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dimanche 28 avril 2024
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Congo. Département du Pool, un développement à deux vitesses ?

Le département qui encercle celui de Brazzaville, la capitale, et son district l’île de Mbamou, a pour nom officiel le Pool. D’où l’étonnement : comment un « nom » anglais peut-il désigner un département du Congo-Brazzaville, un pays dont la langue officielle est le français ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à la conquête coloniale en Afrique centrale, qui a opposé les Belges, sur la rive gauche du fleuve Congo, et les Français sur celle de droite.

Le vaste lac intérieur que forme le fleuve Congo en amont de Brazzaville et de Kinshasa, a été appelé Stanley Pool (étang de Stanley), en référence à l’explorateur britannique Henri Morton Stanley, au service du roi des Belges Léopold II, qui l’a découvert avant Pierre Savorgnan de Brazza, qui, lui, s’était mis au service de la France. Les Français, pourtant habitués à désigner leurs départements par un nom géographique, ont conservé le terme anglais pour dénommer la région entourant Brazzaville. À l’indépendance, ce « lac » fut renommé Pool Malebo. Mais ni les Congolais de Kinshasa ni ceux de Brazzaville n’ont francisé le nom. 

Pendant longtemps, Brazzaville et le département du Pool n’ont fait qu’un. Puis en février 2003, la commune de Brazzaville a été érigée en département, auquel a été rattaché en 2011 le district de l’île de Mbamou, créé à cet effet.  En mai de cette même année, les limites de Brazzaville ont été définitivement fixées.

Un grand changement pour le Pool qui ne bénéficie plus directement des infrastructures et des services de Brazzaville, la capitale, et doit se construire sa propre identité. Une construction pas toujours simple du fait de son peuplement progressif et de son histoire.

Un grand changement pour le Pool, qui ne bénéficie plus directement des services de Brazzaville et doit se construire sa propre identité

Téké, Kongo et les autres

On a réduit souvent et on réduit encore parfois le Pool à sa partie sud, et sa population à la communauté lari. Parce que Kinkala, son chef-lieu, est situé dans le sud du département. Parce que cette zone a également polarisé l’attention par ses mouvements messianiques et de résistance au pouvoir colonial et les conflits qui s’y sont déroulés à la fin des années 1990 et au cours de la décennie 2010.

Pourtant, le département du Pool s’étend largement au nord et à l’ouest de Brazzaville. Aussi, outre les Laris, il abrite également des Tékés, ainsi que des Hangalas et des Maniangas, des sous-groupes kongos. Et d’autres communautés du pays, la zone proche des arrondissements de Djiri et de Talangaï (Brazzaville) accueillant de plus en plus de Brazzavillois depuis quelques années. Au point que Kintélé, qui a pourtant le statut de commune, est souvent qualifiée de banlieue de Brazzaville.

À l’origine, les Tékés occupaient une grande partie du Pool. Kinkala est d’ailleurs un nom à consonance téké et le siège du royaume téké est situé à Mbé, dans le district de Ngabé. C’est à Mbé que Pierre Savorgnan de Brazza a signé avec le Makoko (roi) une série de traités.  

Venus du royaume de Ngoyo, vassal du royaume Kongo, les Laris (un mélange de Soundi-Kongo), ont progressivement repoussé vers le nord les Tékés, auxquels ils se sont parfois mêlés

Venus du royaume de Ngoyo, vassal du royaume Kongo, les Laris (un mélange de Soundi-Kongo) ont progressivement repoussé vers le nord les Tékés, auxquels ils se sont parfois mêlés.

Sur le plan linguistique, le Pool est la zone de rencontre entre le lingala, langue parlée dans le nord du pays, et le munukutuba ou kikongo, en vigueur dans le sud. Et sur le plan culturel, entre le système patrilinéaire, caractéristique des Tékés et des communautés du nord du Congo, et le système matrilinéaire, propre aux peuples Kongo. Il va sans dire que le contact Téké/Kongo a fait bouger cette frontière, car les Kongos ont volontiers donné leur fille à un Téké.

Lire aussi : Investir dans les 12 départements du Congo : de riches atouts économiques. https://www.makanisi.org/investir-dans-les-12-departements-du-congo-de-riches-atouts-economiques/

Pool nord vs Pool sud ?

Au cours des dernières années, le renforcement du secteur routier national et sa configuration ont surtout profité à la partie nord du Pool. Cette zone est, en effet, assez bien reliée au reste du pays, par la RN2. Cette nationale, qui la traverse, la connecte, en effet, aux départements situés plus au nord ainsi qu’à Brazzaville, son terminus. La RN1 bis, qui démarre en amont d’Ignié et contourne la capitale, lui permet d’atteindre Mindouli, et, au-delà, les départements du sud. Enfin, un viaduc relie la commune de Kintélé à la capitale.

