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Brazzaville, capitale de la France Libre, un livre de l’historien Jérôme Ollandet

La célébration du 80ème anniversaire du Manifeste de Brazzaville est l’occasion de lire ou de relire l’excellent ouvrage que Jérôme Ollandet, historien et ambassadeur congolais, décédé en décembre 2017, a consacré à Brazzaville, capitale de la France libre.

Intitulé « Brazzaville, capitale de la France libre. Histoire de la résistance française en Afrique noire ; 1940-1944 », cet ouvrage est paru, en 2013, aux éditions l’Harmattan. Il s’agit d’une deuxième édition, la première ayant été publiée, en 1981, en exemplaires limités, aux Éditions la Savane. Elle a été enrichie par de nouvelles recherches et de nombreuses enquêtes réalisées dans des pays d’Afrique centrale et au Sénégal, que l’auteur a pu visiter grâce à ses fonctions de diplomate. Sans oublier les visites de quelques champs d’opérations militaires du désert saharien et de la frontière égypto/libyenne comme Tobrouk, Koufra, Benghazi, où Ollandet a pu mesurer la grandeur de l’épopée des soldats partis des rivages du Congo pour la libération de la France.

Dans son introduction, Jérôme Ollandet annonce la couleur. « La Première Guerre mondiale avait déjà apporté la preuve éclatante qu’au XXème siècle, aucune confrontation militaire de grande envergure ne pourrait épargner une partie quelconque du globe. Tout grand conflit serait nécessairement planétaire. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, cette réalité apparut avec plus de netteté. Dans le grand conflit de 1939-1945, chaque continent, chaque région du monde eut sa part de responsabilité dans le cours des évènements. L’Afrique dans son ensemble fut impliquée dans cette guerre civile européenne à laquelle certaines puissances associèrent d’autres nations du monde au nom du pacte colonial ».

Le ralliement de l’AEF et du Cameroun

Tout au long des 280 pages de l’ouvrage, l’auteur décrit et analyse avec finesse les grandes étapes qui ont abouti au Manifeste de Brazzaville, un discours prononcé par le général de Gaulle à Brazzaville le 27 octobre 1940. Ne pouvant compter sur l’Afrique occidentale française, plutôt acquise au maréchal Pétain, de Gaulle s’est tourné vers l’Afrique équatoriale française (AEF). Dans son appel du 18 juin 1940, prononcé sur les ondes de la BBC, il avait déjà invité « l’empire encore intact », à le suivre dans son refus de la défaite.

Toutefois le ralliement de l’AEF et du Cameroun n’a pas été chose facile, comme l’historien le démontre dans le chapitre III, après avoir fait un état des lieux des positionnements des deux camps – les vichystes et les gaullistes – dans l’empire colonial français d’Afrique.

Tchad, Cameroun, Moyen-Congo, Oubangui-Chari, Gabon… Il faudra plus de quatre mois au général de Gaulle pour obtenir le ralliement de l’AEF et du Cameroun à sa cause. Une fois ce ralliement acquis, qui fut déterminant pour la résistance française en Afrique, et après avoir fait de Brazzaville la capitale de la France libre, de Gaulle y met en place une administration civile et un gouvernement.

Radio-Brazzaville et École militaire

De Gaulle dotera la capitale d’une station de radiodiffusion, qui allait devenir l’une des premières chaînes radiophoniques de la France en guerre connue sous le nom de Radio-Brazzaville.  À son initiative, fut également ouverte une école de sous-officiers : l’Ecole militaire de Brazzaville, inauguré le 23 février 1941, qui allait porter le nom d’Ecole Colonna d’Ornano. Puis sera rebaptisée plus tard École Général Leclerc.

Dans cet ouvrage, Ollandet ne se limite pas à analyser le ralliement des colonies françaises. Il étudie également la position des autres nations européennes en Afrique, notamment les Anglais et les Belges, dont le rôle est déterminant tant pour la lutte contre le nazisme que pour l’effort de guerre que leurs colonies peuvent apporter.

La » légende » de Gaulle

Dans le chapitre IV, Ollandet présente quelques grandes figures de la résistance française en Afrique, dont le général de Gaulle, à qui l’Afrique donnera une dimension internationale. De Gaulle sera à l’origine de mythes et de légendes qui se racontaient dans les colonies. « L’ascension de la légende connut son apogée à la fin de la guerre. A partir de ce moment, de Gaulle entrait vivant dans les arts, le folklore, la magie africaine, etc. On sculptait des masques à son image et on leur donnait son nom. Des chansons populaires le glorifiaient. Les effets de cette légende furent davantage grossis par les anciens combattants rentrés de la guerre. Ils apportaient du grand général des récits plus terrifiants encore », souligne Ollandet.

Parmi les autres figures célèbres présentées figurent Félix Éboué et quelques administrateurs et militaires français dont le colonel de Larminat, le colonel Leclerc et le médecin général Adolphe Sicé.

L’effort de guerre

L’effort de guerre que fournira l’AEF fut considérable. D’abord en termes de soldats envoyés au front. « Ce fut grâce aux soldats du général de Gaulle que la France combattante reprit véritablement sa place dans les combats aux côtés des alliés, dans les batailles d’Afrique », précise Ollandet dans son ouvrage. Plusieurs centres de recrutement furent mis en place. « A Brazzaville, le centre d’enrôlement fut le terrain vague sur lequel les missionnaires catholiques et protestants allaient ériger leurs églises, le Temple protestant de Brazzaville et la grande basilique Sainte-Anne du Congo ainsi que le futur Stade Eboué », signale Ollandet.

