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jeudi 28 mars 2024
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Congo. Baudouin Mouanda, 1er photographe africain lauréat du prix international Roger Pic

S’il fait parfois du photojournalisme, la véritable passion de Baudouin Mouanda, originaire du Congo-Brazzaville et cofondateur du collectif Génération Elili (image en langue lingala), est la photo d’art, dans laquelle il excelle. Pour preuve, il a remporté plusieurs prix dont, en 2022, le prix Roger Pic, organisé par la Société civile des auteurs multimédia, avec une série de photos intitulée « Ciel de saison ».

Quel que soit le sujet qu’il aborde, il opère avec l’oeil du peintre et la démarche du romancier, voire du poète. À la manière d’un metteur en scène, il anime les lieux et implique les personnes qu’il photographie en les faisant devenir les acteurs d’un instant de leur vie. Son but : raconter une histoire, révéler, interpeller et promouvoir la culture de la photo au Congo. Tout cela pour préserver la mémoire photographique de son pays. Entretien.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu.

Makanisi : Pouvez-vous nous présenter le prix Roger Pic et l’organisme qui l’organise ?

Baudouin Mouanda : Le prix Roger Pic, du nom du grand reporter-photographe et militant du droit d’auteur, a été créé en 1993. Ce concours international de photos est organisé par la Société civile des auteurs multimédia (Scam), un organisme français. Doté de 5000 € par l’association Scam Vélasquez, il récompense l’auteur ou l’autrice d’un portfolio photographique. Il est ouvert à tous les photographes.

Êtes-vous le premier photographe africain à remporter ce prix ?

Oui. Le prix fête son 30ème anniversaire cette année. Je suis le premier photographe africain à avoir remporté ce prix.

Je suis le premier photographe africain à avoir remporté ce prix.

Quel était le thème de l’édition 2022 ?

Le thème de ce concours est libre. Outre le respect des règles techniques, il est demandé à l’auteur ou à l’autrice de présenter une œuvre à contenu humaniste, originale par la manière de traiter un sujet et véhiculant un message fort. Pour ma part, j’ai choisi le thème du changement climatique.

Le photographe Baudouin Mouanda

Depuis quand connaissez-vous l’existence de ce prix ?

J’ai découvert le prix Roger Pic il y a dix ans. Mais jusqu’à présent, je n’avais pas concouru, car je ne savais pas quel travail proposer. Toutefois je suivais attentivement chaque édition, je notais les thématiques qui étaient travaillées et les œuvres présentées. L’an dernier, je me suis senti prêt à postuler à l’appel à candidatures. En lisant le règlement du concours, j’ai su quel travail photographique je pouvais proposer. Bien sûr, le thème du changement climatique a déjà été traité par de nombreux photographes. Je ne suis pas le premier. Mais ce qui m’importait, c’était la manière différente dont j’allais aborder ce sujet.

Le thème du changement climatique a déjà été traité par de nombreux photographes. Je ne suis pas le premier. Mais ce qui m’importait, c’était la manière différente dont j’allais aborder ce sujet.

Que précise l’appel à candidature ?

Ce qui différencie ce concours de beaucoup d’autres, c’est qu’il est gratuit. Ce point m’a encouragé à postuler. Dans l’appel à candidatures, il est demandé d’envoyer quinze photos, un CV et une bibliographie. Chaque photo doit être accompagnée d’un texte expliquant la démarche de son travail. Entre la publication de l’appel à candidatures, qui a lieu à l’automne, et l’envoi du dossier et des photos, il se passe environ un mois et demi. Le délai est suffisant, car ce sont des sujets personnels sur lesquels un photographe a déjà travaillé, et qui sont donc prêts. Il faut juste vérifier si le sujet a déjà été traité ou non dans le cadre de ce concours, lors d’une édition antérieure.

Le thème du changement climatique n’avait jamais été traité auparavant dans le cadre de concours ?

Non, ce thème n’avait pas encore été traité. Je suis le premier à l’avoir proposé. Mais je pense que c’est surtout la manière dont j’ai abordé le sujet qui a attiré l’attention du jury.

Sous la force des pluies, les routes démolies ou les tranchées ouvertes par les entreprises de BTP se sont transformées en torrents qui ont inondé, voire emporté les maisons environnantes.

Sous quel angle particulier avez-vous traité ce thème ?

Photo de la série le Ciel de saison. @Baudouin Mouanda

À Brazzaville, le changement climatique se manifeste par des pluies très fortes. Certes, la pluie est un fait naturel que nous connaissons, mais depuis quelque temps, les pluies sont diluviennes. Conjuguée à d’autres facteurs, leur violence provoque des inondations, un phénomène méconnu jusque-là. C’est le cas notamment dans des quartiers nord de la capitale, non urbanisés, dans les zones où les routes, mal renforcées, se sont effondrées, dans des endroits où des sociétés de BTP chinoises ont construit des immeubles, oubliant de remblayer les terrains situés autour du périmètre de leur chantier, par lesquels ils ont fait passer leurs engins qui ont creusé des sillons. Sous la force des pluies, les routes démolies ou les tranchées ouvertes par les entreprises de BTP se sont transformées en torrents qui ont inondé, voire emporté les maisons environnantes.

Quelle est l’originalité de votre approche photographique sur ce thème ?

