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vendredi 29 mars 2024
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Congo Check, la chasse aux fausses nouvelles

Créé en 2018, dans un contexte électoral, le media en ligne Congo Check fait la chasse aux fausses nouvelles (fake news), infox (informations toxiques) et autres on-dit, qui ne manquent pas en RD Congo. Actuellement, c’est le covid-19 qui suscite parfois de folles rumeurs. Le journaliste Sammy Mupfuni, fondateur de Congo Check, présente à Makanisi.org son site, son équipe, ses méthodes d’investigation ainsi que le profil des fausses nouvelles qui circulent en RDC.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Makanisi : Quand a été créé votre media en ligne Congo Check ?

Sammy Mupfuni : J’ai initié Congo Check en janvier 2018 avec l’aide de collègues mais le site a été lancé officiellement en février de la même année sous le label de l’ASBL « Initiative des fact-checkers du Congo » (IFC) basée à Goma, dont je suis le coordonnateur.

Quand a été fondée l’IFC ? Quels medias regroupe-t-elle ?

SM : On a fondé l’IFC en janvier 2018. Elle regroupe actuellement deux medias : Congo Check et Mtetezi (défenseur, en langue swahili)

Quel contexte a prévalu à la création de Congo Check ? 

S.M. : En 2018, nous étions en période électorale et nous avions constaté une importante diffusion de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Pour exemple, des camps politiques utilisaient des réseaux sociaux pour manipuler l’opinion publique ou accuser d’autres camps sur la base de rumeurs. C’est ainsi que nous nous sommes inspirés du travail fait par Africa Check sur le continent pour lancer notre initiative adaptée à nos propres réalités.

Vous avez bénéficié de l’appui du programme MSDA* mis en œuvre par FHI360 et Internews. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

S.M. : C’est un programme d’appui aux medias exécuté par Internews sur financement de l’USAID et de la coopération suédoise. L’ONG nous a contactés pour proposer son soutien, pendant deux mois, à notre campagne Fact-check Covid19 consacrée à la lutte contre la désinformation et les rumeurs au sujet de la Covid-19. Nous ne sommes en contact qu’avec Internews pour l’instant. Nous n’avons jamais été en relation avec les autres organisations impliquées dans ce programme.

Actuellement qui vous finance ?

S.M. : Le seul appui financier dont nous bénéficions est celui du programme MSDA d’Internews.

Avez vous l’appui de l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC) dans votre démarche de lutte contre la désinformation ?

S.M : Nous collaborons avec certains journalistes qui ont étudié à l’IFASIC. Moi-même, j’y ai étudié pendant un an mais nous n’avons aucun appui de l’institut.

Combien de collaborateurs compte votre équipe ?

S.M. : Nous sommes actuellement 19 personnes établies dans 6 provinces sur les 26 que compte le pays. Il s’agit du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri, de la Tshopo, du Haut-Katanga et de Kinshasa.

Nous sommes actuellement 19 personnes établies dans 6 provinces sur les 26 que compte le pays. Il s’agit du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, de l’Ituri, de la Tshopo, du Haut-Katanga et de Kinshasa.

Quelle est leur formation ?

S.M. : Certains sont des journalistes ayant une expérience professionnelle de 4 ans en moyenne. Quelques-uns poursuivent leurs études en journalisme. Nous comptons aussi parmi nous des diplômés dans différents domaines comme la médecine ou le droit, mais qui pratiquent le journalisme depuis quelques années.

Quelle différence faites-vous entre rumeur, fausse nouvelle et infox ?

S.M. : Il y a de grandes similarités entre tous ces termes, et, dans certains contextes, il peut s’agir de la même chose. Mais il y a une nuance importante à faire. La rumeur est tout d’abord un ouï-dire non vérifié, dont la véracité est douteuse et l’origine inconnue. S’agissant des intentions de la personne qui la diffuse ou la partage, elle n’a pas pour objectif de manipuler ou de nuire à quelqu’un. C’est souvent partagé dans l’ignorance alors que son auteur croit participer à la révélation d’un fait caché. La fausse nouvelle est, selon moi, synonyme de désinformation ou même d’infox, dans de nombreux cas. Il s’agit d’une histoire montée de toute pièce dans un but précis, qui peut viser à recueillir l’adhésion d’internautes sur les réseaux sociaux pour gagner de l’argent ou manipuler l’opinion.

Il s’agit d’une histoire montée de toute pièce dans un but précis, qui peut viser à recueillir l’adhésion d’internautes sur les réseaux sociaux pour gagner de l’argent ou manipuler l’opinion.

Pendant longtemps, les fausses nouvelles émanaient surtout de milieux politiques. Puis elles se sont étendues à d’autres secteurs, comme la santé avec  le coronavirus actuellement. Comment l’expliquer ?

S.M. : Il n’y a aucun doute que les réseaux sociaux sont pour beaucoup dans l’extension de ce phénomène. Grâce aux réseaux sociaux, l’information est accessible à un grand nombre de personnes, ce qui est une bonne chose en soi. Tout le monde peut informer tout le monde et s’informer auprès de tout le monde. Une fois de plus, cela est positif. Mais le grand risque est que la vérification des faits, qui est la règle de base du journalisme, ne soit pas effectuée. Dans ces conditions, lors des grands événements tels qu’une crise sanitaire ou un événement politique, on assiste à une flambée d’infox. C’est lié à ce besoin naturel d’informer et d’être informé.

Il n’y a aucun doute que les réseaux sociaux sont pour beaucoup dans l’extension de ce phénomène.

