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mercredi 24 avril 2024
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Congo-B. 15 août 1960. Ils se souviennent du jour de l’indépendance

Les Congolais qui ont vécu l’accession de leur pays à l’indépendance sont de moins en moins nombreux. Makanisi a recueilli les témoignages de plusieurs d’entre eux sur ce jour historique.

Témoignages recueillis par Muriel DEVEY MALU-MALU

Suzanne Mombouli, retraitée, 73 ans

Suzanne en 1960

« Je suis née le 1er décembre 1947 à Gamboma. J’avais donc presque 13 ans  au moment de l’indépendance. J’ai vécu la journée du 15 août 1960 à Gamboma, où j’habitais avec mes parents. Mon père était infirmier et ma mère, femme au foyer. Mon père faisait partie des premiers fonctionnaires congolais de Gamboma.

Le jour de l’indépendance, tout le monde était content. Mes parents et les voisins chantaient et manifestaient leur joie. Ils disaient que les Blancs allaient partir et que le pays serait aux mains des nationaux. Une manifestation a été organisée par la sous-préfecture, avec un défilé et des danses folkloriques. Le défilé a été suivi d’un cocktail qui s’est tenu dans les locaux de la sous-préfecture.  Seuls quelques officiels ainsi que des personnalités et des notables de la ville dont le chef de Gamboma et des chefs de villages environnants, ainsi qu’une délégation venant de Brazzaville, avaient été invités.

Parmi les invités, il y avait peu de Blancs, essentiellement l’agent qui assurait l’intérim quand le chef de district s’absentait.  Les gens étaient contents, l’atmosphère était bon enfant. Tous évitaient de laisser à l’écart l’agent spécial.

Je faisais partie des demoiselles d’honneur qui avaient été choisies pour accueillir et servir les invités. J’avais été sélectionnée parce que j’appartenais au mouvement  féminin catholique qui s’appelait « les Âmes vaillantes ».

Je faisais partie des demoiselles d’honneur qui avaient été choisies pour accueillir et servir les invités. J’avais été sélectionnée parce que j’appartenais au mouvement  féminin catholique qui s’appelait « les Âmes vaillantes ». On savait que les jeunes filles de ce groupe avaient l’habitude de voir du monde, de se déplacer, qu’elles n’étaient pas timides, qu’elles savaient bien se tenir en société et qu’elles pouvaient accueillir des invités de marque.

Pour cette occasion, j’avais mis ma plus belle robe, celle que je portais pour aller à la messe, les jours fériés ou dans des réunions familiales importantes, qu’avait confectionnée la maman d’une amie qui était couturière. Les jeunes filles d’alors s’habillaient le dimanche, les jours fériés et de fête.

À la fin du cocktail, les organisateurs ont remis à chaque jeune fille une bouteille de Ricard. Quand je suis rentrée à la maison, j’ai offert cette bouteille à mon grand-père paternel qui ne buvait que du vin de palme. Bien que je lui aie dit que c’était de l’alcool fort, il s’est servi un verre plein de Ricard qu’il a bu d’une traite. Il a eu un étourdissement et est tombé. Nous avons eu peur, mais il a vite repris ses esprits, déclarant qu’il était content d’avoir bu le vin des Blancs.

Après cet incident qui s’est bien terminé, toute la famille m’a questionnée, voulant savoir qui était présent à ce cocktail et ce que j’avais entendu. Les parents étaient fiers de moi et qu’un de leurs enfants ait été choisi pour participer à un tel événement.

Les parents étaient fiers de moi et qu’un de leurs enfants ait été choisi pour participer à un tel événement.

De la période coloniale, je me souviens surtout des visites de Blancs qui venaient chez nous à l’improviste pour vérifier si la maison était bien tenue, si nous étions bien logés et s’il y avait des lits dans les chambres. Mon père, en tant que fonctionnaire, touchant des allocations familiales, l’administration coloniale s’assurait que nos parents s’occupaient bien de nous. C’était la justification officielle de ses visites.

Je ne me souviens pas de sévices particuliers de la part des Blancs, mais j’étais jeune et je n’étais pas très au courant de ce qui se passait. On parlait peu des colons à la maison. À l’école, on nous donnait chaque matin un verre de lait avant de rentrer en classe. Nos enseignants étaient des Congolais.

La guerre civile qui a eu lieu en 1959 à Brazzaville est l’un des rares événements dont je me souviens. Elle a opposé les gens du Nord à ceux du sud.

Une des premières choses qui ont changé après l’indépendance et dont je me souviens, est le fait qu’on ne chantait plus l’hymne français, la « Marseillaise », à l’école. Il a donc fallu apprendre à chanter le nouvel hymne congolais.  L’autre changement est qu’on ne nous donnait plus de lait à l’école. »

Joseph Mboussa, médecin, 69 ans

Joseph Mboussa

« Le 15 août 1960, j’avais 9 ans et je vivais à Gamboma, [alors chef-lieu du district éponyme dans la région de l’Alima-Léfini, devenue département des Plateaux, NDLR]. Mon père était fonctionnaire.

