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mardi 23 avril 2024
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Le Cameroun fête la banane plantain

Ce sera une première ! Du 30 novembre au 2 décembre prochains, le Cameroun organise la fête internationale de la banane plantain. Cette première édition se déroulera à Ebolowa, chef-lieu de la région Sud, un grand bassin de production agricole, et réunira 17 pays. L’occasion pour les visiteurs de découvrir les multiples variétés et modes de préparation ainsi que le potentiel non encore exploré de ce délicieux légume-fruit, à haute valeur nutritionnelle et « gluten free », dont l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest fournissent la moitié de la production mondiale.

Si la banane plantain est largement présente sur les tables d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, elle est quasiment inconnue en Europe et en Amérique du Nord. Contrairement à la banane dessert, sa cousine, qui se mange crue, la banane plantain se consomme cuite. Au Cameroun, elle fait partie des aliments de base de la population, arrivant en deuxième position derrière le manioc. Bouillie, braisée, frite, « tapée » (frite et aplatie), en purée… Quel que soit le mode de préparation, elle accompagne de nombreux plats traditionnels et populaires au quotidien et lors des fêtes.

Bouillie, braisée, frite, « tapée » (frite et aplatie), en purée… Quel que soit le mode de préparation, elle accompagne de nombreux plats traditionnels et populaires au quotidien et lors des fêtes.

Une plante herbacée

Le bananier plantain n’est pas un arbre mais une plante herbacée, qui mesure de 3 à 10 mètres de haut. C’est la plus haute herbe connue avec le bambou. Au Cameroun, cette plante est principalement cultivée dans les régions situées dans la partie sud du pays. « Les grands bassins de production de la banane plantain sont la zone forestière, à pluviométrie monomodale (Littoral et Sud-Est) et celle bimodale qui s’étend sur le Centre-Sud et l’Est » signale Alain Fonin, directeur associé chez Agribusiness Investment Management (AIM), un bureau de conseil spécialisé dans l’agro-industrie. On trouve quelque 140 variétés de bananes plantains, dont les morphologies et les goûts sont différents.

La culture de la banane plantain est pratiquée seule ou associée à des cultures vivrières (racines et tubercules dont manioc) et de rente dont le cacao et le palmier à huile.

Des petits producteurs

La culture de la banane plantain est pratiquée seule ou associée à des cultures vivrières (racines et tubercules dont manioc) et de rente dont le cacao et le palmier à huile. Tout dépend des planteurs. « Elle n’utilise quasiment pas d’intrants,  et des pesticides à très faible dose », certifie Emmanuel Makongo, opérateur agricole, pépiniériste et planteur dans la région du Littoral, et membre de l’Association nationale des acteurs de la filière banane-plantain du Cameroun (FBPC).

Makongo dans sa plantation

Quelque 700 000 petits producteurs seraient impliqués dans la culture, Les superficies cultivées sont généralement petites. Près 80 % des plantations n’excèdent pas 3 hectares. Celles qui atteignent 15 ha sont des exceptions. Les rendements sont également faibles. « Le nombre de plants à l’hectare varie de 800 à 1700, avec une moyenne de 1200 plants », souligne Makongo. On est loin des 4000 plants de la Guadeloupe et des 2500 de la Côte d’Ivoire.

« Le nombre de plants à l’hectare varie de 800 à 1700, avec une moyenne de 1200 plants »

La tranche d’âge des planteurs se situe entre 35 et 65 ans, avec des différences selon les zones géographiques. Certains d’entre eux exercent cette activité à côté d’un travail salarié, d’une activité commerciale ou pendant leur retraite. Il y a peu de jeunes,  car l’exode rural pousse la jeunesse vers les villes à la recherche d’un emploi. Il n’existe pas d’acteurs majeurs dans la production et ceux qui associent la culture à celle du palmier à huile ou du cacao ne sont pas des spécialistes de la banane plantain. Bien que des actions aient été entreprises pour amener les producteurs à s’organiser en coopératives, la filière banane plantain est encore peu structurée, contrairement à celles de la banane fruit. Ce n’est qu’en 2021 qu’a été créée la FBPC, qui regroupe une cinquantaine de producteurs.

