Véritable pépinière de talents, l’Académie des Beaux-Arts (ABA) de Kinshasa est dirigée par le Professeur Henri Kalama Akulez, docteur en arts plastiques. Il a engagé une série d’actions pour adapter les curricula aux évolutions de la société congolaise et faire connaître l’académie. Outre sa mission pédagogique, l’ABA est aussi un centre culturel qui accueille différents publics via des expositions.
Comment enseigner l’art en Afrique et dépasser l’esprit d’atelier qui a prévalu à la naissance des écoles d’art africaines ? Comment donner de la visibilité aux travaux des étudiants et permettre au grand public de s’initier à l’art ? Autant de questions auxquelles le Professeur Kalama Akulez tente d’apporter des réponses.
Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu pour makanisi.
Makanisi : Vous avez innové à l’Académie des Beaux-Arts en consacrant une de vos salles à des expositions d’œuvres d’étudiants. Qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?
Henri Kalama Akulez : L’académie compte deux salles. L’une, tenue par des femmes, sert d’espace de vente d’objets artisanaux et de souvenirs. Nous avons gardé la plus grande pour la consacrer à des expositions temporaires et expérimentales. La grande innovation a été l’organisation d’une exposition en fin d’année académique, inaugurée en 2016 quand j’ai été nommé directeur général de l’Aba. Nos produits n’étaient pas accessibles car on ne savait pas ce que l’école faisait. L’objectif était donc de mettre les œuvres des étudiants à la portée du public, pour que ce dernier puisse comprendre ce que nous faisions. Il fallait montrer qui sont les peintres, les architectes d’intérieur, les designers, les communicateurs, les céramistes et autres artistes prometteurs, que l’académie met sur le marché. L’exposition, devenue annuelle, réunit les meilleurs travaux des étudiants de tous les départements confondus.
une école d’art, par-delà l’enseignement qu’elle dispense, doit être un centre culturel, un espace où l’on peut voir ce qui est produit dans l’école
Cette exposition fait-elle de l’académie une sorte de centre culturel ?
H.K.A. : Tout à fait. Pour moi, une école d’art, par-delà l’enseignement qu’elle dispense, doit être un centre culturel, un espace où l’on peut voir ce qui est produit dans l’école. La première exposition a eu un très grand succès et ses résultats ont été très encourageants. Depuis toutes celles qui ont suivi sont devenues des rendez-vous très importants. Ainsi l’académie est devenue une sorte de centre culturel, au même titre que l’Institut français ou le Centre Wallonie-Bruxelles. Ces instituts sont d’ailleurs très contents d’être invités à des manifestations organisées par des Congolais, dont le public est essentiellement congolais et la vision congolaise.

C’est une manière de valoriser les travaux des étudiants …
H.K.A. : Bien sûr. J’ai voulu initier une culture d’exposition au sein de l’académie, ce qui n’existait pas auparavant à l’académie, pour rendre visibles les travaux des étudiants. Cette initiative fait vivre l’école et en fait un lieu dynamique où les expressions nouvelles sont facilement intégrées, où les étudiants sont valorisés, peuvent exposer, vendre, avoir des commandes et trouver des débouchés professionnels. C’est une manière pour l’apprenant d’expérimenter ce qui l’attend dans le monde professionnel. Voilà pour l’aspect visibilité.
J’ai voulu initier une culture d’exposition au sein de l’académie, ce qui n’existait pas auparavant à l’académie, pour rendre visibles les travaux des étudiants.
Quel est l’autre volet de cette initiative ?
H.K.A. : Le deuxième volet est pédagogique. L’exposition permet à divers publics de comprendre l’utilité de notre enseignement, l’objet de la création artistique, de découvrir les travaux de nos étudiants, de s’approprier les meilleurs d’entre eux, et pour des entreprises et des professionnels, de trouver de futurs collaborateurs.
Ce grand public est dans une dynamique et une logique d’éducation. Il n’achète pas mais il découvre l’art, ses créations et ses débouchés.
Qui sont les publics ?
H.K.A. : C’est un public hétéroclite. Si notre objectif premier était d’attirer des recruteurs pour nos étudiants, très vite on a compris que le grand public s’était approprié l’initiative. Parmi ce public, il y a les parents, les étudiants et de simples passants, à qui l’exposition a donné l’occasion d’entrer dans l’académie, alors qu’ils ne l’auraient pas fait spontanément. Ce grand public est dans une dynamique et une logique d’éducation. Il n’achète pas mais il découvre l’art, ses créations et ses débouchés.
Pour les étudiants de 1ère année, l’exposition a également une dimension pédagogique, en créant de l’émulation. La découverte des travaux des finalistes (étudiants de dernière année) leur donne envie de devenir, à leur tour, les meilleurs plus tard. L’exposition leur permet également d’avoir une vision globale de l’institution, de ses fonctions pédagogiques et des productions de tous ses départements. Elle est un moment d’échanges et de communion pour nos étudiants.
Pour les étudiants de 1ère année, l’exposition a également une dimension pédagogique, en créant de l’émulation.
Qu’est-ce qui distingue l’approche de l’académie en tant que centre culturel de celles d’autres instituts culturels ?
H.K.A. : Dans certains pays étrangers, la peinture tient parfois peu de place dans les expositions. On est dans une logique d’expérimentation, de recherche de nouveauté. On parle parfois d’artiste sans art. Un public non averti peut se demander où est l’œuvre et à quoi peuvent servir certains objets. Dans l’esthétique congolaise, la réflexion allie l’art à la fonctionnalité de l’œuvre. Nous sommes dans une logique fonctionnelle. En outre, il y a la place pour toutes les formes d’expression. C’est une approche pluraliste. Nous cherchons à comprendre ce qui représente le mieux l’homme congolais d’aujourd’hui. À Kinshasa, le centre Wallonie-Bruxelles et l’institut français sont proches de ce que nous faisons. Ils acceptent une expression plurielle.

