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samedi 27 juillet 2024
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Ramsès 2024 : un monde à refaire

Ouvrage collectif et prospectif de référence, publié chaque année, sous la direction de Thierry de Montbrial et de Dominique David, le rapport Ramsès propose à un public varié les clés et repères indispensables pour décrypter les évolutions du monde. L’édition 2024 annonce d’emblée la couleur avec son titre : « Un monde à refaire ». Avant de savoir comment le refaire, il convient de le décrire, de le comprendre, d’en analyser les caractéristiques, les évolutions et les tendances, d’identifier les chocs qu’il a subis avant d’ouvrir des pistes de solutions.   

Selon Thierry de Montbrial, fondateur et président de l’Institut français des relations internationales (Ifri), ce « monde à refaire » a été secoué par quatre chocs majeurs : aux deux chocs qu’ont été la pandémie de Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, sont venus s’ajouter le durcissement de la tension sino-américaine et le changement climatique que nul ne peut plus nier aujourd’hui. Avec pour conséquences, le recul de la mondialisation, une gouvernance mondiale « en péril », une recomposition géopolitique, de fortes tensions et des foyers de guerre.

La présentation de ce 43ème Ramsès, lors d’une table ronde qui s’est tenue le 19 septembre dernier à l’Ifri, s’est focalisée sur 4 points particuliers : la guerre d’Ukraine et ce qu’elle implique pour son environnement immédiat et pour le monde, la montée du sentiment anti-français en Afrique, notamment en Afrique sahélienne,  les contours de l’Inde, ainsi que les traits et les tendances de la recomposition du nouveau monde.

La guerre d’Ukraine

Présentée par Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des Études de Sécurité de l’Ifri, la guerre d’Ukraine semble se stabiliser sur le terrain depuis environ 4 mois. Cette stabilisation serait liée au manque d’armements et d’arsenaux, qui n’arrivent plus, aussi bien du côté ukrainien que du côté russe, où l’on a constaté beaucoup de pertes. L’hiver qui arrive devrait jouer en faveur d’un gel des hostilités jusqu’en avril 2024. Le temps pour chaque belligérant de reconstituer ses stocks d’armes. Sur ce plan, l’Ukraine peut compter sur les arsenaux américains dont la production est en augmentation.

Du côté russe, le président Vladimir Poutine a rencontré récemment son homologie de Corée du Nord, ce qui laisserait entendre que la Russie manque d’armements et de pièces occidentales.

Pour la Russie, « il s’agit de tenir », indique Antil. La Corée du Nord dispose d’un stock d’armes important qui pourrait lui profiter. On pourrait donc s’attendre à un retour offensif des Russes en Ukraine, au printemps prochain.   

Les effets de la guerre en Ukraine sur le continent européen sont pluriels : orientations politiques, errances diplomatiques, institutions, élargissement, politiques énergétiques et économiques. L’Union européenne ressortira-t-elle renforcée ou marginalisée de ce conflit en Ukraine ? Une nouvelle alliance avec l’Europe centrale peut-elle se dessiner ? Autant de questions à se poser.

L’Afrique et la France

L’actualité s’est focalisée depuis quelques mois, et notamment fin juillet sur les relations France-Afrique, suite à la montée de manifestations anti-françaises en Afrique de l’Ouest. D’où deux interrogations : l’une sur l’avenir de la France dans cette région, et, plus largement en Afrique subsaharienne, et l’autre sur la stratégie que la France doit mettre en place, pour y faire face.

Pour Alain Antil, chercheur et directeur du Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, la Françafrique renvoie à une époque caractérisée par un système de relations, très asymétriques,  entre la France et certaines de ses ex-colonies, que certains ont qualifié de « décolonisation incomplète ». L’ancienne métropole y était le premier partenaire de sécurité ainsi que le premier partenaire économique, technique et financier », commente Antil. Les liens entre les classes politiques africaines et françaises étaient par ailleurs considérés comme « incestueuses ».  Une partie de l’aide revenait sous forme de « valises » pour financer des campagnes électorales en France.

