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mardi 19 mars 2024
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RDC. Arthur Z’ahidi Ngoma : quatre ans déjà

Il y a quatre ans, le 5 octobre 2016, disparaissait, à Paris, Arthur Z’ahidi Ngoma, ancien vice-président de la République démocratique du Congo, ancien fonctionnaire de l’Unesco et fondateur des Forces du Futur. Arthur Malu-Malu, qui l’a bien connu, retrace le parcours de cet homme politique qui était, à plusieurs égards, nettement différent des autres. 

Né à Kalima, dans le Maniema, le 18 septembre 1947, Arthur Z’ahidi Ngoma a poussé son dernier soupir le 5 octobre 2016, en France où il avait effectué une partie de son parcours professionnel, notamment à l’Unesco.

Ce brillant, jovial et avenant intellectuel faisait partie des étudiants de l’université Lovanium (actuelle université de Kinshasa) arrêtés en 1969. Le pays est alors dirigé d’une main de fer par Joseph-Désiré Mobutu qui cherche à asseoir son pouvoir conquis au détriment de Joseph Kasa-Vubu, le tout premier président du Congo indépendant, lors d’un coup d’État sans effusion de sang, en novembre 1965. Le virus de la contestation se répand sur le campus. Le pouvoir réprime les manifestations étudiantes qui se tiennent notamment en protestation contre les dérives du système. La police n’hésite pas à tirer dans le tas, faisant des dizaines de morts.

Ce brillant, jovial et avenant intellectuel faisait partie des étudiants de l’université Lovanium (actuelle université de Kinshasa) arrêtés en 1969.

Nombre de ces étudiants, qui ont subi des traitements dégradants en détention, dans des cellules de fortune de l’actuel camp Kokolo, arrivent à s’évader. C’est ainsi qu’Arthur Z’ahidi Ngoma se retrouve en France où il reprend ses études et se marie avec une Française. Les compteurs sont remis à zéro. Une licence en droit à l’université d’Orléans, puis, plus tard, un doctorat en droit à l’université de Paris 1 (Panthéon – Sorbonne) couronnent une remarquable trajectoire académique parsemée de petits boulots qu’il effectue pour financer ses études.

Conférence nationale souveraine

Il fait son apparition sur la scène politique nationale lors de la conférence nationale, qui se déroule à Kinshasa, au début des années 1990. Les délégués venus de toutes les provinces sont dans la capitale pour disséquer le passé, depuis l’indépendance, et proposer des solutions pour que le pays assure son décollage économique. L’exercice est d’autant plus intéressant que lors du discours d’ouverture des travaux de cette conférence où la parole se libère, le premier ministre Mulumba Lukoji reconnaît, sans mettre de gants, que « le bilan est globalement négatif ».

Il fait son apparition sur la scène politique nationale lors de la conférence nationale, qui se déroule à Kinshasa, au début des années 1990.

Arthur Z’ahidi Ngoma tente de conquérir, à deux reprises, le poste de premier ministre de la transition. En vain. Le jeu des alliances ne lui est pas favorable. Dans l’arène politique, tous les coups sont permis, toutes les trahisons envisageables et nombre d’acteurs retournent leur veste au gré de l’évolution des enjeux. Ce qui importe, à leurs yeux, est la sauvegarde de leurs propres intérêts immédiats.

Fort de toutes ces expériences amères, il crée son propre parti politique, Forces du Futur, en 1994.

Fort de toutes ces expériences amères, il crée son propre parti politique, Forces du Futur, en 1994. Après le renversement du maréchal Mobutu, en mai 1997, par Laurent-Désiré Kabila à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), un mouvement rebelle hétéroclite comptant dans ses rangs des enfants soldats ainsi que des troupes rwandaises et ougandaises, Arthur Z’ahidi Ngoma joint sa voix à celles qui dénoncent, comme le regretté Etienne Tshisekedi, figure emblématique de l’opposition, la présence d’armées étrangères sur le sol congolais. Il se montre virulent à l’endroit de Laurent Désiré-Kabila, le successeur de Mobutu. Les deux hommes divergent sur les méthodes à appliquer pour sortir le pays de l’ornière. Leurs visions paraissent diamétralement opposées et irréconciliables.

Forces du Futur, arrestation et emprisonnement

Aux yeux de Laurent-Désiré Kabila, qui tarde à couper le cordon ombilical avec Kigali, Arthur Z’ahidi Ngoma est un homme à surveiller de près, comme le lait sur le feu. Celui qui gouverne par décret, après avoir abrogé la Constitution et s’être arrogé des pouvoirs étendus, glisse peu à peu sur une pente autoritaire. C’est la porte ouverte à toutes les dérives pour ce « libérateur » obnubilé par ses nouvelles fonctions qu’il exerce sans le moindre contre-pouvoir susceptible de tempérer ses ardeurs.

