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samedi 2 décembre 2023
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Congo-B. Le général Mokoko, seul face à son destin ?

Emprisonné en 2016 au lendemain de la présidentielle remportée, sur fond de contestation, par le président Denis Sassou N’Guesso, le général Jean-Marie Michel Mokoko a bénéficié d’une évacuation sanitaire en Turquie, suite à la dégradation de son état de santé. À l’approche du grand rendez-vous électoral de 2021, quel rôle politique peut encore jouer cette figure emblématique, qui représentait une alternative en 2016 ?

Tout le monde (ou presque) a été pris de court par cette évacuation sanitaire vers la Turquie, qui a été préparée dans la discrétion. Deux membres de son comité de soutien à Paris ont reconnu qu’ils ne disposaient pas d’informations précises sur cette opération. L’un d’eux a toutefois assuré que le président Denis Sassou N’guesso « a donné des ordres ». À qui ? Quand ? Pourquoi ?

Certaines personnes s’attendaient tout naturellement à une évacuation vers la France, l’ex-puissance coloniale, qui accueille une communauté non négligeable de Congolais.

Pourquoi la Turquie ?

Certaines personnes s’attendaient tout naturellement à une évacuation vers la France, l’ex-puissance coloniale, qui accueille une communauté non négligeable de Congolais. Paris entretient des liens historiques avec Brazzaville et le général Mokoko y a des relais. Des voix se sont d’ailleurs élevées au sein de la classe politique française pour réclamer sa libération. D’ordinaire, les dignitaires du « système », en séjour médical en Europe, reçoivent des soins à l’hôpital américain de Paris, aux frais du contribuable congolais. Mais pourquoi la Turquie a-t-elle été privilégiée ?

« Le choix de la Turquie n’est pas dû au hasard. Denis Sassou-N’Guesso et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, semblent être sur la même longueur d’onde sur le dossier libyen. Le Congo, qui est également endetté vis-à-vis de la Turquie, a demandé à Ankara de surveiller ce patient pas comme les autres. On ne sait jamais. Le Congo cherche à renforcer ses liens avec la Turquie où s’est d’ailleurs rendu le président Denis Sassou en 2012 », explique un analyste congolais établi à Paris, qui a requis l’anonymat.

De quoi souffre le général Mokoko ? Les choses ne sont pas claires. Certains parlent d’une violente crise d’hypertension, d’autres d’un diabète aigu, d’autres encore d’une série de maladies, notamment une arythmie cardiaque, qui nécessiterait des analyses approfondies et difficiles à effectuer au Congo-Brazza dont les système de santé est fragilisé par la crise liée à la pandémie du covid-19.

Depuis plusieurs mois, des organisations de défense des droits de l’homme, des avocats ainsi que des partisans du détenu le plus célèbre du pays émettaient des signaux d’alarme sur la détérioration de la santé du général en prison où, à en croire certains, il aurait été testé positif au nouveau coronavirus qui continue à faire des victimes dans ce pays d’Afrique centrale.

Négociations

La présence du général Mokoko sur le sol turc est le fruit d’une négociation entre des membres de sa famille et le pouvoir. Il y a quelques semaines, les deux parties sont parvenues à un accord sur la nécessité d’une évacuation sanitaire. Restait à en finaliser les modalités dans la discrétion et avec un maximum de précautions, car Jean-Marie Michel Mokoko avait entre-temps quitté sa cellule de prison pour recevoir des soins à l’hôpital militaire de Brazzaville.

La présence du général Mokoko sur le sol turc est le fruit d’une négociation entre des membres de sa famille et le pouvoir.

Le général Mokoko a été emprisonné en juin 2016, puis condamné en 2018, à 20 ans de prison ferme, pour atteinte à sûreté de l’Etat et détention illégale d’armes et munitions de guerre, au terme d’un procès qui a tenu en haleine le pays. Cependant, aux yeux de ses partisans, il s’agissait d’un simulacre de procès dans un pays où l’indépendance de la justice est sujette à caution. 

Jean-Marie Michel Mokoko est natif de Makoua, une ville située dans le département de la Cuvette. Il est du Nord, tout comme le président Denis Sassou N’Guesso, dans un pays où les divisions ethniques sont parfois exacerbées entre le Nord et le Sud réputé rebelle. Lors de l’élection présidentielle de 2016, le général a eu la particularité de réaliser de bons scores aussi bien dans le Nord que dans le Sud.

L’homme, connu et reconnu pour ses compétences, affiche un CV riche : ancien chef d’état-major des forces armées congolaises, ex-consultant à la Commission internationale des juristes à Genève, ex-chef de la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, ex-conseiller spécial du président Denis Sassou N’Guesso, etc. 

Piégé par une vidéo

Peu avant le dernier scrutin présidentiel, une vidéo avait circulé sur les réseaux sociaux dans laquelle Jean-Marie Michel Mokoko s’entretenait avec des hommes présentés comme des agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service de renseignement extérieur de la France. Cette vidéo, réalisée plusieurs années plus tôt, semblait montrer le futur candidat se prononcer pour l’organisation d’un coup d’État au Congo en vue d’accéder au pouvoir. L’authenticité de cette vidéo, sans doute réalisée à l’insu de ce militaire considéré comme « républicain », n’a jamais été contestée.

