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samedi 27 avril 2024
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Les pays africains sont-ils prêts pour l’intelligence artificielle ?

L’intelligence artificielle, qui entre peu à peu dans nos vies, pourrait bouleverser le marché de l’emploi partout dans le monde, dans les prochains mois et les prochaines années. Comment se prépare-t-on en Afrique ? Les gouvernements ont-ils pris conscience des grands enjeux liés à l’intelligence artificielle ? Qu’en est-il du secteur privé ?

Sylvain Nkanza, directeur de projet au groupe français Capgemini, docteur en statistique et informatique appliquée, réfléchit à toutes ces problématiques.

Propos recueillis par Arthur Malu-Malu.

Sylvain Nkanza

Comment peut-on définir l’intelligence artificielle (IA) ?

C’est un ensemble de théories et de techniques développant des programmes informatiques complexes, capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine.

L’intelligence artificielle représente ainsi un ensemble d’outils utilisés par une machine afin de reproduire des comportements humains : le raisonnement, la planification, l’anticipation, les retours d’expériences, la proposition d’événements en fonction des centres d’intérêt…

Dans les salles de marché, pour effectuer les opérations de trading, l’IA aide énormément dans les prévisions, les anticipations des ventes, les achats d’actions, etc. 

Quels sont les usages de l’IA ?

Les usages sont énormes. L’intelligence artificielle est arrivée pour amplifier les usages qu’on faisait des ordinateurs et des données statistiques. L’agent conversationnel, ce qu’on appelle le compagnon, révolutionne les choses. Il arrive qu’une personne contacte, par exemple, le service clientèle d’une entreprise et qu’on lui demande de se connecter sur le site. Et quand elle arrive sur le site, elle tombe sur un avatar qui lui dit « Je suis là, je m’appelle Chloé, Gaspard ou Mohamed… En quoi puis-je vous aider ? ». C’est l’une des applications de l’intelligence artificielle. Il y en a tellement que je ne pourrais pas tout énumérer ici. Dans les salles de marché, pour effectuer les opérations de trading, l’IA aide énormément dans les prévisions, les anticipations des ventes, les achats d’actions, etc.  

Quelles sont les sociétés pionnières dans le domaine de l’intelligence artificielle ?

Celles que nous connaissons, à ce stade, sont, pour la plupart, basées aux États-Unis. Je pourrais citer, entre autres, Microsoft, Apple, Amazon et OpenAI, qui a mis au point l’agent conversationnel ChatGPT… Je pourrais ajouter d’autres sociétés comme TikTok, chez les Chinois, qui est aussi très avancée. Pour la petite histoire, ChatGPT a fait faire l’entraînement de ses modèles au Kenya. Ce sont des techniciens et des ingénieurs kényans qui ont fait tout le boulot, pour ce qui est de l’entraînement. Je pourrais faire le parallèle avec un enfant qui apprend à parler. Avant de pouvoir parler, l’enfant écoute d’abord. Et après avoir emmagasiné un certain nombre de mots et enrichi son vocabulaire, la situation et le contexte aidant, il peut se mettre à s’exprimer. C’est la même chose pour l’intelligence artificielle.

L’IA requiert trois choses : une bonne connexion Internet, des machines avec des capacités de calcul énormes et enfin beaucoup de données

En Afrique centrale, notamment dans les deux Congo, y a-t-il une prise de conscience des bénéfices que l’intelligence artificielle peut apporter ?

Le gouvernement du Congo-Brazzaville a dévoilé ses intentions sur l’IA. Un article, paru dans Jeune Afrique il y a un moment, faisait état d’un écosystème numérique qui se développait au Congo-Brazzaville. Et qui devait voir l’ouverture, au mois de septembre de l’année dernière, d’un centre africain de recherche sur l’IA. Les intentions sont là. Cependant, je ne sais pas si tout cela a été suivi d’effets. De toute façon, il faut mettre les choses dans l’ordre et éviter de mettre la charrue avant les bœufs. Avant de se lancer dans le domaine de l’intelligence artificielle, il faut avoir constamment à l’esprit qu’elle requiert trois choses : une bonne connexion Internet, des machines avec des capacités de calcul énormes et enfin beaucoup de données. C’est un problème qui doit être pris à bras-le-corps par les gouvernements. C’est ce qui se fait au Japon, par exemple. Le gouvernement japonais finance énormément la recherche dans les entreprises privées.