Aux yeux de Laurent-Désiré Kabila, qui tarde à couper le cordon ombilical avec Kigali, Arthur Z’ahidi Ngoma est un homme à surveiller de près, comme le lait sur le feu.

Arthur Z’ahidi Ngoma est arrêté en novembre 1997, après avoir organisé des assises des Forces du Futur sur le thème « Au seuil du 3ème millénaire, ensemble pour sauver notre pays » et au cours desquelles son  discours sur « l’occupation » de la RDC par le Rwanda se durcit.

Ses conditions de détention dans la prison de Makala, le principal établissement pénitentiaire de la capitale, sont rudes. Privé de liberté pendant trois mois à Kinshasa, il est transféré dans une prison de haute sécurité à Bulowo, à Likasi, dans l’ex-Katanga (sud-est). Il y est incarcéré en compagnie notamment de Joseph Olenghankoy, qui passe pour l’un des opposants les plus critiques, et du commandant Anselme Masasu Nindaga, un militaire qui a accompagné Laurent-Désiré Kabila lors de la « guerre de libération » téléguidée par Kigali.

Après une infructueuse tentative d’évasion, Arthur Z’ahidi Ngoma est rattrapé. Apparaît alors à la télévision un homme méconnaissable, amaigri et à la voix chevrotante qui traîne une barbe de plusieurs jours et des cheveux hirsutes. Ces images insoutenables créent la stupeur et, dans une atmosphère d’indignation généralisée, des voix s’élèvent pour réclamer sa libération immédiate.

Ces images insoutenables créent la stupeur et, dans une atmosphère d’indignation généralisée, des voix s’élèvent pour réclamer sa libération immédiate.

A l’issue d’un simulacre de procès devant la Cour d’ordre militaire, il est condamné à un an de servitude pénale avec sursis, alors que le ministère public avait requis la peine de mort.

Son état de santé se détériore à une vitesse inouïe. L’Unesco tente discrètement d’obtenir son évacuation sanitaire, sans succès. Cette agence de l’ONU suspend ses activités en République démocratique du Congo jusqu’à la libération de son ancien fonctionnaire. De son côté, l’Union européenne exprime ses vives préoccupations. Les autorités congolaises, qui voulaient faire le dos rond, cèdent aux pressions et permettent à Arthur Z’ahidi Ngoma de se rendre en France en mai 1998, pour recevoir les soins nécessités par l’inquiétante dégradation de son état de santé.

Les autorités congolaises, qui voulaient faire le dos rond, cèdent aux pressions et permettent à Arthur Z’ahidi Ngoma de se rendre en France en mai 1998, pour recevoir les soins nécessités par l’inquiétante dégradation de son état de santé.

Dirigeant du RCD

Après avoir disparu des radars, il réapparaît dans les montagnes du Kivu où s’est formé le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), un autre mouvement rebelle soutenu par le Rwanda. Il rejoint l’équipe dirigeante de cette rébellion déterminée à renverser Laurent-Désiré Kabila. Arthur Z’ahidi Ngoma en devient le porte-parole avant d’en prendre la tête.

Comment un fervent défenseur du « camp de la patrie » a-t-il pu accepter de diriger un mouvement créé avec la bénédiction de Kigali qui ne fait pas mystère de ses ambitions régionales ? Cet épisode illustre les contradictions d’un homme doté d’énormes qualités, qui avait pourtant de solides convictions, des principes et des valeurs. Un homme qui avait aussi ses faiblesses, comme tout être humain, mais qui n’avait jamais placé l’argent au centre de sa vie.

Il ne reste pas longtemps à la tête du RCD. Excédé, il claque la porte en février 1999, après de profonds désaccords avec certains de ses collègues au sein du mouvement rebelle qui ne correspond pas à l’idée qu’il se fait du combat politique.

« Je ne pouvais pas accepter que tout se décide à Kigali. C’est pour cette raison que j’ai quitté le RCD », a-t-il lâché un jour, dans un hôtel parisien.  

« Je ne pouvais pas accepter que tout se décide à Kigali. C’est pour cette raison que j’ai quitté le RCD », a-t-il lâché un jour, dans un hôtel parisien. 

Son départ survient également après que le RCD a échoué à prendre Kinshasa. Les rebelles s’approchaient de la capitale après s’être emparés du site stratégique d’Inga. Ils ont été défaits et chassés du Kongo-Central (ouest) par des soldats angolais venus à la rescousse des forces gouvernementales congolaises démotivées, désorganisées et sous-équipées. Le RCD avait tout de même procédé, depuis le Kongo-Central, à des coupures d’électricité à Kinshasa, la capitale qui était en partie alimentée par l’électricité générée par les barrages d’Inga. 

