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vendredi 29 mars 2024
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Bientôt une nouvelle route à péage et un pont entre la RDC et la Zambie

Les medias congolais et zambiens en parlent depuis plusieurs mois. Même la presse tanzanienne en fait mention. Et pour cause. Le projet de réalisation d’un pont sur la rivière Luapula et d’une route à péage de part et d’autre de la frontière congolo-zambienne, qui doit relier Lubumbashi au port de Dar-es-Salaam, prend corps. La cérémonie de la pose de la première pierre du projet est imminente. 

L’idée de décongestionner Kasumbalesa, le poste-frontière entre la RDC et la Zambie, n’est pas nouvelle. C’est par ce poste que sont acheminés vers le port de Durban en Afrique du Sud (RSA) la majorité des produits miniers des provinces du Haut-Katanga et du Lualaba. C’est par là qu’arrivent diverses marchandises, dont des produits destinés à l’industrie minière, en provenance de nombreux pays étrangers. L’augmentation attendue de la production de cuivre et de cobalt, et, prochainement, de lithium et autres métaux dits des batteries, se traduira par une hausse du trafic.

Le corridor oriental

D’où le besoin de trouver de nouveaux corridors pour faciliter les échanges extérieurs des provinces, notamment celles minières, du sud de la RDC. C’est ainsi qu’a germé, comme alternative à Kasumbalesa et au corridor sud vers l’Afrique australe, l’idée d’un corridor oriental, vers la Tanzanie, dont le point de départ se situe, en RDC, dans le Territoire de Kasenga (Haut-Katanga), au contact de la province zambienne du Luapula. Pour réaliser cet objectif, le projet a retenu la construction d’un pont sur la Luapula et d’une route transfrontalière à péage depuis Kasomeno (RDC) jusqu’à Mwenda (Zambie).

GED Africa, le concessionnaire

Restait à définir les contours juridiques du projet et à sélectionner le concessionnaire. Le projet ayant une dimension bilatérale (RDC et Zambie), les concessions ont été négociées pour chaque pays. En 2015, l’Agence congolaise des grands travaux (ACGT) a lancé un appel d’offres, qui a été remporté par le Groupe Européen de Développement (GED) Congo, fondée par le Hongrois René Hutton-Mills. Côté zambien, c’est GED Zambia, également créé par René Hutton-Mills et dirigé par le Zambien Marcus Scott, qui a remporté l’appel d’offres lancé par la Road Development Agency (RDA).

Ainsi, le concessionnaire retenu est GED Africa, enregistré à l’île Maurice, dont le capital est réparti entre Hutton-Mills et Jamila Mwansa. Son partenaire financier est la société hongroise Duna Aszfalt, détenue par László Szíjj et spécialisée dans la construction de routes, qui pourrait entrer à terme dans le capital de GED Africa.

Concession en BOT

Le projet sera réalisé sur la base d’un partenariat public-privé en Build, Operate, Transfer (BOT), associant la société concessionnaire GED Africa et les États congolais et zambien, représentés respectivement par l’ACGT et la RDA. Le coût du projet, qui comprend la construction du pont, de la route et de diverses installations transfrontalières, s’élève à environ 500 millions de dollars.

Le projet sera réalisé sur la base d’un partenariat public-privé en Build, Operate, Transfer (BOT), associant la société concessionnaire GED Africa et les États congolais et zambien

GED Africa construira et exploitera le pont et la route à péage. La durée de la concession, au terme de laquelle les infrastructures seront remises aux deux pays, doit être harmonisée. La Zambie est favorable à une concession d’une durée de 25 ans. La RDC souhaitait, pour sa part, la limiter à 15 ans (3 ans de travaux + 12 ans d’exploitation).

L’octroi de 30 % de contrats de sous-traitance à des entrepreneurs zambiens a été accepté par GED Zambia. La loi sur la sous-traitance en Zambie prévoit que 20 % des travaux de tous les contrats routiers doivent être attribués à des entreprises appartenant à des Zambiens. Côté congolais, la sous-traitance est réservée aux nationaux.

Pont sur la Luapula et route à péage

Parmi les infrastructures prévues, figure un pont à haubans, de 345 mètres de long, sur la rivière Luapula, à hauteur de Chalwe. Ce site, localisé au sud de Kasenga, chef-lieu du Territoire éponyme, a été retenu parce que la rivière y est plus étroite à cet endroit. La Luapula, qui prend sa source dans le lac Bangwelo en Zambie, forme une frontière naturelle entre la RDC et la Zambie depuis Kafufwe jusqu’à son embouchure avec le lac Moero, frontalier entre les deux pays.

La durée des travaux est estimée à 3 ans. Pour l’heure, le transport fluvial s’opère sur des barges entre Kasenga et Kashiba, le poste frontière côté zambien.