Deux ans plus tôt, en 1958, le Moyen-Congo était devenu la république du Congo. Pour fêter l’avènement de la république du Congo, on nous avait appris une chanson à l’école que nous avons chantée le 28 novembre 1958.  Les rares paroles de cette chanson dont je me souviens étaient « Nous célébrons aujourd’hui la fête commémorative de notre république, jeune république du Congo, son drapeau vert, jaune, rouge… », 

Lorsque l’indépendance est proclamée le 15 août 1960,  nous étions en vacances.  Je faisais partie du mouvement de la jeunesse catholique masculine « Les Cœurs vaillants », que l’on pourrait comparer au scoutisme. Les prêtres qui encadraient notre association, nous ont appris à chanter la Congolaise, l’hymne du Congo.  

Comme la ville n’avait pas de fanfare, ce sont les jeunes garçons des Cœurs vaillants qui ont joué ce rôle. Le jour du 15 août 1960, nous sommes partis à pied de la mission catholique jusqu’à la place où avait lieu la cérémonie. Nous étions vêtus de notre uniforme, chemise blanche et culotte bleue, avec un foulard autour du cou.

Sur la place, tous les officiels, qui comptaient le sous-préfet, des fonctionnaires de l’administration congolaise et quelques colons blancs, étaient présents à la cérémonie. Après que les officiels eurent hissé le drapeau congolais, nous les garçons des Cœurs vaillants, avons chanté la Congolaise. Nous étions les seuls à chanter.

Après que les officiels eurent hissé le drapeau congolais, nous les garçons des Cœurs vaillants, avons chanté la Congolaise… La foule présente à la cérémonie était si contente, qu’elle nous a rappelés plusieurs fois pour que nous rechantions l’hymne.

La foule présente à la cérémonie était si contente, qu’elle nous a rappelés plusieurs fois pour que nous rechantions l’hymne. C’est un souvenir que je garde précieusement au fond de ma mémoire.

Pour un enfant de 9 ans, l’indépendance ne voulait pas dire grand-chose. Toutefois, depuis 1958, il y avait eu quelques changements avec notamment les élections de conseillers à l’Assemblée nationale. Mon père allait voter. Ce sont les quelques souvenirs qui me restent de cette période.

Pour moi, enfant, les changements portaient sur des choses simples. Quand nous sommes retournés en octobre 1960 à l’école, tous les élèves chantaient l’hymne national en classe. C’est à ce niveau que l’indépendance se matérialisait pour nous écoliers.

Autre signe du changement, la date de la fête nationale était désormais fixée au 15 août. Or jusque là, elle était célébrée le 14 juillet. Celui de 1960 fut donc le dernier 14 juillet que nous avons fêté au Congo. L’idée que cette fête disparaissait nous paraissait bizarre, car c’était une fête fastueuse.

Celui de 1960 fut donc le dernier 14 juillet que nous avons fêté au Congo. L’idée que cette fête disparaissait nous paraissait bizarre, car c’était une fête fastueuse.

À Gamboma, elle se déroulait devant la résidence du sous-préfet français, un bel immeuble avec balcon, qui est actuellement occupé par l’armée. Tous les chefs traditionnels de la région, dont les chefs téké, transportés sur des tipoyes, défilaient devant le chef blanc qui était à son balcon.

Après l’indépendance, lors de la fête nationale, chaque 15 août, les chefs traditionnels n’ont plus été mis à l’honneur de la même manière. On ne les voyait plus défiler devant le sous-préfet, juchés sur leurs tipoyes.

Je n’ai pas bien connu l’époque coloniale. En tant qu’enfant, je ne savais pas si les Congolais étaient brimés par les colons. Mais, après la seconde guerre mondiale et la loi cadre de Deferre et surtout à partir de la proclamation de la république en 1958, beaucoup de choses avaient changé. Il n’y avait plus de travaux forcés et autres contraintes et brimades. On était plus libres. » ?

Emilie Mankélé, retraitée, 78 ans

Émilie Mankélé

« Le 15 août 1960, j’avais environ 18 ans. J’habitais à Poto-Poto. Mon père travaillait à l’agence transéquatoriale de communications, l’ATEC. J’ai su que c’était l’indépendance car il y avait plein de monde dans les rues. C’était la joie un peu partout. Les gens criaient  que c’était l’indépendance. C’est par ce biais que j’ai été informée. On n’écoutait pas la radio et on n’avait pas la télévision à cette époque.

