Sans être un as du numérique et sans l’apport d’un algorithme sophistiqué, Gracien Ndéma a réussi à mettre sur pied Facebook Service, une société de réservation de taxis par téléphone à Bangui.
Cette société d’un genre nouveau dans une capitale engluée dans une interminable crise politique et sociale depuis une dizaine d’années, est une pâle copie d’Uber, l’entreprise technologique américaine qui développe et exploite des applications de mise en relation de clients potentiels avec des conducteurs proposant des services de transport.
Son principal outil de travail est un téléphone. Un précieux smartphone qui lui permet de communiquer avec ses chauffeurs.
Cependant, cet ancien chauffeur de taxi n’a pas les yeux constamment rivés sur une application qui le renseigne, en temps réel, sur la localisation de ses voitures. Son principal outil de travail est un téléphone. Un précieux smartphone qui lui permet de communiquer avec ses chauffeurs. Ce système d’une simplicité biblique est bien rodé et fonctionne jusqu’ici à la satisfaction de l’employeur et des employés.
Pourquoi Facebook Service ? Il s’agissait, pour Gracien Ndéma, de surfer sur le succès du réseau social le plus utilisé dans le monde. L’entreprise californienne Facebook, qui compte plus de deux milliards d’utilisateurs dans le monde, porte un nom accrocheur et connu partout sur la planète.
Tout part d’un coup d’Etat
L’idée de créer sa propre entreprise lui est venue lorsque Michel Djotodia, à la tête de Seleka, un mouvement rebelle majoritairement musulman, a renversé le président François Bozizé, en mars 2013. La ville était alors livrée à elle-même. Des pans entiers de Bangui étaient contrôlés par des hordes de rebelles qui imposaient la terreur.
« On avait peur de sortir. Je me suis rendu compte qu’une société de taxis bien organisée pouvait pallier ce déficit. »
Le jeune homme a observé que les automobilistes avaient du mal à circuler librement dans cette ville peu urbanisée, blottie sur la rive droite de la rivière Oubangui, un affluent du puissant fleuve Congo. L’offre du transport en commun, d’ordinaire insuffisante, s’était raréfiée.
« Il y avait des rebelles par-ci, par-là. De nombreux blessés et des femmes enceintes ne pouvaient pas être acheminés à l’hôpital. Très peu de voitures circulaient. On avait peur de sortir. Je me suis rendu compte qu’une société de taxis bien organisée pouvait pallier ce déficit. Il s’agissait, dans mon esprit, d’avoir des voitures travaillant 24 heures sur 24, avec des chauffeurs suffisamment courageux pour s’investir dans le déplacement des personnes les plus vulnérables, malgré la tension qui persistait dans la ville », explique-t-il.
Le financement, un obstacle majeur
Après l’élaboration de son projet, il restait une inconnue de taille : le financement. Gracien Ndéma ne voulait pas aller frapper à la porte des banques locales, sachant que cela serait peine perdue : le système bancaire centrafricain n’accompagne pas les porteurs de projets. De même, les entrepreneurs ne peuvent pas compter sur un éventuel coup de pouce des pouvoirs publics qui tardent à mettre en place un cadre propice à l’initiative privée.
Après l’élaboration de son projet, il restait une inconnue de taille : le financement.
Les nombreux jeunes munis de projets innovants se heurtent à l’écueil du financement et doivent se montrer créatifs pour trouver des fonds en vue de se lancer dans l’univers de l’entrepreneuriat.
Il a fallu trois ans pour que les choses se matérialisent. C’est ainsi qu’en 2016, la société Facebook Service a été constituée après une série de démarches administratives qui ont coûté près de 750 000 FCFA. Elle s’est insérée dans le secteur du transport banguisois.
