla Coursaris, fortement engagée dans l’autonomisation des jeunes filles congolaises et leurs communautés à travers des programmes d’éducation et de santé.
Après les félicitations, la critique est tombée, implacable. C’est bien ce que vous faites, mais cela devrait relever du rôle de l’État ! Les actions à caractère humanitaire d’ONG seraient-elle antinomiques avec ce que font ou devraient faire les États ? Pourtant, elles mettent en évidence que la solidarité existe et c’est tant mieux. Et sont révélatrices des capacités de résilience des Africains et d’une société civile qui se bat sur le terrain pour faire changer les choses. C’est cette même société civile qui, en RD Congo notamment, se démène pour imposer les droits humains, la bonne gouvernance à tous les niveaux et la démocratie.
La multiculturalité pour changer le regard
Vers la fin, l’invitation d’un eurodéputé à être concret et pragmatique et à proposer une stratégie qui aboutisse à un développement durable, a permis au débat de sortir de certains clichés et de certaines impasses. Pour parvenir à cet objectif, le député préconise de mettre en avant la « multiculturalité ». Laquelle peut apporter une réponse positive en permettant de considérer un même phénomène à travers différentes approches. « La multiculturalité peut rapprocher les peuples. Les relations entre les peuples sont plus structurelles que celles entre les gouvernements, qui, eux changent », a martelé l’euro-député. Une remarque qui doit interpeler les Européens. Exit le regard braqué sur le nombril et les injonctions. Place aux relations d’égalité et à un changement de regard.
À en juger par la faiblesse de quelques arguments développés, certains relevant du « y’a qu’à, faut qu’on », d’autres aux accents populistes et d’autres encore se limitant à des affirmations au détriment des démonstrations, avec faits, chiffres et analyse à l’appui, mais aussi en tenant compte de la pertinence de certains points de vue avancés, en particulier sur les relations entre les peuples, cette émission aura permis de remettre les pendules à zéro et d’ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. De toute évidence, la relation de l’Europe avec Afrique et son regard sur le continent africain doivent changer.