Comme c’était la fête, je suis sortie avec une amie. On a marché depuis la mairie, rond-point Moungali, jusqu’au centre-ville. Dans toutes les rues, il y avait beaucoup de monde et l’ambiance était à la fête. On n’a pas fêté l’indépendance à la maison. C’était seulement dans la rue qu’on fêtait l’indépendance.

J’ai su que c’était l’indépendance car il y avait plein de monde dans les rues. C’était la joie un peu partout.

Pour moi, l’indépendance signifiait que j’étais libre et en paix dans mon pays. J’ai peu de souvenirs de la période coloniale. On ne parlait pas des colons à la maison.

Je n’allais pas à l’école, où les écoliers avaient l’habitude de chanter l’hymne avant la classe. J’ai entendu l’hymne congolais pour la première fois le 15 août de l’année suivante. J’ai découvert aussi le nouveau drapeau du pays ».

Pauline Milouolo, retraitée, 72 ans

« Le 15 août 1960, j’avais 12 ans. J’habitais à Ouenzé. Mon père avait travaillé à l’époque coloniale à Kinshasa. À son retour à Brazzaville, il gérait une petite boutique. À cette époque, je ne m’occupais pas de politique. Mais c’est parce que les gens criaient leur joie dans la rue, que je suis sortie de la parcelle pour savoir ce qui se passait. C’est à ce moment là que j’ai appris que c’était l’indépendance. Mais je ne suis pas allée fêter l’événement dehors avec les foules.

C’est parce que les gens criaient leur joie dans la rue, que je suis sortie de la parcelle pour savoir ce qui se passait. C’est à ce moment là que j’ai appris que c’était l’indépendance.

Je ne savais pas ce que voulait dire l’indépendance. On se sentait seulement libres et heureux.

Pauline Milouolo

C’est après le 15 août 1960, que j’ai vu la différence. À l’époque coloniale, quand les gens ne payait pas l’impôt, les gendarmes les arrêtaient et les emmenaient au commissariat où ils les brutalisaient parfois.  La peur régnait.  Par ailleurs, quand une famille avait moins de deux enfants, elle ne payait pas l’impôt. Après l’indépendance, c’était moins strict. 

En revanche, je me souviens bien des événements de 1959 quand il y a eu la guerre civile.  On entendait des coups de feu du côté de Moukondo. Tout le monde courait pour rentrer rapidement chez soi. Mon père nous a dit de ne pas sortir. On ne savait pas ce qui se passait. Plus tard, on a appris qu’il y avait eu beaucoup de morts.  Le président  Youlou a fait appel à des Tchadiens, qu’on appelait Saras, dont un est venu dans notre parcelle. Dans les rues, il y avait des personnes armées de machettes et des véhicules pleins de militaires ».

Dominique Ngoïe-Ngalla, historien, 77 ans

Dominique Ngoïe Ngalla

Le 15 août 1960, j’avais 17 ans. J’étais au petit séminaire Saint Paul de Mbamou, près de Kinkala (Pool). C’était un séminaire fermé. Je n’ai donc ni vu ni vécu la fête de l’indépendance car il était interdit de parler politique au séminaire pour éviter les divisions et perturber les petits séminaristes qui venaient de toute l’Afrique. Mais j’ai entendu parler de l’indépendance et de cette journée par des parents et par personnes interposées.

De toute façon, la fête faisait tant de bruit que cela est arrivé jusqu’à notre séminaire. Dans les villages et les bourgs alentour, la population parlait de l’indépendance et  la fêtait.

Il y avait des clameurs et des manifestations de joie, qui semblaient augurer d’une époque d’abondance en perspective, dans la liberté et la fraternité. On en était venu à oublier les affrontements de 1959 entre Kongo et Mbochi.

Dans la joie et l’effervescence de la fête, on a pensé que la fusion de toutes les populations derrière un idéal était possible… Cela n’a toutefois duré que le temps d’un défilé.

Dans la joie et l’effervescence de la fête, on a pensé que la fusion de toutes les populations derrière un idéal était possible. C’était cela la symbolique du 15 août 1960. Cela n’a toutefois duré que le temps d’un défilé.

Les prêtres qui nous encadraient étaient des Français. Ils n’étaient pas inquiets des changements, car on ne voyait pas encore arriver la violence qui se manifestera plus tard, après la révolution de 1963 qui a chassé le président Fulbert Youlou.

Bien qu’informés des changements politiques, les prêtres se refusaient de parler de la fête car ils ne voulaient pas qu’on parle de politique au petit séminaire.

D’ailleurs, quand le président Youlou a manifesté ses ambitions politiques, l’église l’a considéré comme un laïc. L’évêque de l’époque, un Français, était opposé à tout prêtre qui briguait des postes politiques. C’était mal vu qu’un prêtre s’occupe de politique. Le cas Youlou est remonté jusqu’au pape.
C’est le président Youlou qui a fait  du 15 août une fête nationale. Le temps d’un défilé, toute la nation congolaise a semblé unie.

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