Dans quelles formes d’expression artistique les Congolais se reconnaissent-ils le plus ?
H.K.A. : Il y a plusieurs catégories de publics et d’acheteurs. En peinture, les ventes sont réalisées sur une base thématique. Une première catégorie de public achète des œuvres en fonction de la réflexion morale qu’elles suggèrent, des grands personnages historiques qu’elles glorifient, comme Patrice Lumumba ou le président Laurent-Désiré Kabila, ou des sujets très réalistes qu’elles mettent en scène. Une deuxième catégorie est à la recherche d’expressions ouvertes et plus abstraites. Mais ce public est peu nombreux. La troisième recherche des œuvres décoratives. Son choix se porte sur la couleur ou tout autre détail qui s’harmonisera le mieux avec son intérieur, sa maison. Il y a aussi des architectes d’intérieur et des galeristes qui recherchent des oeuvres plus abouties. C’est très diversifié, mais, pour tous, la réponse est positive.
Quelles sont les grandes évolutions pédagogiques mises en œuvre au sein de l’académie ?
H.K.A. : L’évolution a d’abord concerné la revisitation des intitulés des programmes d’enseignement. Il a fallu les redéfinir, en distinguant la partie théorique de la partie pratique et les différentes classes. Pour exemple, dans les classes de 1ère et 2ème années de peinture, on enseigne les différents types de peintures, leurs usages et les techniques d’utilisation. Cet enseignement s’accompagne d’exercices imposés, basés sur l’observation. En 3ème année, l’étudiant, qui a apprivoisé toutes les techniques, doit proposer son propre projet. Il doit être inspiré, avoir des artistes référents et être en mesure de définir la cohérence thématique et stylistique de son travail. En 4ème année, il doit produire des réflexions écrites sur son travail. En 5ème année, on doit voir qu’il est devenu une personne indépendante, avec un travail original et authentique et un parcours qu’il peut retracer. Dans ces conditions, l’enseignant doit être un coach. Il doit écouter l’étudiant, le conseiller sur son travail, ses lectures, ses fréquentations d’artistes, pour qu’il soit en mesure de construire un discours. Il y a autant d’étudiants que d’univers et d’approches que doit expérimenter l’enseignant. Celui-ci doit faire découvrir à l‘étudiant d’autres référentiels que ceux qu’il connaît, l’aider à accoucher de son œuvre, à réfléchir par lui-même, à devenir un artiste, voire être capable de lui dire de se ressaisir s’il fait fausse route.
Les académies d’art, qui sont nées en Afrique des ateliers coloniaux, sont devenus des écoles d’art. Mais une psychologie ambiante continue à rappeler l’esprit de ces ateliers. Il y a encore peu de place pour des discussions. Nous devons dépasser cet esprit d’atelier.
Du Maître à l’apprenti d’autrefois, qui devait reproduire des modèles, l’enseignant est devenu aujourd’hui un passeur, un accoucheur de l’étudiant…
H.K.A. : Autrefois, on imposait un sujet à l’étudiant et on lui donnait les titres des œuvres à réaliser.On formait des personnes qui devaient ressembler au maître. Aujourd’hui, l’étudiant doit questionner et pouvoir s’exprimer. Il a les compétences mais il doit trouver sa place. L’enseignant doit l’écouter et l’accompagner. Comment enseigner l’art dans les écoles d’art en Afrique aujourd’hui ? Telle est ma réflexion actuelle. Les académies d’art, qui sont nées en Afrique des ateliers coloniaux, sont devenus des écoles d’art. Mais une psychologie ambiante continue à rappeler l’esprit de ces ateliers. Il y a encore peu de place pour des discussions. Nous devons dépasser cet esprit d’atelier.
L’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa en bref
Établie avenue Pierre Mulele (ex-24 novembre) à Kinshasa, l’Académie des Beaux-Arts (ABA) a pour ancêtre l’École Saint Luc créée en 1943 à Gombe-Matadi, près de Mbanza-Ngungu (Kongo central), par Marc Stanislas Wallenda, un missionnaire belge de la congrégation des Frères des Écoles Chrétiennes. Transférée en 1949 à Léopolville (actuelle Kinshasa), l’École est rebaptisée Académie des Beaux-Arts en 1957.

Dirigée depuis 2016 par le Professeur Henri Kalama Akulez, docteur en arts plastiques, l’ABA compte deux sections d’enseignement, divisées en départements : les Arts plastiques (peinture, sculpture, céramique, métal, restauration et conservation des œuvres d’art) et les Arts graphiques (architecture intérieure, communication visuelle, photographie et design).
L’Académie prépare au graduat (bac + 3) et à la licence (bac + 5) en arts plastiques et graphiques. Elle accueille environ 1500 étudiants par an, qui sont encadrés par quelque 90 enseignants. Pour entrer à l’académie, le futur étudiant doit avoir un diplôme d’État (bac) en arts plastiques ou passer le concours d’entrée.