Lire aussi : La filière cacao d’Afrique centrale dominée par le Cameroun. 1/2  https://www.makanisi.org/la-filiere-cacao-dafrique-centrale-dominee-par-le-cameroun-1-2/

Une offre en deçà des besoins

Évaluée à 4,5 millions de tonnes par an, la production est loin de satisfaire la demande nationale qui dépasse les 5 Mt. En outre, une partie de la récolte est exportée vers les pays limitrophes : le Nigeria, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Centrafrique, le Tchad et le Congo-Brazzaville. Selon les estimations, il faudrait doubler la production pour répondre aux besoins du pays, en constante augmentation en lien avec la croissance démographique. En raison d’une offre insuffisante, le Cameroun doit importer des produits de substitution. Des importations dont les effets négatifs sur la balance des paiements ne sont plus à démontrer.

Une partie de la récolte est exportée vers les pays limitrophes : le Nigeria, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Centrafrique, le Tchad et le Congo-Brazzaville.

Faiblesse des rendements

La production est généralement vendue par régime. La vente se pratique en bord champ ou au marché local vers lequel le producteur achemine lui-même sa marchandise. Le produit est évacué par camion en vrac. Avant d’atterrir sur les marchés traditionnels et dans les supermarchés, qui n’en écoulent qu’une très faible quantité, il passe par deux ou trois intermédiaires.

C’est une denrée relativement chère, donc peu accessible à toutes les bourses. Outre les facteurs saisonniers, sa cherté est liée à la faiblesse des rendements, ce qui la rend peu compétitive sur les marchés européens, et au manque de maîtrise technique dans les parcelles associées. Les techniques de gestion des peuplements sont également mal maîtrisées. Enfin, le manque de routes carrossables dans certaines régions freine l’écoulement du produit. 

Seule la confection de chips, un créneau rentable, relève de quelques PME dont Mboa Snackery’s.

Une transformation limitée

La transformation est principalement familiale et artisanale, limitée à la fabrication de chips et de farine pour faire des beignets, du pain et des gâteaux. Seule la confection de chips, un créneau rentable, relève de quelques PME dont Mboa Snackery’s, créée, à Douala, par le camerounais Delors Leuwing Ngounouo. L’entreprise produit la marque Kelon Chips, des chips salés ou sucrés, commercialisés en sachets de 30 grammes ou d’un kilo et destinés à la classe moyenne.

La concurrence de la farine de blé importée explique la faiblesse de la transformation de la banane plantain en farine, un ingrédient surtout utilisé par une poignée de boulangeries-pâtisseries pour faire du pain et des gâteaux. Mais les choses bougent. Ainsi, un projet de construction d’une usine de fabrication de farine est en cours de finalisation. Reste à boucler le financement.

Un enjeu de sécurité alimentaire

La pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine, qui se sont traduits par des difficultés d’approvisionnement et par une hausse des prix des céréales dont le blé, ont alerté plus d’un pays sur les risques de dépendance. Développer la filière banane plantain est donc devenu un enjeu de sécurité alimentaire et de souveraineté.

Développer la filière banane plantain est donc devenu un enjeu de sécurité alimentaire et de souveraineté.

Avant même que ces deux événements ne surviennent, le Cameroun avait mis l’accent sur le développement de la filière. Dans le Plan national d’investissement agricole (PNIA) 2è génération (2014-2020), 16 spéculations agricoles prioritaires dont la banane plantain ont été ciblées. L’objectif affiché était de produire de manière plus intensive et durable ces spéculations, potentiellement créatrices de revenus et d’emplois, pour répondre à la demande de certains marchés. Cet objectif a été repris dans la Stratégie nationale de développement (SND30),  qui cible une production de 7,5 Mt en 2025 et de 10 Mt. en 2030.

Le défi est de taille. Car plus que l’augmentation de la production, il s’agit de structurer une chaîne de valeur et de résoudre une série de difficultés auxquelles est confrontée la filière : problèmes de disponibilité du matériel végétal, de conservation et de transformation, d’accès au marché, de financement, manque d’acteurs d’envergure à tous les stades de la chaîne.  