Outre l’envoi de soldats de la région sur les champs de bataille, où les combats étaient souvent très durs, faisant beaucoup de morts et de blessés, l’AEF et le Cameroun fourniront un effort de guerre sous diverses formes. La deuxième guerre mondiale eut, bien évidemment, un effet catastrophique sur l’économie locale, qui n’était déjà pas très florissante. Paralysie du commerce intérieur, augmentation des importations, problèmes financiers et monétaires, inflation, manque de travail, rationnements, la vie fut très difficile pour les populations locales. 

L’ouvrage s’achève sur la Conférence de Brazzaville de 1944, destinée à déterminer le rôle et l’avenir de l’empire colonial français. Le général de Gaulle y rappellera que le lien entre la France et ses colonies est « définitif ». La déclaration finale de la conférence rejettera d’ailleurs « toute possibilité d’évolution hors du bloc français et toute constitution, même lointaine, de self-government ». Forte déception du côté de ceux qui avaient tant donné pour la France libre.

Mais la guerre a aussi « montré aux colonisés que la métropole était incapable de défendre ses propres citoyens sur son propre sol et qu’elle avait eu besoin de son secours. […] Les Africains, à coup sûr, n’allaient plus accepter les brimades coloniales après tant de services rendus. Les Africains avaient été sollicités dans cette guerre pour défendre la liberté de l’homme et sa dignité. Ce slogan comptait pour tous les peuples », conclut Jérôme Ollandet.

Jérôme Ollandet 

Jérôme Ollandet en juin 2015. @MDMM

Historien, juriste et diplomate, Jérôme Ollandet est né le 27 décembre 1943 à Oyomi, près d’Owando (Cuvette) et décédé le 11 décembre 2017, à Évreux (France). Titulaire d’une licence de droit et d’un doctorat d’histoire (Université Paul Valéry de Montpellier, France, 1981), il fut enseignant, ambassadeur, Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et ambassadeur itinérant.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Le Nord-Congo : histoire et civilisations, la Présence hollandaise et portugaise au Congo du 17è au 19è siècle, Les relations entre les deux Congo, Le Premier Foyer culturel du Nord-Congo. L’Histoire de Boundji et l’Expérience congolaise du socialisme de Massamba-Débat à Marien Ngouabi

Chronologie historique des événements en Afrique centrale

  • 18 juin 1940 : sur les ondes de la BBC à Londres, le général de Gaulle appelle à la résistance et invite « l’empire encore intact », à le suivre dans son refus de la défaite.
  • 22 juin 1940 : le général de Gaulle, au micro de la BBC, prononce la formule devenue célèbre : « Vive la France libre dans l’honneur et dans l’indépendance »
  • 28 juin 1940 : le Premier ministre britannique, Winston Churchill,  proclame officiellement De Gaulle comme « chef de tous les Français libres ».
  • 23 juillet 1940 : le gouvernement de Vichy nomme Pierre Boisson, gouverneur général de l’AEF,  Haut-commissaire pour l’Afrique noire.
  • 18 août 1940 : le colonel de Larminat arrive à Léopoldville (capitale du Congo Belge).
  • 26 août 1940 : ralliement du Tchad (Gouverneur Eboué ; Lieutenant-colonel Marchand)
  • 27 août 1940 : ralliement du Cameroun (Commandant Leclerc ; René Pleven ; Capitaine Hettier de Boislambert)
  • 28 août 1940 : ralliement du Moyen Congo (lieutenant-colonel de Larminat ; Médecin Général Sicé ; Commandant Delange).  Le général de brigade de Larminat est chargé provisoirement des fonctions de Gouverneur général provisoire de l’AEF.
  • 29 août 1940 : le général de brigade de Larminat crée un Gouvernement de l’Afrique Française Libre au nom de la France Libre.
  • 29 août 1940 : ralliement de l’Oubangui-Chari (général Edgard de Larminat ; Gouverneur Sant-Mart)
  • 30 août 1940 : une délégation partie de Bangui arrive à Brazzaville pour présenter au nouveau chef de l’AEF, le ralliement de l’Oubangui-Chari à la France libre du général de Gaulle.
  • 29 août 1940- 9 novembre 1940 : ralliement du Gabon  (gouverneur Pierre Masson)
  • 15 septembre 1940 : le Journal Officiel de l’AEF change de nom et devient la publication officielle des textes de l’Afrique Française Libre et de l’AEF.
  • 8 octobre 1940 : le général de Gaulle débarque à Victoria (Cameroun britannique) et se rend à Douala (Cameroun français) où il est accueilli par le colonel Leclerc. Son état-major s’installe à la Chambre de Commerce de Douala.
  • 21 octobre 1940 : arrivée du général de Gaulle à Bangui
  • 24 octobre 1940 : arrivée à Brazzaville du général de Gaulle, qui débarque sur le petit aérodrome du camp du capitaine Gaulard. Il  se rend également à Léopoldville (Congo Belge)
  • 27 octobre 1940 : Dans le Manifeste de Brazzaville, le général de Gaulle annonce la création du Conseil de Défense de l’empire colonial.
  • 12 novembre 1940 : création du Haut Commissariat en Afrique française libre
  • 22 novembre 1940 : le général de Gaulle quitte l’Afrique centrale, pour regagner Londres
  • décembre 1940 : création d’une station d’émission de radio de la France Libre à Brazzaville
  • 11 août 1941 : le colonel de Larminat est remplacé aux fonctions de Gouverneur général  de l’AEF par Félix Eboué  qui y restera jusqu’au 15 février 1944.
  • septembre 1941 : de Gaulle préside un Comité national français
  • 18 juin 1943 : inauguration du nouveau poste de Radio-Brazzaville.
  • 30 janvier au 8 février 1944 : « Conférence africaine française » à Brazzaville.

Source : Site web du Musée de l’Ordre de la Libération et ouvrage de Jérôme Ollandet

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