Parmi les infrastructures prévues, figure un pont à haubans, de 345 mètres de long, sur la rivière Luapula, à hauteur de Chalwe. Le projet inclut également le bitumage de la route Kasomeno-Kasenga-Chalwe-Mwenda.

Le projet inclut également le bitumage de la route Kasomeno-Kasenga-Chalwe-Mwenda. La cité de Kasomeno est située à la jonction de la RN5, bitumée, et de la RN 35 qui mène à Kasenga. Côté congolais, la RN 35 sera bitumée et prolongée jusqu’à Chalwe (91 km). Côté zambien, la route M3 sera modernisée sur 85 km depuis le pont jusqu’à Mwenda, dans le district de Mwense. Ainsi la route à péage, longue de quelque 180 km, s’étendra de part et d’autre de la rivière.

Infrastructures transfrontalières

Dans chaque pays, de part et d’autre du pont fluvial, un poste frontalier à guichet unique et une gare à péage, avec des parkings et des entrepôts associés seront implantés. Quatre postes de péage satellites seront également installés. Le péage devrait être ouvert de jour comme de nuit, 7/7 jours. La gestion des frais de péage et le système d’enregistrement des marchandises seront informatisés. L’enregistrement se fera en une seule fois, quelle que soit la porte d’entrée dans le pays.

Dans la perspective du projet, Kasenga, petit port fluvial et poste frontalier, commence à changer de visage. À la Direction générale des migrations viennent progressivement s’ajouter d’autres services de l’État et le nombre de véhicules qui empruntent la RN 35 est en progression.

De l’électricité pour les populations riveraines

Si la concession se limite au pont, à la route et aux infrastructures transfrontalières qui leur sont liées, les États congolais et zambien, pour leur part, misent aussi sur la construction d’une centrale hydroélectrique sur la Luapula, qui compte plusieurs chutes importantes dont celles de Mumbuluma, Musenda et Mambilima.  

Les États congolais et zambien misent aussi sur la construction d’une centrale hydroélectrique sur la Luapula, qui compte plusieurs chutes importantes.

L’un des sites, identifié par le consortium associant le français Électricité de France (EDF) et le sud-africain GIBB dans le cadre d’un contrat signé avec le Southern African Power Pool, pourrait abriter cette centrale.

Le 9 mai dernier, Jacques Kyabula Katwe, gouverneur du Haut-Katanga, déclarait sur sa page Facebook : « La rivière Luapula que nous avons en commun avec la Zambie peut produire environ 770 mégawatts de courant électrique et réduire ainsi le déficit pour les populations des provinces congolaise et zambienne du Haut-Katanga et de Luapula. Voilà l’enjeu de ma présence à la Semaine de l’eau et de l’énergie ouverte hier à Samfya en Zambie où je suis arrivé ce dimanche matin ». 

Lors de cette manifestation ouverte par le ministre zambien de l’énergie, Mafwe Nkuwa, les différents intervenants ont proposé la mise en place d’une Autorité de la Rivière Luapula en vue de gérer les ressources en eau partagée et le projet hydroélectrique. Une réflexion a par ailleurs été engagée sur la gestion de la rivière au plan environnemental.

Jusqu’à Dar-es-Salaam

De Mwenda, la route se poursuivra jusqu’au port tanzanien de Dar-Es-Salam, via le poste-frontière de Tunduma entre la Zambie et la Tanzanie. Par rapport au contournement de Kasumbalesa, le nouveau parcours fera gagner près de 300 km pour une distance totale (Lubumbashi-Dar-es-Salaam) ramenée à 1760 km. Une grande part du trafic de Kasumbalesa destiné à l’Afrique de l’est devrait ainsi être détournée vers la province du Luapula.

Le port de Dar-es-Salaam fait l’objet d’importants travaux de modernisation visant à porter sa capacité de traitement de 13,8 millions de tonnes de marchandises par an à 28 millions de tonnes et permettra d’accueillir des navires d’une capacité de charge allant jusqu’à 70 000 tonnes.  

Le projet présente donc de nombreux avantages : un trajet réduit, un coût de logistique allégé, deux frontières à franchir au lieu de trois sur le corridor sud, des délais de livraison écourtés et une route entretenue par le concessionnaire. De quoi augmenter la rentabilité des projets miniers.