C’est une nouvelle démarche que j’ai entreprise. J’ai photographié des familles qui ont été victimes des inondations qui ont saccagé leurs maisons. Certaines avaient trouvé un nouvel abri mais d’autres ont dû rester là où elles habitaient, faute de possibilité de relogement. Je suis allé voir ces familles et je leur ai demandé si je pouvais les photographier dans l’eau, chez eux, pour restituer ce qu’ils ont vécu et que je souhaitais reproduire.

Je suis allé voir ces familles et je leur ai demandé si je pouvais les photographier dans l’eau, chez eux, pour restituer ce qu’ils ont vécu et que je souhaitais reproduire.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai d’abord fait un travail documentaire. Mais, pour aborder le sujet autrement et lui donner plus de force,  je suis allé au-delà de cette approche. Car au fur et à mesure que j’avançais, je prenais conscience que si je voulais attirer l’attention sur les conditions de vie de ces familles touchées par ces inondations récurrentes, il fallait que je fasse un travail un peu décalé, différent.

Je suis allé voir ces familles à plusieurs reprises. J’ai pris quelques photos, avec mon téléphone portable, que je leur ai montrées, en leur expliquant ma démarche qu’elles ont comprise et acceptée. C’est ainsi que j’ai pu réaliser mon projet. J’ai appelé ce travail « Ciel de saison ». Ces photos sont pour moi une manière de sensibiliser la population et d’attirer l’attention des autorités sur le drame des inondations afin que des solutions soient trouvées pour reloger les gens et des efforts faits en matière d’urbanisation.

Ces photos sont pour moi une manière de sensibiliser la population et d’attirer l’attention des autorités sur le drame des inondations

Comment qualifiez-vous ce travail ?

C’est un nouveau chantier, un nouveau thème, une autre forme de documentaire que je qualifierai d’afro-documentaire. Je photographie le réel, mais ce travail implique les gens concernés, que je déplace dans un autre endroit, dans un autre milieu pour mettre en scène leur réel, celui de tous les jours.

Autre photo de la série Le Ciel de saison. @Baudouin Mouanda.

Avez-vous gagné d’autres prix ?

J’ai remporté trois prix. Outre le prix Roger Pic, dont nous avons parlé, j’ai été lauréat du Singular Awards 2022, décerné à Paris par un jury du monde de l’art, dont le thème était le Lien Humain. En 2021, j’ai remporté le Prix Mokanda de la presse panafricaine.

J’ai été lauréat du Singular Awards 2022, décerné à Paris par un jury du monde de l’art, dont le thème était le Lien Humain. En 2021, j’ai remporté le Prix Mokanda de la presse Panafricaine

D’où vient votre intérêt pour la photo ?

Mon père, qui était professeur de physique-chimie, donnait un cours au lycée dans lequel il parlait de lentilles convergentes. Il avait un appareil photo et montrait qu’avec la photographie, on pouvait raconter toute une histoire. C’est ainsi que sont nés chez moi l’intérêt et l’amour pour la photographie. Je regardais d’ailleurs les photos des magazines qu’il achetait et je me disais que si je faisais des photos différemment, j’aurais des débouchés.  

Pour consulter les travaux photographiques de Baudouin Mouanda, se rendre sur son site web : http://baudouinmouanda.fr/

Après la guerre de 1997, je me suis rapproché de l’Institut français pour avoir accès aux magazines et observer avec attention les photos et les reportages photographiques qu’ils contenaient. Ce qui a été une grande école pour moi, car il n’y avait pas d’école de photographie au Congo et, d’une manière générale, il y avait peu d’intérêt pour la photo, à part les studios photo qui réalisaient des portraits de famille.

Après la guerre de 1997, je me suis rapproché de l’Institut français pour avoir accès aux magazines et observer avec attention les photos et les reportages photographiques qu’ils contenaient.

Quand décidez-vous de faire de la photographie votre métier ?

En 2003, alors que j’étais étudiant en droit à l’université Marien Ngouabi, j’ai bénéficié d’une formation professionnelle d’un mois, dans le cadre du Programme de soutien aux arts plastiques, financé par l’Union européenne. Plus tard, j’ai répondu à un concours de reporter-photographe de Paris Match. Le sujet sur les orphelins que j’ai présenté, a été retenu parmi les 10 meilleurs sur 1700 candidats. À la deuxième édition, c’est celui sur les enfants de la rue qui a été classé parmi les 10 meilleurs sur 2500 candidats. À la troisième, j’ai remporté le prix du reportage photographique. Mon thème portait sur les séquelles de la guerre de 1997/98 au Congo. En 2007, grâce à une bourse française, j’ai fait un stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes et à l’Agence France-Presse, à Paris. De retour au pays, ma carrière de photographe était lancée.

Il faut amener le photographe à raconter une histoire avec sa propre vision.

Depuis l’époque des studios photo, comment a évolué la photographie au Congo ?

De la photographie-portrait des studios photo, dont celle du congolais Maurice Pellosh, qui avait un studio photo à Pointe-Noire ou du malien Malick Sidibé, on est passé à la photographie artistique, journalistique et documentaire. Mais ce qui est important aujourd’hui, c’est le sujet et surtout la manière de le traiter. Il faut amener le photographe à raconter une histoire avec sa propre vision.

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