En RDC, la rumeur prime-t-elle sur la fausse nouvelle ?

S.M. : Je ne trouve pas de grande différence. Pour moi, la rumeur prime sur la fausse nouvelle et l’infox. Cela est dû au manque d’éducation de la population aux medias et à l’information.

Dans quels domaines les fausses nouvelles sont-elles les plus fréquentes ?

S.M. : Les infox sont fréquentes en politique, dans le domaine de la santé et de l’économie, et, dans une moindre mesure, portent sur tout ce qui est lié aux conflits armés dans l’Est de la RDC.

Les fausses nouvelles et les infox sont parfois relayés par les medias. Selon moi, cela est dû au manque de formation et de déontologie des journalistes.

Si une fausse nouvelle émane de la presse, comment expliquez-vous cela ?

S.M. : Les fausses nouvelles et les infox sont parfois relayés par les medias. Selon moi, cela est dû au manque de formation et de déontologie des journalistes.

Comment procédez-vous pour repérer une fausse nouvelle ?

S.M. : Nous surveillons les réseaux sociaux et nous recevons également des appels et des messages nous demandant de vérifier des publications qui semblent fausses pour le public.

Quels sont vos critères ?

S.M. : Nous tenons compte de l’ampleur ou de la diffusion « virale » d’une information et des conséquences néfastes des infox et des rumeurs.

Avez-vous une charte ?

S.M. : Elle n’est pas encore écrite mais nous partageons régulièrement les règles de vérification de l’information avec tous les membres de l’équipe. Toutefois, nous comptons définir et nous fixer prochainement une charte.

nous partageons régulièrement les règles de vérification de l’information avec tous les membres de l’équipe.

Après avoir repéré une fausse nouvelle, comment vérifiez-vous les faits ?

S.M. : Nous avons une équipe éditoriale de trois personnes expérimentées chargées de la validation et de l’édition de nos « fact-checks ».

Sur votre site, il y a une rubrique fact-check et une autre desintox ? Quelle différence ?

S.M. : Pour nous, la rubrique fact-check est générale alors que désintox traite des infox qui pointent du doigt ou accusent sans fondement des individus.

Quelques exemples des plus grossières fausses nouvelles ?

S.M. : Une fausse légende a été attribuée à une vidéo présentant des agents de santé ‘’dansant pour célébrer de nouveaux cas d’Ebola’’. En fait, il s’agissait des membres de l’équipe de riposte lors d’une cérémonie d’au revoir. Autre exemple, le vaccin contre Ebola a été présenté comme un poison mortel alors qu’il avait déjà fait ses preuves.

Avez vous subi des pressions après avoir démenti une fausse nouvelle ?

S.M. : Nous sommes parfois attaqués pour nos « fact-checks », mais jusqu’à présent, c’est en ligne et ce n’est pas très grave. Des journalistes pensent également qu’on les discrédite en vérifiant des informations qu’ils ont relayées.

Des journalistes pensent également qu’on les discrédite en vérifiant des informations qu’ils ont relayées.

Quelle est votre audience ? Avez-vous un moyen de le mesurer ?

S.M. : Nous sommes suivis par des journalistes, des politiques et des organisations non gouvernementales. Nous n’avons pas d’outils spécifiques pour mesurer notre audience mais nous utilisons Google Analytics et les personnes  que nous formons. Nous formons des leaders  de la société civile, des influenceurs sur les réseaux sociaux et d’autres couches de la population aux techniques de vérification des faits.

Nous sommes suivis par des journalistes, des politiques et des organisations non gouvernementales.

Le gouvernement, notamment le ministère de la communication, se préoccupe-t-il sérieusement de ce phénomène ?

S.M. : Il n’y a aucune loi anti-fausses nouvelles en RDC. Mais, selon certaines de ses déclarations, le gouvernement s’y intéresse, d’autant plus qu’il a été victime de fausses nouvelles à plusieurs reprises.

Où en est votre projet de création d’un centre d’éducation aux medias ?

S.M. : S’agissant de notre projet de création d’un centre d’éducation aux medias, nous sommes à la recherche de fonds mais nous n’allons pas attendre indéfiniment. Nous allons donc mettre  en place le centre au plus tard en octobre prochain, même si, à cette époque, nous n’aurons pas trouvé de soutien.

* MSDA : « Media sector developmen tactivity » (MSDA) est un programme mis en œuvre par FHI360 (Family Health International-360), une ONG américaine qui vise à améliorer la santé et le bien-être des populations, et Internews, autre ONG américaine qui intervient dans la formation de journalistes et le développement de medias.  Internews-Congo, son antenne en RDC, travaille au développement et à l’indépendance des médias du pays et à l’accès à l’information des citoyens congolais.

Sammy Mupfuni

Agé de 28 ans, Sammy Mupfuni est un journaliste de Goma, le chef lieu de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo. En 2010, il s’est lancé dans le journalisme. Il a travaillé pour des radios locales jusqu’en 2016, année au cours de laquelle il a commencé à collaborer avec des agences de presse internationales telles que Associated press (ap) basée aux Etats-Unis et la Deutsche Presse-Agentur (dpa), sise en Allemagne. En 2018 il fonde, avec des collègues, Congo Check (congocheck.net) qui est le premier media congolais spécialisé dans la vérification des faits. En octobre 2018, Sammy reçoit une récompense de la Shuttleworth fondation pour cette initiative. Depuis 2019, il prépare, à distance, une licence multimedia à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille (France). 

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