Aujourd’hui, on n’est plus dans ce système de relations qui s’est distendu. Un chiffre pour comprendre cette évolution : les échanges commerciaux de la France avec l’Afrique subsaharienne ne représentent que 2% de la totalité de ses échanges. Les stocks d’investissement direct étranger (IDE) français s’élèvent à environ 60 millions de dollars sur un total de 1300 millions d’euros. En Afrique francophone sahélienne, la France a un poids économique très marginale. D’une manière générale, les États africains ont beaucoup diversifié leurs partenariats économiques.

Fin de la présence militaire au Sahel

La spécificité française en Afrique, comparativement aux autres ex-puissances coloniales, comme le Portugal et la Grande-Bretagne, est d’avoir maintenu une présence et un interventionnisme militaires au sud du Sahara, depuis 1960 jusqu’à l’opération Barkhane lancée le 1er août 2014. « Sur ce plan, on est à un tournant, puisque des pays sahéliens demandent à la France de partir. On assiste à des manifestations anti-françaises et au souhait des populations de changer les relations entre Paris et ces pays », souligne Alain Antil.

À la question de savoir que faire de cette tradition militaire, qui est le dernier héritage de la France, Antil constate qu’en termes de stocks d’IDE, la France reste le deuxième investisseur mondial en Afrique subsaharienne, derrière le Royaume-Uni.

Toutefois, la présence militaire française est appelée à fortement diminuer en nombre de bases et de soldats. Elle pourrait évoluer vers des formations d’armées africaines et des soutiens en matière de sécurité maritime.

Antil signale par ailleurs que le retrait de la France s’est traduit par un doublement du territoire occupé par l’État islamiste au Mali et que l’Accord d’Alger, officiellement dénommé Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en mai et juin 2015, est devenu caduc. Du coup, l’État malien n’est plus présent dans le nord du Mali. Au Tchad, où « règne » une dictature soutenue par la France depuis des décennies, la France a une base temporaire à N’Djaména. Si l’actuel pouvoir tombait, la situation pourrait changer, informe Antil.

Lire aussi : France : quelle stratégie face aux ambitions des grandes puissances ? https://www.makanisi.org/france-quelle-strategie-face-aux-ambitions-des-grandes-puissances/

L’Inde, future puissance mondiale  ?

L’Inde représente-t-elle le monde nouveau en émergence ? Est-elle une puissance technologique et démographique ? Quelles sont les dynamiques internes qui la traversent et quel est son poids dans la géopolitique régionale et mondiale ?

Autant de questions que se pose Isabelle Saint-Mezard, enseignante-chercheur à l’Université Paris 8 et chercheur associée à l’Ifri : « L’Inde est-elle une puissance de premier plan, comme le rêve son Premier ministre Narendra Modi, ou une puissance moyenne qui fait beaucoup parler d’elle ? En 2023, plusieurs événements ont porté à croire qu’elle était une grande puissance ». Elle est, en effet, le pays le plus peuplé de la planète, avec environ 1,428 milliard d’habitants contre 1,425 milliard pour la Chine et elle a organisé, à Delhi, les 19 et 20 septembre 2023, le Sommet du G20, dont elle assurait la présidence depuis décembre 2022.

Mais les chiffres racontent aussi autre chose. Selon la Banque mondiale, le Produit intérieur brut (PIB) de l’Inde était d’environ 3500 milliards de dollars en 2022 contre près de 18000 milliards de dollars pour la Chine. Le PIB, par tête d’habitant, n’y est que de 2220 $ contre 12 500 $ pour la Chine. Enfin, son réseau diplomatique ne figure qu’au 10è rang mondial alors que celui de la Chine est le 1er au monde.

Toutefois, l’Inde a beaucoup d’ambition et une vision. Elle est une puissance moyenne, qui  compte déjà et qui va compter. « Elle est identifiée comme un partenaire critique et crucial par des puissances occidentales, dont les États-Unis et la France, qui déploient beaucoup d’efforts pour construire des partenariats avec elle », informe Isabelle Saint-Mezard.

Le rêve chinois étant en train de se fissurer, dans ce retournement général, l’Inde pourrait-elle être le pays où l’on ira investir ? Depuis longtemps, les États-Unis ont identifié l’Inde comme un contrepoids, un concurrent à la Chine. « L’Inde est un pays stratégiquement important. Elle a gardé des liens avec la Russie et aspire à se positionner comme leader du Sud global, un mouvement qui regroupe des États qui se sentent pénalisés par la pandémie et la guerre d’Ukraine. Elle s’est positionnée au G20 comme porte-voix de ces pays. C’est un État qui réincarne la tradition sud-sud », relève Saint-Mézard. Toutefois, le grand problème de l’Inde est la Chine qui exerce une pression militaire sur elle. D’où son rapprochement avec les États-Unis pour avoir un appui. Un équilibre difficile à maintenir dans le moyen terme.

