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jeudi 25 avril 2024
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Centrafrique : bilan négatif, signes encourageants

Romain Sopio, sociologue, maître de conférences et ancien vice-recteur de l’université de Bangui, voit quelques signes encourageants dans le cheminement de la Centrafrique, même s’il reconnaît que le bilan est globalement négatif, 60 ans après l’accession du pays à l’indépendance.

Propos recueillis par Arthur MALU-MALU.  

Makanisi : Quel bilan peut-on établir sur les plans économique, politique et  social ? 

Romain Sopio : Sur le plan économique, il y a eu un recul. Le quartier industriel n’existe quasiment plus à Bangui, ma ville natale. Les trois unités de fabrication de chaussures ont disparu. Les unités industrielles en province ont subi le même sort. Nous importons presque tout ce que nous consommons. Les usines d’où sortaient les yaourts et les fromages ont disparu aussi. Sur le plan social, le bilan est catastrophique. La population était faible lors de l’accession du pays à l’indépendance.

A l’époque, les fonctionnaires étaient bien payés. Ils recevaient leur salaire régulièrement le 25 du mois. Tout a changé. La situation s’est dégradée. Certains accumulent jusqu’à 40 mois d’arriérés de salaires. La pauvreté tend à se généraliser. Même les fonctionnaires qui faisaient partie de l’élite s’appauvrissent.

La pauvreté tend à se généraliser. Même les fonctionnaires qui faisaient partie de l’élite s’appauvrissent.

Quand j’étais à l’école primaire, mon maître allait au travail en voiture, mais je ne suis même pas capable de m’acheter un vélo, alors que je travaille à l’université qui forme les futurs cadres du pays. La situation est grave. De nombreux Centrafricains disent ouvertement ceci : « Nous ne sommes pas leurs chevaux ». Ils font référence aux dirigeants politiques qui ne semblent pas se préoccuper de cette situation. S’agissant du bilan politique, je dirais aussi que c’est un échec. La RCA n’a pas pu faire émerger une bourgeoisie nationaliste. Dans tous les pays, le changement est provoqué par une petite bourgeoisie nationaliste qui défend les intérêts de la nation. Ici, je dirais qu’il y a une espèce de bourgeoisie politique qui est fondée sur la politique et qui se contente de « manger » tout ce qui rentre. A l’image du Liban, la colère monte ici aussi.

Les institutions centrafricaines sont-elles suffisamment solides pour que la RCA, qui est en partie contrôlée par des mouvements rebelles, échappe à un scénario à la soudanaise ?

RS : Je ne crois pas du tout à ce scénario qui a donné la partition du Soudan. La RCA n’est pas le Soudan. Les Centrafricains prennent de plus en plus conscience des enjeux. Ils ne se laissent plus manipuler. Ils ne tombent plus facilement dans le piège du tribalisme et de la religion que leur tendaient certains acteurs politiques. Il y a une vraie prise de conscience au sein de la population, même dans les couches des analphabètes.

Les responsabilités de l’échec sont partagées

Le bilan est globalement négatif… Qu’est-ce qui aurait dû être fait différemment au cours des 60 dernières années ?  

RS : Le président David Dacko avait des idées sur ce qu’il fallait faire. Le pays ne pouvait pas décoller sans une bourgeoisie qui devait le tirer vers le haut. Mais il n’a pas été compris. Après son renversement en 1966, aux cris de « La bourgeoisie, c’est fini ! », les choses ont commencé à se dégrader. Jean-Bedel Bokassa s’est tout approprié. Il décapitait… Tous ceux qui lui ont succédé n’ont pas rectifié le tir. La dégradation de la situation s’est poursuivie. Je dois tout de même relever que le président n’est pas seul. Il a un entourage. Il arrive que le président soit l’otage d’un petit groupe qui le pousse à faire certaines choses. Ce groupe se sert du président pour mettre la main sur les richesses du pays. Les responsabilités de l’échec sont partagées. 

N’y a-t-il pas aussi un déficit de dirigeants visionnaires en Centrafrique ?

RS : Un dirigeant visionnaire ne sort pas du néant. Le rôle que l’élite est appelée à jouer dans la société me semble déterminant. Cette élite doit être capable de faire émerger des entrepreneurs qui créent des emplois pour la jeunesse. L’élite ne doit pas être phagocytée par la politique. Le leader est, d’une certaine manière, tributaire de son entourage. Si l’entourage est fort, le leader est fort aussi. Si autour de lui, il n’y a pas un appui, une machine pour soutenir ses actions, il n’y aura pas suffisamment de réformes. D’où l’importance d’une élite nationaliste. Les chefs d’État ont besoin d’avoir autour d’eux des personnes intègres qui accompagnent leurs actions, communiquent et qui sont en phase avec la population. Le chef d’État ne peut pas être partout.