Par rapport au contournement de Kasumbalesa, le nouveau parcours fera gagner près de 300 km pour une distance totale (Lubumbashi-Dar-es-Salaam) ramenée à 1760 km

Un projet intégrateur

Pour Louis Watum, président de la chambre des mines de la RDC, le projet est intéressant à double titre. « Pour les miniers, tout ce qui peut décongestionner Kasumbalesa est bienvenu. Les sociétés minières sont d’autant plus favorables à cette initiative que la plupart de leurs produits sont exportés vers l’Asie. En outre, du point de vue de l’intégration de la Zone de libre échange continentale, c’est ce type de projet que l’on veut voir émerger. De tels projets, comme celui du pont entre le Botswana et la Zambie récemment inauguré, permettent à l’Afrique d’être mieux intégrée, d’abaisser les coûts de logistique et pour les opérateurs économiques d’accéder plus rapidement et à moindre coût aux ports en eau profonde du continent », souligne-t-il. À condition toutefois d’offrir des tarifs de péage compétitifs. « Le coût du péage va-t-il augmenter ou non le prix de la tonne de minerai ou de produits marchands livrée à destination ? », s’interroge Watum. « D’autres corridors sont appelés à se développer, dont celui de Lobito (RDC-Angola) et celui de Walvis Bay (RDC-Zambie-Namibie) », ajoute-t-il.

« Du point de vue de l’intégration de la Zone de libre échange continentale, c’est ce type de projet que l’on veut voir émerger »

Bon accueil côté RDC

Les miniers ne sont pas les seuls à apprécier le projet. Le Haut-Katanga, et sa capitale Lubumbashi, où pourraient s’établir prochainement une banque et une compagnie aérienne tanzaniennes, attendent avec impatience sa réalisation.

Pour le Territoire de Kasenga, dont l’activité est tournée vers l’agriculture, la pêche, l’élevage et un peu de tourisme dans le parc national de Kundelungu, l’impact du projet sera également important. Son chef-lieu, dont la majorité des habitants se consacrent à la pêche et au commerce de poissons, accueillera de nouvelles entreprises, voire une technopole comprenant des bureaux, des dépôts, des immeubles, des services et des unités industrielles. Appelée à s’urbaniser, de commune rurale, Kasanga pourrait devenir une commune urbaine.

La construction d’une centrale hydroélectrique sera un atout pour le Territoire.  Pour l’heure, Kasenga est alimenté par l’électricité importée de Zambie par la SNEL. Mais de nombreux villages et petites villes, non connectés aux centrales de la province, ne disposent pas de courant électrique. L’offre en énergie que favorisera la centrale, permettra de diversifier l’économie du Territoire avec l’essor d’activités minières et touristiques.

Doper l’économie du Luapula

Côté Zambie, le projet, qui est vivement attendu, devrait doper l’économie de la province du Luapula, l’une des plus pauvres du pays, où le taux d’analphabétisme est élevé et le revenu par habitant faible. L’économie de la province, dont le chef-lieu est Mansa, repose sur la pêche, l’élevage et l’agriculture (maïs, manioc, millet, sorgho, soja et haricots. La plupart des productions locales sont écoulées sur le marché congolais.

Le Luapula possède un grand potentiel dans les domaines de l’énergie et du tourisme, avec la présence de nombreux lacs et rivières et de chutes d’eau dont celle de Lumangwe, la deuxième plus grande chute d’eau de Zambie, reconnue par l’Unesco comme un site du patrimoine mondial. La province est riche en traditions culturelles, dont le Mutomboko, une célèbre cérémonie lunda. Le Luapula compte plusieurs gisements de cuivre, de manganèse, de cobalt et de zinc. L’exploration pétrolière est également en cours. Le pont et la route ne peuvent que profiter à la province et diversifier son économie.

Le 24 avril, lors d’une rencontre bilatérale à Kinshasa, Félix Tshisekedi et son homologue zambien Edgar Lungu ont réitéré leur intérêt pour les projets d’infrastructures communes entre les 2 pays.

Soutien des autorités des deux pays

Les études de faisabilité du projet ont été achevées en 2020. Place maintenant aux chantiers. Le 15 avril dernier, lors d’une rencontre qui a réuni, à Lubumbashi, les gouverneurs des deux provinces frontalières, Jacques Kyabula a annoncé qu’il allait remettre au chef de l’État congolais, Félix Tshisekedi, un rapport sur le programme de lancement officiel du projet de pont et encouragé GED Africa à accélérer le démarrage des travaux. Le jumelage de Lubumbashi et de Mansa a également été évoqué pour un échange d’expériences.

Le 24 avril, lors d’une réunion bilatérale à Kinshasa, Félix Tshisekedi et son homologue zambien Edgar Lungu ont réitéré leur intérêt pour l’ensemble des projets d’infrastructures entre les 2 pays : le pont, la route et la centrale hydroélectrique.

Reste à boucler le financement du projet. Cette étape sera franchie quand Duna Asfaltz aura libéré son apport d’environ 200 millions de dollars et quand la Development Bank of Southern Africa (DBSA), qui appartient à l’État sud-africain, aura validé le montant du projet. Néanmoins, pour les autorités nationales et provinciales des deux pays, les travaux peuvent démarrer sans attendre ce bouclage. La pose de la première pierre du pont aura-t-elle lieu en juillet, comme souhaité ?  

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