Sous-entendez-vous qu’en Afrique, on a tendance à prendre le problème à l’envers ?

Au Congo-Brazzaville, l’accès à une bonne connexion Internet est très difficile. Une bonne connexion Internet coûte cher. Il faut qu’on arrive à faire le saut technologique de l’intelligence artificielle, comme on l’a fait avec le téléphone portable. Je suis tout de même optimiste. Il s’agit, en amont, de remplir les trois préalables que j’ai relevés. L’avantage de l’intelligence artificielle est qu’on peut même travailler en étant loin de chez soi, à l’étranger, à condition d’avoir accès à une bonne connexion Internet. Chacun de nous a le choix, à l’heure actuelle. Chacun peut louer un temps de calcul sur des ordinateurs super puissants. On n’est pas obligé d’avoir ces ordinateurs chez soi. J’ai un ordinateur et je me connecte à un cloud. Si je dispose de nombreuses données et si je veux effectuer des calculs, je loue un espace et un temps de calcul. C’est ainsi qu’on peut procéder.

Le Kenya tire son épingle du jeu. Ce pays a bien compris que l’avenir se niche dans l’intelligence artificielle 

Y a-t-il des entrepreneurs africains, notamment des jeunes, qui s’intéressent au secteur de l’intelligence artificielle ?  

Je vais faire une cartographie de l’Afrique… En tout cas, de ce que j’en sais. Il y a le Maghreb, en particulier le Maroc, qui était 83ème au rang mondial en 2021, sur le plan de la connexion Internet, de l’intelligence artificielle… Le Maroc est passé au 40ème rang mondial en 2023. C’est une progression fulgurante due au fait que le gouvernement marocain et le roi du Maroc ont pris le problème à bras-le-corps. L’université polytechnique Mohamed VI excelle dans ce domaine. En Afrique subsaharienne, le Kenya tire son épingle du jeu. Ce pays a bien compris que l’avenir se niche dans l’intelligence artificielle. Beaucoup d’entreprises, aussi bien asiatiques qu’américaines, s’implantent au Kenya. Néanmoins, le corollaire de ce mouvement est que les ingénieurs kényans coûtent plus cher que d’autres ingénieurs africains. Je ne parle pas de l’Afrique du Sud qui figure également parmi les pays leaders.

Nous avons des jeunes très talentueux en Afrique qui, avec très peu de moyens, arrivent à réaliser des prouesses

Lire aussi : Économie numérique en Afrique : des acquis à consolider. https://www.makanisi.org/economie-numerique-en-afrique-des-acquis-a-consolider/

Si on sort du Kenya, les universités africaines forment-elles en nombre suffisant des ingénieurs calés en intelligence artificielle ?

Pour tout dire, j’ai un sentiment de frustration. Nous avons des jeunes très talentueux en Afrique qui, avec très peu de moyens, arrivent à réaliser des prouesses. Sur YouTube, que je regarde, je trouve que la RDC est un pays où il y a des jeunes très compétents. Mais de nombreux obstacles se dressent sur le chemin de leur épanouissement. C’est comme quelqu’un qui passe son permis de conduire. À la fin, il a passé tous les tests, le code de la route, la conduite… Il a le permis, mais il n’a pas de véhicule pour conduire et pratiquer. Les talents existent partout en Afrique, dans les deux Congo notamment – deux pays que je suis particulièrement -, de même qu’au Cameroun, au Sénégal, au Burkina, etc. Malheureusement, l’infrastructure ne suit pas toujours. C’est dommage. Pourtant, avec un ordinateur, de nombreuses données et une bonne connexion Internet, on peut faire des prouesses.

Encore faut-il que ces prouesses se traduisent dans la vie quotidienne des Africains… Qu’est-ce qui pourrait changer le jour où les pays africains auront tous franchi le cap ?