En revanche, si le chef-lieu Kinkala est connecté à Brazzaville par les quelque 70 km de la RN1 bien bitumés, sa jonction avec Mindouli est difficile, la RN1 étant en mauvais état entre les deux cités. Même sa liaison avec Boko et les villages du plateau des Cataractes est problématique, notamment en saison des pluies. Que dire des connections avec les districts logés dans la partie ouest !

En outre, une partie des gares du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) entre Brazzaville et Mindouli, qui avaient été endommagées par les conflits puis réhabilitées, ne fonctionnent pas en raison notamment des difficultés générales que rencontre le CFCO. Ainsi les échanges ne peuvent se faire que via la route.

Kinkala est isolée du reste de son territoire, y compris de Mindouli, qu’elle ne peut rejoindre qu’en passant par Brazzaville.

Dans ces conditions, Kinkala est isolée du reste de son territoire, y compris de Mindouli, qu’elle ne peut rejoindre qu’en passant par Brazzaville. Par ailleurs, certains projets sont développés dans la partie nord, particulièrement à Kintélé. La commune abrite en effet plusieurs industries, l’Université Denis Sassou N’Guesso, la deuxième université publique du pays, un complexe sportif et un centre de conférences international accolé à un hôtel cinq étoiles. C’est dans cette partie du Pool également que se trouve la centrale hydroélectrique d’Imboulou et que se met en place, dans le district d’Ignié, une Zone économique spéciale, avec un parc industriel et commercial à Maloukou. Et que devrait être construit le pont-route-rail reliant Brazzaville et Kinshasa.

Autant de réalisations et de projets d’infrastructures, qui se font au bénéfice de la partie nord du département. De quoi occasionner des frustrations, du côté sud et ouest du département. Ces déséquilibres se vérifient dans bien des secteurs d’activités. Autant dire qu’un schéma de transport plus équilibré, comprenant la réhabilitation de certains axes routiers et une meilleure connexion entre les districts du Pool, est vivement attendu.

Un schéma de transport plus équilibré, comprenant la réhabilitation de certains axes routiers et une meilleure connexion entre les districts du Pool, est vivement attendu.

Agriculture et écologie à Ignié et Ngabé

Si Brazzaville vit d’importations alimentaires, plus de la moitié des produits vivriers frais qu’elle consomme proviennent du Pool. Pourtant, ce dernier n’a pas été très gâté par la nature, mais ses habitants sont de bons agriculteurs. Plusieurs bassins de production, tous dominés par la culture du manioc, ravitaillent la capitale. Du plateau de Mbé, un des plateaux batékés situé dans la partie nord du département, sur l’axe Ignié, Imbimi et Mah, proviennent les cossettes de manioc. Des légumes, des œufs, des volailles et de la viande de porc arrivent d’autres villages et de ce qui reste des « nouveaux villages agricoles » de Nkouo et d’Imvouba.

Le district d’Ignié accueille des PME agricoles dont le Complexe agropastoral et forestier (Capfor) de l’entreprise General Trading Company (GTC) qui cultive du palmier à huile en zone savane et fournit de l’huile de palme.

Plusieurs bassins de production, tous dominés par la culture du manioc, ravitaillent la capitale.

À cheval sur les districts d’Ignié et de Ngabé, le projet mis en œuvre par la Société Plantations Forestières Batéké Brazzaville (SPF2B), filiale du groupe Forêt Ressources Management (FRM), a une double vocation économique et écologique. L’une vise à produire du charbon de bois et du bois d’oeuvre, fabriqués à partir de bois de plantations, de l’huile de palme, des cultures vivrières, dont du manioc, et même du miel. L’autre a pour objet d’améliorer la biodiversité, grâce aux plantations forestières d’acacias.

Un éventail des productions vivrières du Pool sur un marché local. @MDMM

Kinkala, Boko et Mindouli, autres greniers de Brazzaville

Dans la partie sud, jadis célèbre pour ses ngouri yaka (la maman du manioc), des chikwangue (pains de manioc) pouvant peser jusqu’à 10 kg, la zone de Kinkala-Goma Tsé-Tsé envoie des chikwangues, du vin et des noix de palme, des bitékutéku (feuilles de maranthacées) ainsi que de nombreux produits maraîchers vers Brazzaville. Mais également du charbon de bois. Boko, pour sa part, se signale surtout par ses fruits – litchis, mangoustans, mangues greffées et agrumes. Dans le nord-ouest du département, le district de Kindamba, bien qu’enclavé, alimente Brazzaville en bananes, oranges, foufou de manioc et viande de boeuf. Mais quasiment plus en riz, une culture autrefois très développée.