« Nous avons mis sur pied un système de multiplication végétatif qui permet d’améliorer les rendements, autorisant ainsi la culture à plus grande échelle », insiste Makongo.

Produire plus, mais comment ?

Pépinière de Makongo dans la région du Littoral

Pour augmenter la production, plusieurs options sont possibles. On peut augmenter les surfaces cultivées, mais avec un risque de compétition avec d’autres cultures qui ont également besoin d’espaces, voire un risque de déforestation avec les impacts négatifs sur l’environnement que l’on connait.

L’amélioration des rendements passe, pour sa part, par une offre accrue en matériel végétal de qualité. « Il faut améliorer le matériel végétal et mettre différentes variétés sélectionnées à disposition des planteurs. Nous avons mis sur pied un système de multiplication végétatif qui permet d’améliorer les rendements, autorisant ainsi la culture à plus grande échelle », insiste Makongo. Cette option fait appel à des pépiniéristes, qui sont encore peu nombreux. Par ailleurs, pour un petit planteur, un plant sélectionné coûte plus cher que le rejet qu’il utilise pour replanter. D’où la nécessité de rendre le matériel végétal accessible à tous et de manière constante. Ce qui implique d’abaisser les coûts, de vulgariser les techniques de multiplication du matériel végétal et d’offrir des formations pour aider les planteurs à maîtriser l’ensemble du processus technique. 

Des plantations spécialisées en banane plantain

La spécialisation des parcelles ou des plantations en bananes plantains, c’est-à-dire la monoculture, est une autre solution pour augmenter les densités de bananiers et la production. Avec toutefois des écueils à éviter. Car la spécialisation peut se faire au détriment d’autres cultures, donc du régime alimentaire familial et de la trésorerie générée par l’exploitation familiale.  En outre, quand on augmente la densité d’une plante, on accroît les besoins en nutrition et en fertilisation ainsi que les problèmes de maladies et de ravageurs. D’où les risques d’échecs et de recours aux pesticides.

Aider les agriculteurs à produire sans pesticide est un des volets du projet FABA (Formation Agricole pour la Banane plantain en Afrique).

L’agro-écologie

Éviter de transformer des systèmes traditionnels naturels en des systèmes basés sur des intrants chimiques passe par une approche agro-écologique. « Mettre des pesticides reviendrait à gagner quelques kilos sur un régime au détriment de la qualité. Or il existe une possibilité d’intensifier la culture, sans pesticide », expliquait Sylvain Depigny, agronome spécialiste du bananier plantain au Cirad, lors du Salon international de l’Agriculture (SIA) qui s’est tenu à Paris en mars 2022.

Lire aussi : La république du Cameroun en chiffres. Édition 2022. https://www.makanisi.org/la-republique-du-cameroun-en-chiffres-edition-2022/

Aider les agriculteurs à produire sans pesticide est un des volets du projet FABA (Formation Agricole pour la Banane plantain en Afrique). « Le volet agro-écologique du FABA permet de produire de manière plus intensive et durable », indiquait Éric Avom, coordinateur du Programme national des cultures fruitières du Cameroun (PNDCF) au Ministère de l’agriculture et du développement rural (Minader), lors du SIA en mars 2022. Une fois la récolte terminée, une partie des régimes peut également être réutilisée comme biomasse.

La banane plantain est, en effet, un produit prometteur pour l’agro-alimentaire. Les chips ont un marché mais la farine dispose aussi de nombreux débouchés.

La transformation, un marché porteur

Bien évidemment, la transformation devra suivre l’essor de la production. Elle dispose d’atouts. La banane plantain est, en effet, un produit prometteur pour l’agro-alimentaire. Les chips ont un marché mais la farine dispose aussi de nombreux débouchés. Un kg de farine, soit 5 kg de bananes plantain, peut se conserver plus de six mois. De quoi faire la soudure entre deux récoltes. Avec la farine, on peut faire du pain, des beignets et des gâteaux, ainsi que « des biscuits, des pâtes alimentaires et même de la confiture. Pour conquérir certains marchés, il faut valoriser les qualités nutritionnelles de la banane plantain, notamment son côté « gluten free », insiste Fonin. En outre la culture du plantain est favorable aux sols, contrairement au manioc qui a tendance à les appauvrir.