Achat à crédit, dettes remboursées
Gracien Ndéma a acheté ses véhicules à crédit auprès de quelques propriétaires privés. Dans un premier temps, il avait contracté une dette de 4 500 000 FCFA pour acquérir des voitures qu’il devait exploiter pleinement pour pouvoir rembourser ses créanciers dans les délais convenus. Le prix d’une voiture d’occasion susceptible d’être utilisée comme taxi à Bangui se situe entre 3 000 000 FCFA et 3 500 000 FCFA. Ce qui n’est pas donné dans une ville où le pouvoir d’achat de la majorité de la population est faible.
« Je n’ai plus de dettes. Tout a été remboursé à temps. Je me suis résolu à travailler dur pour m’acquitter de mes engagements. Je paie les impôts et les taxes qui sont exigés. Je suis en règle avec l’administration fiscale », affirme-t-il.
« Je n’ai plus de dettes. Tout a été remboursé à temps. Je me suis résolu à travailler dur pour m’acquitter de mes engagements.
Le parc automobile de son entreprise se compose de 6 voitures de marque Nissan Almera. Facebook Service emploie des chauffeurs qui se relaient, de 6 heures à 18 heures et de 18 heures à 6 heures. Le personnel est constitué de 13 chauffeurs dont un remplaçant auquel l’entreprise a recours en cas d’indisponibilité d’un titulaire. Quatre de ces six voitures sont peintes en jaune – la couleur du taxi banguisois. Les deux autres véhicules servent de voitures de transport avec chauffeur. La mécanique semble bien huilée.
Dans une ville où la règle est le taxi collectif, qui coûte 150 F CFA par tête, et l’exception, le taxi individuel à 1000 FCFA la course, Facebook Service facture la sienne à au moins 2 000 FCFA.
A Bangui, un chauffeur de taxi qui exploite une voiture ne lui appartenant pas est tenu de verser une recette journalière de 15 000 FCFA au propriétaire du véhicule. En général, ces automobilistes, issus de milieux défavorisés, apprennent à conduire sur le tas. Leur salaire mensuel, fixé à 45 000 FCFA, correspond approximativement à un dixième du montant global qu’ils remettent au patron chaque mois. Dans cet environnement concurrentiel, les chauffeurs de Facebook Service sont mieux lotis : chacun d’eux gagne 75 000 FCFA.
Entreprise prospère
Petit à petit, l’oiseau fait son nid. Après des mois de tâtonnements, de balbutiements et de réajustements, Facebook Service est devenue une entreprise prospère, connue d’une certaine élite, notamment dans les cercles des expatriés et des organisations humanitaires qui sont omniprésentes dans cette ville à l’abandon, où l’Etat semble quelque peu en retrait. Ndéma, père de deux enfants, arrive à subvenir aux besoins de sa famille et à mettre chaque mois des fonds de côté, dans la perspective de nouveaux investissements.
Après des mois de tâtonnements, de balbutiements et de réajustements, Facebook Service est devenue une entreprise prospère
Les cadres qui traînent dans les restaurants du centre-ville jusque tard dans la soirée sont parfois obligés de recourir aux services de cette société dont les taxis sont réputés sûrs. Pour cela, il suffit de former son numéro de téléphone avant de tomber sur… Gracien Ndema.
Une situation qui ne devrait pas s’éterniser. Gracien Ndéma envisage, en effet, d’introduire quelques innovations, d’étendre et de diversifier ses activités. Dans cette optique, il compte se doter d’un standard qui prendrait les appels à des heures indues.
Il s’agit, pour lui, de recruter au moins une personne dévouée qui accepterait de faire ce travail à partir de minuit jusqu’au matin. Ce qui lui permettrait d’avoir un cycle de sommeil à peu près normal, au lieu d’être réveillé au beau milieu de la nuit par un client qui souhaite réserver un taxi.
Ce jeune entrepreneur, qui n’a pour tout diplôme qu’un simple bac, réfléchit à l’acquisition d’ambulances. Les ambulanciers constituent une espèce rare dans l’agglomération banguisoise dont la population est estimée à un peu plus d’un million d’âmes.