Je pourrais citer le cas d’une dame, Kate Kallot, qui est née à Pointoise et qui a des origines centrafricaines. Elle a été aux États-Unis et au Japon. Elle s’interrogeait sur ce qu’elle pourrait faire pour l’Afrique. Et puis, elle a conclu un partenariat avec la Nasa qui lui permettra de développer des nano satellites combinés à l’intelligence artificielle. Il s’agira, dans le cadre de ce partenariat, de mettre les données recueillies à la disposition des entreprises agricoles africaines qui pourront ainsi développer des solutions pour prévoir les récoltes, les changements climatiques et effectuer d’autres prévisions. Si les prévisions indiquent par exemple qu’à une année donnée, il y aura une grave sécheresse, on pourrait surproduire l’année précédente pour constituer des réserves, comme on le fait en Occident.

Beaucoup de jeunes africains désoeuvrés auront des opportunités et beaucoup de talents cachés pourront se révéler

L’intelligence artificielle ressemble à une mine d’or…

C’est une mine d’or qui va donner beaucoup de travail. Je pense que c’est aussi l’avenir. Beaucoup de jeunes africains désoeuvrés auront des opportunités et beaucoup de talents cachés pourront se révéler. Je tiens à signaler, et c’est très important, que pour travailler dans le secteur de l’intelligence artificielle, on n’est pas obligé d’avoir fait des études très poussées. Des jeunes qui se sont arrêtés au niveau du bac peuvent se mettre à travailler là-dessus.

Cela signifie aussi que certains emplois vont disparaître…

Oui. C’est un problème qu’il faut prendre très au sérieux et il faut anticiper. En Afrique, peut-être beaucoup moins, mais surtout en Europe. L’IA n’a pas encore vraiment percé en Afrique. En Europe, en revanche, on la voit, dans le secteur de la presse, dans le domaine de la justice, etc. Je pourrais raconter une anecdote. À côté de mes activités à Capgemini, je suis également juge aux prud’hommes à Paris. Des avocats se servent déjà de ChatGPT pour préparer leurs interventions. Tout récemment, j’ai interpellé un avocat en dehors du tribunal. Je lui ai demandé s’il ne s’était pas fait aider par ChatGPT avant d’intervenir. Il m’a répondu, en toute honnêteté, qu’il avait utilisé cet outil, car il n’avait pas eu beaucoup de temps de préparation. Dès qu’on envoie un « prompt », comme on dit dans le jargon de l’IA, et une requête, une demande bien écrite, on reçoit la réponse. Le nombre de secrétaires baisse progressivement, au fil des mois. Certaines sociétés se passent de leurs services. Les grandes entreprises en profitent pour dégraisser leurs effectifs et réduire leurs coûts.

Au début et à la fin, il y a l’être humain

L’IA pourrait-elle, à certains égards, remplacer l’humain ?

Je dirais suppléer, pas remplacer, car au début et à la fin, il y a l’être humain. L’être humain fait la requête. Je pourrais dire, pour simplifier, que l’IA travaille et rend la copie. Et l’interprétation est faite en bout de chaîne par l’être humain.

Au bout du compte, l’intelligence humaine sera toujours au-dessus de l’IA…

C’est bien cela. Personnellement, je préfère le terme « intelligence augmentée » au terme « intelligence artificielle ». L’intelligence artificielle repose notamment sur la puissance de calcul. Si un être humain doit calculer, par exemple, 1335 multiplié par 10 500, il n’aura pas la réponse tout de suite. L’intelligence artificielle pourrait aider l’être humain à effectuer ce type de calcul très vite. Les puissants ordinateurs calculent beaucoup plus vite que l’homme.

Sylvain Nkanza
  • Directeur de projet. Département Intelligence Artificielle. Capgemini. Paris. – Depuis 2021
  • Enseignant en ingénierie système. Master II de mécanique. Faculté des sciences de Metz – Metz. Depuis 2017
  • Formateur en ingénierie système et en management de projet pour des ingénieurs. Altran  & Capgemini – Paris. Depuis 2013
  • Juge aux Prud’hommes de Paris – Droit du travail – Paris. Depuis 2023
  • Vice-Président de la Fondation Cero Basura Panama. Protection de l’environnement – Depuis 2021
  • Docteur en statistiques et informatique appliquée. EHESS-Paris V. Paris – 1993
  • Ingénieur en géostatistique. Estimation minière et pétrolière. École des Mines de Paris. Paris – 1990

 

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