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samedi 23 septembre 2023
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Congo. Agriculture : la vague «green».

Le Congo-Brazzaville n’échappe pas à la vague « green ». Et c’est tant mieux. Après l’ère des herbicides, des pesticides et des engrais chimiques, de plus en plus d’agriculteurs et de maraîchers recourent en effet à des méthodes naturelles pour amender les sols, désherber, éloigner les insectes ou éliminer les champignons.

Ce sont des sociétés agro-industrielles qui ont souvent pris les devants du mouvement « vert », pour notamment fertiliser la terre. Car, contrairement à des idées reçues, toutes les terres du Congo ne sont pas aussi fertiles qu’on le croit. En zone de savane, les sols, souvent sableux, manquent de matières organiques et  dans les régions aux sols argileux, comme la Bouenza et le Niari, l’abondance des pluies entraîne le ruissellement de ces matières. D’où la nécessité de donner un petit coup de pouce aux sols pour les améliorer.

GTC, le pionnier

Soucieux de l’environnement General Trading Company (GTC), première  entreprise congolaise à cultiver du palmier à huile en zone de savane, et Tolona, qui produit du maïs dans la Bouenza, se sont ainsi tournées vers les solutions traditionnellement éprouvées par les agriculteurs congolais. Leurs armes ? Les légumineuses de couverture, dont certaines sont à la fois des bio-fertilisants et des bio-herbicides. Au choix, le mucuna, le pois d’angol ou le tithonia dont les feuilles enrichissent les sols sableux. « Les plantes de couverture sont rampantes et volubiles, donc très envahissantes. On les laisse se décomposer pendant plusieurs mois dans les champs jusqu’à ce que leurs graines se dessèchent. Puis on enfouit les graines broyées en terre et on laboure », indique Michel Djombo Balombelly, cogérant de GTC.

Leurs armes ? Les légumineuses de couverture, dont certaines sont à la fois des bio-fertilisants et des bioherbicides.

Les rejets et les sous-produits issus de l’extraction de l’huile de palme, comme les rafles et les fibres, sont également mis à contribution. « La rafle est incorporée dans la terre des sacs des pépinières de plants de palmier à huile, pour en améliorer la qualité. Les fibres sont disposées au pied du palmier pour limiter l’enherbement. Ce qui évite de désherber les allées », informe Michel Djombo. Quant à la fibre de pin, elle permet de limiter l’évaporation et de conserver l’humidité des sols.

Pour lutter contre l’acidité des sols, il n’y a pas mieux que le calcaire broyé, dont fait largement usage la Société agricole et de Raffinage industriel de sucre au Congo (Saris-Congo), établie près  Nkayi, dans la Bouenza, pour amender ses champs de canne à sucre. Elle se fournit dans sa propre usine, l’Unité de broyage de calcaire (UBC), sise près de Madingou, où viennent également se ravitailler des agriculteurs locaux.

Les maraîchers gagnés au « green »

Des maraîchers ont, à leur tour, été gagnés par la vague « green ».  Il n’a pas été facile de les convaincre. Car contrairement aux cultivateurs en milieu rural qui n’ont ni pesticides à leur disposition, ni les moyens de les acheter, les horticulteurs qui opèrent en milieu urbain sont de grands consommateurs de produits chimiques. Une manière d’augmenter les rendements et donc les revenus rapidement. Ainsi, alors que les denrées vivrières de base, comme le manioc, l’igname, la banane plantain, ainsi que les fruits peuvent être considérés comme « bio », ce n’est pas le cas des produits maraîchers qui sont bourrés de pesticides.

Les horticulteurs qui opèrent en milieu urbain sont de grands consommateurs de produits chimiques

L’usage de solutions naturelles dans la filière maraîchère a été  encouragé par plusieurs projets. L’un d’entre eux, le Projet d’Appui au Maraîchage, à la Transformation Agro-alimentaire et à la Commercialisation des produits transformés à Brazzaville (PAM-TAC), a été mis en œuvre en 2016 à Brazzaville, en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et avec l’appui financier de l’Agence française de développement et de l’Union européenne. Sur le terrain interviennent l’ONG congolaise Agridev, le Club Jeunesse Infrastructure et Développement et l’ONG française Essor, qui pilote le projet. L’initiative, engagée en 2016, a permis de former quelque 384 horticulteurs aux intrants « verts ». « Réunis en groupe de 20 à 30 personnes,  les maraîchers de la capitale ont bénéficié d’une formation d’une journée par mois pendant deux ans », précise Mahamadou Ango, le coordonnateur du projet. Un nouveau cycle de formation, concernant 550 maraîchers, a été récemment lancé, incluant un appui à la commercialisation des produits.