Les chefs d’État ont besoin d’avoir autour d’eux des personnes intègres qui accompagnent leurs actions…

Quels sont les aspects positifs qui peuvent être relevés depuis le départ des colonisateurs ?

RS :  En 1960, la RCA n’avait pas grand-chose en termes d’infrastructures. Il n’y avait même pas d’aéroport. Sur ce plan, les choses se sont améliorées. Et la tendance se poursuit. La RCA est aujourd’hui un vaste chantier. Le parc hôtelier de Bangui s’est enrichi et diversifié, des constructions sont visibles ici et là, des immeubles poussent un peu partout à Bangui… Une élite intellectuelle a certes été formée, mais cela ne suffit pas pour changer la donne. Cette élite doit être consciente et nationaliste pour créer les conditions favorables à une profonde transformation du pays. Elle doit avoir la volonté de changer les choses et les mentalités.

La nation centrafricaine existe-t-elle vraiment ?

RS : Les Centrafricains qui se rendent à l’étranger mesurent combien les Centrafricains aiment leur pays. Quand je vais dans des pays étrangers et que je tombe sur des Centrafricains, tout le monde veut m’inviter. Les Centrafricains qui ont quitté la RCA semblent se sentir plus libres de manifester leurs sentiments vis-à-vis de la mère patrie à laquelle ils sont très attachés. Les Centrafricains de l’étranger transcendent les considérations ethniques. Ils se sentent centrafricains, quelles que soient leurs origines. Le plus important, à leurs yeux, est la défense du drapeau centrafricain.

La crise ne peut se résoudre que par le dialogue. On ne peut pas éteindre le feu avec le feu.

Comment la RCA peut-elle sortir de la crise actuelle qui dure depuis plusieurs années ?

RS : La patience est recommandée. La crise ne peut se résoudre que par le dialogue. On ne peut pas éteindre le feu avec le feu. L’eau peut, en revanche, servir à éteindre le feu. La question de la nationalité devrait être abordée avec lucidité, sans passion. S’il y a certaines personnes qui revendiquent la nationalité centrafricaine, il faut regarder ces cas de près et ne pas leur dénier la nationalité sans discernement. Le langage et la stratégie doivent changer pour qu’on aille vers le règlement de cette crise. Les jeunes qui sont dans des mouvements rebelles ont besoin d’emplois. Il va falloir leur donner des emplois au lieu qu’ils s’imaginent qu’ils peuvent patienter jusqu’au jour où ils prendront le pouvoir. Ils savent, en même temps, qu’ils ne parviendront pas au pouvoir. Ils ne resteront pas éternellement dans la situation actuelle. Ils n’ont pas grand-chose actuellement. Ils profitent peut-être de cette situation. Mais de quelle manière ? Les mouvements rebelles créent-ils des emplois ? Je suis optimiste quant à l’évolution de la situation. Les choses bougent peu à peu. Beaucoup de jeunes de pays voisins viennent faire le commerce ici à Bangui. C’est là le signe que tout n’est pas sombre.

Le problème est que la France n’est pas totalement partie

Quels rapports la RCA entretient-elle avec la France, l’ancienne puissance coloniale ? 

RS : Il arrive que certains tiennent la France pour responsable de la situation en Centrafrique. Si une partie de la responsabilité pourrait être attribuée à la France, je dirais toutefois que nous sommes responsables à 80 – 90 %. Le problème est que la France n’est pas totalement partie. Elle veut toujours que nous nous acheminions vers le chemin qu’elle a tracé pour nous. Par moments, nous sommes considérés comme des enfants. Il faut un jour que nous ayons véritablement la liberté de faire nos propres choix. La France intervient dans la prise de décisions et dans nos choix. Les Centrafricains se rendent compte que notre indépendance n’est que relative. Il a été dit à l’époque ici qu’on a fait partir David Dacko du pouvoir parce qu’il s’était rapproché de la Chine. La présence de Russes en Centrafrique soulève quelques questions à Paris. En ce moment, je ne pense pas que Bangui ait la force de couper le cordon ombilical avec Paris. La langue française est pratiquée en Centrafrique. Nous avons encore des choses qui dérivent de ces liens historiques. Ces liens resteront encore pendant longtemps. Il faut toutefois comprendre qu’un père qui ne laisse pas de liberté à son enfant qui grandit court le risque de le voir se rebeller à partir de l’âge de 20 ans.

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