Pour les pro-Mokoko, en revanche, c’était un piège conçu et tendu par les officines du Parti congolais du travail (PCT), le parti au pouvoir, qui voulait se débarrasser de cet homme dont la popularité grandissante inquiétait en haut lieu.

Pour les anti-Mokoko, cette vidéo accablante était en elle-même la preuve que le général, 73 ans, était bien au cœur d’un complot visant à renverser les institutions pour s’emparer du pouvoir. Pour les pro-Mokoko, en revanche, c’était un piège conçu et tendu par les officines du Parti congolais du travail (PCT), le parti au pouvoir, qui voulait se débarrasser de cet homme dont la popularité grandissante inquiétait en haut lieu.

« Denis Sassou N’Guesso, qui savait que son ex-conseiller avait des velléités de se porter candidat à la magistrature suprême, a organisé cette affaire. C’était un vrai-faux projet de coup d’Etat attribué au général pour avoir un élément contre lui. Cela devait servir d’élément de pression. Il s’est fait piéger. Ce n’est pas le premier adversaire à être pris la main dans le sac de cette manière là », affirme Andréa Ngombet, candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle.

Quel avenir ?

Quel avenir pour le lion de Makoua qui refuse obstinément de reconnaître la victoire électorale de Denis Sassou N’Guesso, alors que tous les autres candidats malheureux à cette élection s’y sont résignés ?  

Le militaire déterminé et à cheval sur les principes, qui est entré en prison, est-il le même homme aujourd’hui ? S’il était libéré, comme par enchantement, dans quel état serait-il ? Psychologiquement, il est forcément marqué, lui qui a perdu sa mère, à laquelle il était très attaché, alors qu’il était en détention. A-t-il pu faire son deuil dans ces circonstances ? Son régime d’incarcération lui laisse-t-il de la place pour des exercices physiques ? Difficile à dire.

A-t-il un dauphin ? Si oui, pourra-t-il se glisser dans les habits d’un fédérateur des électorats du Nord et du Sud, dans un pays où le vote ethnique est prépondérant ?

Sortira-t-il de prison juste après son séjour médical en Turquie ? Une mesure de grâce en sa faveur ferait-elle partie des éléments négociés par sa famille ? Si oui, une telle mesure de grâce nécessiterait-elle des contreparties ? Des contreparties de quelle nature ? A-t-il un dauphin ? Si oui, pourra-t-il se glisser dans les habits d’un fédérateur des électorats du Nord et du Sud, dans un pays où le vote ethnique est prépondérant ?

Entre-temps, les rangs de ses soutiens semblent se dépeupler depuis son incarcération. Pour preuve, Anatole Limbongo-Ngoka a choisi de s’émanciper. L’ancien fidèle du général a créé Le Paradis, un parti qui pourrait servir de rampe de lancement de sa propre candidature à la prochaine présidentielle.

L’ancien fidèle du général a créé Le Paradis, un parti qui pourrait servir de rampe de lancement de sa propre candidature à la prochaine présidentielle.

Anatole Limbongo-Ngoka, qui ne s’est pas lancé dans une aventure solitaire, a reçu une volée de bois vert lorsqu’il a dévoilé ses ambitions présidentielles. Certains de ses anciens compagnons de route ont du mal à digérer ce qu’ils considèrent comme une impardonnable « trahison ».

« Notre candidat est en prison. Nous ne pouvons pas baisser les bras. Je prends la relève en quelque sorte. Ceux qui m’accusent injustement d’être un agent de Denis Sassou N’Guesso et un traître sont incapables d’apporter la moindre preuve de ce qu’ils avancent. Les principaux dirigeants de l’opposition ont presque tous travaillé avec l’actuel président. Je suis l’un des rares à n’avoir jamais travaillé avec lui et il ne m’a jamais nommé à un quelconque poste à responsabilités », répond cet ancien directeur de l’ex-Société nationale d’électricité, aujourd’hui à la retraite.

Les conditions seront-elles réunies d’ici là pour la tenue, dans la transparence, d’un scrutin libre et démocratique qui donnerait lieu à des résultats acceptés par toutes les parties ?

Reste toutefois un hic de taille : Denis Sassou N’Guesso, au pouvoir depuis 1979 (sauf entre 1992 et 1997), n’a pas renoncé à « son » fauteuil. Il a été désigné candidat du PCT à la prochaine élection présidentielle. Les conditions seront-elles réunies d’ici là pour la tenue, dans la transparence, d’un scrutin libre et démocratique qui donnerait lieu à des résultats acceptés par toutes les parties ? Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Si les règles du jeu ne changent pas, comment l’opposition pourrait-elle éviter le scénario de 2016 ? Elle est sortie fragilisée de ce processus électoral sur lequel elle n’avait pas prise. Le général Mokoko, qui a actuellement d’autres priorités, le sait aussi. Il est également conscient que le temps joue contre lui.    

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