Un projet similaire a été engagé dans les départements de Pointe-Noire et du Kouilou par la société pétrolière Eni-Congo dans le cadre de ses responsabilités sociétales, en partenariat avec le ministère de l’Agriculture. C’est à M’Boukou dans le district de Hinda qu’a été installé le Centre d’appui technique et de ressources professionnelles (CATREP), qui abrite 97 personnes et appuie 177 agriculteurs organisés en groupements. Le projet s’étend sur les districts de Hinda, Loango, Mwouti et Tchiamba-Nzassi, soit une superficie de 830 km2 et quelque 7 000 habitants. Après la phase de construction des ouvrages et de formation des agriculteurs et des maraîchers, les premiers légumes et poulets « bio » ont vu le jour en 2017. Outre l’innovation, le projet vise la diffusion de techniques naturelles dans l’agriculture, l’augmentation des revenus, la diversification économique et la sécurité alimentaire. Mais également la valorisation des plantes médicinales et la création de jardins botaniques.

Le bon vieux fumier de « papa »

Tous les insectifuges et insecticides sont fabriqués à partir de plantes (graines, feuilles de papayer, de tabac, écorces, piment, ail, etc.), de cendre, d’eau et de savons naturels. «  On réduit les plantes en poudre puis on les met dans des pulvérisateurs en y ajoutant d’autres ingrédients », indique Ango. Outre le mucuna et le tithonia diversifolia, connus des agriculteurs, ou le moringa, dont les graines sont des bio-activateurs de croissance, les maraîchers utilisent comme fertilisants la drèche, résidus du brassage des céréales consommées par les brasseries pour fabriquer la bière, et le calcaire. Ils redécouvrent aussi le « bon vieux fumier de papa » et le système de rotation des cultures. Et se familiarisent avec le compostage.

De la certification agro-écologique au label bio

Toutefois, bien que traités avec des intrants naturels, ces produits horticoles ne sont pas tous cent pour cent bio. Mais ils s’en approchent à près de 80 %. « Difficile à ce stade d’arriver au 100%. En outre, même si toutes les procédures sont scrupuleusement respectées, il faudra entre 4 et 5 ans le temps pour débarrasser les sols des produits chimiques », précise Ango.  

Bien que traités avec des intrants naturels, ces produits horticoles ne sont pas tous 100% bio. Mais ils sʼen approchent à 80 %.

Pour protéger les productions, un système de certification dit « agro-écologique », est en cours de mise en place, avec l’appui de maraîchers burkinabè. « Ce sera un système de garantie participatif basé sur la confiance. Des comités, composés de maraîchers et de consommateurs volontaires, seront instaurés pour vérifier que les horticulteurs observent bien le cahier des charges qui accompagnera la certification », ajoute Ango. Des tests seront réalisés dans un laboratoire privé d’analyse agro-biologique et nutritionnelle de Pointe-Noire.

Dans la zone de Brazzaville, outre les maraîchers, la filière se développe avec des privés dont six coopératives qui fabriquent des intrants naturels. Ainsi, le cabinet-conseil Liambou Gisèle-Agro-pastorale, situé à Pointe-Noire, produit des bio-fertilisants naturels, que le ministère de l’Agriculture souhaite expérimenter. D’autres se sont lancés dans la transformation agro-alimentaire. La prochaine étape sera l’élaboration d’une réglementation et d’un label bio. Et le lancement d’une campagne pour valoriser le concept bio.

Amener les populations à consommer « naturel »

Les clients du « green local », 100% bio ou non, sont des hôtels, des restaurateurs, des cantines scolaires, des stations-service Total et des sociétés de catering. À Brazzaville et Pointe-Noire, l’hypermarché Casino, pour sa part, vend des produits agro-écologiques transformés. La distribution se développe également à travers des petits points de vente, des livraisons à domicile, des mini-marchés hebdo ou occasionnels. Une manière de faire découvrir le « presque bio » à la population. Pas facile, car si les légumes du mouvement « vert » ont commencé à conquérir des Brazzavillois et des Ponténégrins aisés et des expatriés, il reste à convaincre une clientèle populaire, encore peu sensible à cette vague.  Pour des questions de coût mais aussi parce que, pour de nombreux Congolais, les produits du terroir, cultivés en milieu rural ou urbain, sont « forcément bio ».  Les idées reçues ont la vie dure.

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