La fertilité de ses sols permet à Mindouli d’offrir un large éventail de produits : manioc, haricot, arachide, gingembre, légumes, banane plantain et divers fruits, dont les bananes. Récemment, un projet de culture de ricin, en phase pilote, a vu le jour à Mindouli. Mené par la compagnie pétrolière Eni, en partenariat avec la PME agricole Coddipa et des cultivateurs locaux, il devrait passer prochainement au stade commercial.

C’est principalement à Bourreau, dans la commune de Makélékélé, et près du lycée Thomas Sankara, à Talangaï, que sont déchargées les cargaisons venant des villages.

La hausse de la production vivrière et la vitalité des activités agricoles dans la partie sud du Pool ont favorisé l‘essor du transport et du commerce entre les zones de production et la capitale. C’est principalement à Bourreau, dans la commune de Makélékélé, et près du lycée Thomas Sankara, à Talangaï, que sont déchargées les cargaisons venant des villages, qu’une foule de détaillants, principalement des femmes, s’empresse de récupérer. Les transactions ont parfois lieu le soir. « On part le matin, on dort au village et on repart le lendemain pour arriver à Brazzaville vers 22 heures », explique un transporteur.

Alors que les transporteurs opérant dans le nord du Pool sont aussi des commerçants, en revanche, dans le sud, ils assurent surtout la fonction transport, rarement les deux. En effet, la collecte de produits et leur revente est réalisée dans cette zone par de nombreux intermédiaires, les « Mintsita », natifs ou non des villages fréquentés,  qui ont développé de solides liens avec les producteurs.  

Un tourisme à inventer

Fleuve Congo, Pool Malebo, chutes d’eau, réserve de la Léfini, réserve naturelle de gorilles de Lésio-Louna, village de Mbé, siège du royaume Téké, musée aux fétiches de Nkankata, Lac Bleu, Trou de Dieu de Nguéla, place Matsoua à Kinkala, mission des spiritains à Linzolo… Le Pool ne manque ni de sites naturels ni de patrimoine historique et culturel propices au tourisme. Ni de clientèle potentielle, avec la présence, tout proche, de Brazzaville.

Les infrastructures de qualité, offrant une gamme diversifiée de services et de loisirs, sont principalement situées dans les districts d’Ignié et de Ngabé.

Toutefois, l’essor du tourisme est contrarié par une conjonction de facteurs, qui affectent plus particulièrement la partie sud et ouest du département. En premier, le manque d’hôtels. Les infrastructures de qualité, offrant une gamme diversifiée de services et de loisirs, sont principalement situées dans les districts d’Ignié et de Ngabé. La commune de Kintélé, la mieux lotie, compte, entre autres, la résidence Elonda, un centre de loisirs et de réunions, et le Grand Hôtel de Kintélé, doté de plusieurs services et intégré au Centre International de Conférences qui dispose d’équipements pour le tourisme d’affaires et de congrès. Néanmoins, la ville manque de commerces modernes et d’espaces culturels et son urbanisation est loin d’être achevée. Ce qui limite la fréquentation du Grand Hôtel aux grands événements organisés par le pays.

Davantage tourné vers le tourisme de loisirs, l’hôtel Africa, situé dans le district de Ngabé, au bord du fleuve Congo, propose des activités de détente. Malgré son manque d’équipements, limités à quelques bungalows, la réserve naturelle de gorilles de Lésio-Louna reste un lieu agréable à visiter où la rencontre avec les gorilles est un moment magique.

Beaucoup reste à faire pour que le Pool devienne une vraie destination touristique.

Excepté Kinkala, dont l’offre hôtelière s’est étoffée, la plupart des districts du sud et de l’ouest du département ne disposent pas d’hôtels dignes de ce nom. En outre, certains sites, comme les chutes de la Loufoulakari, sont difficilement accessibles et rarement aménagés.

D’une manière générale, la gamme des produits touristiques offerts est limitée. Ainsi le potentiel de croisières sur le fleuve Congo est peu exploité et l’organisation de circuits destinés à faire découvrir l’histoire et la culture des populations locales, quasiment absente. Beaucoup reste à faire pour que le Pool devienne une vraie destination touristique.

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