Conditions d’un nouvel ordre international durable

« Un monde à refaire », annonce Ramsès 2024. Certes, mais à quelles conditions un nouvel ordre international durable pourrait-il émerger du désordre actuel ?  Citant Henry Kissinger, Thierry de Montbrial précise : « au rapport de force (balance of power), on peut substituer partiellement l’équilibre des intérêts fondamentaux (balance of interests) ».  

Dans le rapport de force,  chaque partie est dissuadée de rompre l’équilibre international ou régional par l’ensemble des autres. En d’autres termes, explique de Montbrial : « Je peux ne pas aimer cet équilibre, ne pas être à l’aise dans cet équilibre, mais si je prends le risque de le rompre, tout le monde va s’unir contre moi pour me ramener au point de départ ».

À la politique du rapport de force, de Montbrial propose de lui substituer une autre approche : « Si l’on veut un ordre durable, il faut tenir compte des intérêts fondamentaux des autres, même si cela nous déplait ». Reste à savoir comment concilier des intérêts fondamentaux qui peuvent être opposés.

Pour tenter d’y parvenir, plusieurs conditions : revenir à l’histoire, définir les intérêts de chaque partie, comprendre les raisons fondamentales d’un conflit, rechercher le moment propice pour négocier, avant que le conflit n’éclate et quand les parties sont en position de force pour négocier. Prenant le cas de la Russie et de l’Ukraine, de Montbrial signale : « La question de l’équilibre se définit avant la guerre. C’est parce qu’il n’y a pas eu de discussion sur la recherche d’un nouvel équilibre après la chute de l’URSS qu’on en est arrivé là ».

Si le président de l’Ifri est favorable aux lignes rouges, reste que « pour définir une ligne rouge, il faut être sûr qu’elle ne peut pas être franchie et que la ligne rouge a bien été mûrie. Si on n’est pas sûr qu’elle ne sera pas franchie, mieux vaut s’abstenir ».

Géopolitique, politique internationale et stratégie

De Montbrial insiste sur la nécessité de clarifier certains concepts et de faire la distinction entre géopolitique et politique internationale. La géopolitique est la combinaison de la géographie et de l’histoire, qui forme la mémoire collective. C’est très important, mais cela ne détermine pas tout. Car les dirigeants ont toujours des possibilités d’actions. Ainsi, à une situation géopolitique donnée, correspondent toujours une ou plusieurs politiques internationales.

Questionné sur le concept de stratégie, de Montbrial précise : « En stratégie, la première condition est d’avoir des objectifs atteignables, c’est-à-dire avoir une vision claire de ses forces, y compris morales, et de celles de ses alliés et de ses adversaires ainsi que de leurs capacités. C’est un calcul long. Il faut une vision longue, raisonner sur des années, sur toute la durée qui correspond à la temporalité de l’action que l’on mène ». Selon lui, dans le cas de la guerre d’Ukraine, il n’y a pas, du côté européen, de stratégies, mais des affirmations qui relèvent de l’idéologie et des valeurs. 

Pour de Montbrial, l’une des grandes faiblesses de la démocratie libérale est que tout changement de gouvernement peut conduire à un changement de politique étrangère, ce qui conduit à des perturbations et à des erreurs. Et de donner l’exemple de la Libye sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Cette synthèse est loin de rendre compte de la richesse du rapport, de la variété des thèmes qui y sont abordés et des questions qu’ils soulèvent. Divisé en quatre parties dont les trois premières s’intitulent respectivement « Perspectives », « Trois enjeux pour 2024 », « Le Monde en questions », le rapport se termine par la partie « Repères », qui comprend des chronologies, des annexes statistiques et une série de cartes qui complètent et approfondissent les analyses de l’ouvrage.

RAMSÈS 2024

Un monde à refaire

  • Édition : Dunod
  • Parution : septembre 2023
  • 376 pages
  • 37,00 euros
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