Former tous les acteurs

L’objectif de 10 millions de tonnes (Mt.) à l’horizon 2030 que s’est fixé le gouvernement ne peut être atteint que si plusieurs conditions sont réunies. L’une est la formation à tous les stades de la filière : production, transformation et commercialisation « Nous devons former tous les acteurs de la filière : producteurs, agents de formation agricole et autres formateurs ainsi qu’enseignants supérieurs. Ensemble ils permettront d’arriver aux tonnages visés », signalait Avom au SIA.

Outre les formations spécialisées en agronomie et en agroécologie, l’accent est mis sur l’entreprenariat et l’organisation des planteurs.

Outre les formations spécialisées en agronomie et en agroécologie, l’accent est mis sur l’entreprenariat et l’organisation des planteurs. Les jeunes diplômés sont ainsi invités à devenir des entrepreneurs agricoles et à s’investir notamment dans la filière. La Banque mondiale, pour sa part, finance des formations à l’élaboration de plans d’affaires et à l’organisation des planteurs en coopératives selon les formes de regroupement retenues par l’acte OHADA. Un moyen d’améliorer les techniques de production et de vente mais aussi la gestion du groupement. « Lorsque la gestion de la coopérative s’améliore et que la communication y est fluide, le groupement a accès à plus de technologie et adopte les bonnes pratiques culturales qui ont un impact positif sur les rendements et la production », informe Guyslain Kayembe, agro-économiste principal à la Banque mondiale, à Yaoundé.

D’autres initiatives sont en cours. Ainsi, le Nigeria et le Cameroun ont décidé de mutualiser leurs efforts en matière de production et de transformation des bananes plantains. Lors d’une rencontre en août dernier au Cameroun, des discussions ont été engagées entre la FBPC et le groupe nigérian AFTEL, spécialisé dans l’investissement de projets en Afrique. Ce dernier pourrait accompagner les acteurs camerounais à travers la mise à niveau de la FBPC et la formation de quelque 500 producteurs localisés dans les bassins de production. D’autres mesures sont à l’étude.

Lire aussi : Dans les arcanes des chefferies de l’ouest et du nord-ouest du Cameroun. https://www.makanisi.org/dans-les-arcanes-des-chefferies-de-louest-et-du-nord-ouest-ducameroun/

Faire émerger des acteurs majeurs

À ces mesures s’ajoutent les dispositions prises par l’État pour favoriser l’essor de la filière, en particulier celles envisagées dans le cadre de la politique d’import-substitution. Par ailleurs, la convention d’ouverture d’une ligne de crédit à la Commercial Bank Cameroon, récemment signée entre le Minader et la CBC, contribuera à améliorer l’accès aux financements. En effet, ce fond, de 8,6 milliards de FCFA, mis à la disposition de l’État camerounais par la Banque africaine de développement dans le cadre du projet de développement des chaînes de valeurs agricoles qu’elle finance à hauteur de 78 %, est destiné aux producteurs d’huile de palme, d’ananas et de banane plantain.  

« Pour créer une synergie et impulser une dynamique, il faut quelques acteurs majeurs dans chaque segment de la filière, aussi bien au stade de la plantation que de la transformation »

Dans un entretien sur la chaîne Youtube Agribusiness Masterclass, animé par Loïc Kamwa, Delors Leuwing Ngounouo insiste, pour sa part, sur la mise en place d’une chaîne de valeur pour la filière et la nécessité de l’émergence d’acteurs majeurs. « Au Cameroun, la production est encore archaïque et artisanale, avec des rendements faibles. Pour créer une synergie et impulser une dynamique, il faut quelques acteurs majeurs dans chaque segment de la filière, aussi bien au stade de la plantation que de la transformation et de la commercialisation. Il faut atteindre une taille critique. Chacun doit se spécialiser dans son domaine et se concentrer sur son activité. Contrairement à la filière palmier à huile, la banane plantain reste une agriculture de subsistance », conclut l’entrepreneur.

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