Retour à Kinshasa

Arthur Z’ahidi Ngoma rentre à Kinshasa en avril 2002. Entre-temps, le fauteuil de Laurent-Désiré, assassiné en janvier 2001, est occupé par Joseph Kabila. Fils de Laurent-Désiré Kabila et ancien chef d’état-major des forces terrestres, Joseph Kabila, qui n’a pas de compétences particulières, est désigné comme le successeur de l’ex-dirigeant de l’AFDL, lors d’une réunion de proches collaborateurs de Laurent-Désiré Kabila.

Ensuite, Z’ahidi Ngoma met en place le Regroupement de l’opposition congolaise (ROC), une coalition comptant une quinzaine de formations. Il prône le dialogue au sein de la classe politique congolaise pour une hiérarchisation commune des priorités liées aux défis du développement que le pays est appelé à relever.

Il devient l’un des quatre vice-présidents du pays (avec Azarias Ruberwa, Abdoulaye Yerodia et Jean-Pierre Bemba) à l’issue des pourparlers de Pretoria qui débouchent sur la mise en place de cette « formule » baroque communément appelée 1+4.

Il devient l’un des quatre vice-présidents du pays (avec Azarias Ruberwa, Abdoulaye Yerodia et Jean-Pierre Bemba) à l’issue des pourparlers de Pretoria qui débouchent sur la mise en place de cette « formule » baroque communément appelée 1+4. En tant que tel, il signe « l’accord de Mbudi » qui prévoit une substantielle revalorisation des salaires des fonctionnaires. Mais son application se fait toujours attendre plus de 15 ans plus tard.

Après l’élection présidentielle controversée de 2006 remportée, sur fond de violences, par Joseph Kabila, et l’adoption d’une nouvelle Constitution, les quatre vice-présidences disparaissent de cette singulière configuration politique et Arthur Z’ahidi Ngoma retrouve son rôle de vigie de la démocrate en tant qu’opposant et sa liberté de ton.

Il ne cache pas sa déception quand il observe la tournure que prennent les événements dans le pays où la pauvreté gagne du terrain, les gigantesques scandales financiers se multiplient, la corruption atteint des niveaux insoupçonnables en toute impunité, alors que la justice aux ordres fait semblant de ne rien voir. La RDC se transforme en un terrain de jeu pour plusieurs dizaines de groupes armés tant nationaux qu’étrangers.

Il ne cache pas sa déception quand il observe la tournure que prennent les événements dans le pays où la pauvreté gagne du terrain, les gigantesques scandales financiers se multiplient, la corruption atteint des niveaux insoupçonnables en toute impunité

Lutte contre la maladie

Arthur Z’ahidi Ngoma passe les dernières années de sa vie à lutter contre le mal qui le ronge insidieusement et graduellement. Ses journées sont rythmées par des quintes de toux. Il abandonne le cigare, perd du poids et les hospitalisations se succèdent, en Afrique du sud et en France.

En Afrique du Sud, des médecins décèlent les traces d’un puissant poison dans son corps. Il ne sait pas qui est l’auteur de ce forfait, mais une foule de questions se bouscule et s’entrechoque dans sa tête. Il se résout à ne manger que les plats préparés par des personnes triées sur le volet. Il est sûr que celles-ci ne peuvent pas le trahir. Il lui arrive d’aller dans des restaurants huppés de la capitale, après s’être entouré d’un luxe de précautions. Cet amateur de bonnes bouteilles et de bonnes tables avait ses habitudes à La Piscine, un restaurant grec situé près de l’immeuble de l’Onatra, un bâtiment imposant situé dans la commune de la Gombe.

En Afrique du Sud, des médecins décèlent les traces d’un puissant poison dans son corps. Il ne sait pas qui est l’auteur de ce forfait, mais une foule de questions se bouscule et s’entrechoque dans sa tête.

La mort l’a emporté en France où il était hospitalisé une dernière fois. Sur son certificat de décès, la cause est « AVC massif ». Ceux qui l’ont connu dans ses moments de doutes, de questionnements et de méditations savent toutefois qu’il n’était plus tout à fait le même homme depuis qu’il a su qu’il avait été empoisonné.

Cet homme politique profondément intègre a eu droit à des obsèques dignes organisées par l’Etat. Sans chercher à s’attirer la lumière, il produisait des idées lumineuses pour la RDC.

Cet homme politique profondément intègre a eu droit à des obsèques dignes, organisées par l’État. Sans chercher à s’attirer la lumière, il produisait des idées lumineuses pour la RDC. La flamme des Forces du Futur ne s’est pas éteinte pour autant. Solange, l’une de ses filles, ex-vice-ministre de l’économie, a pris le relais et s’évertue à bâtir une structure dotée d’un véritable projet national. Les trois autres enfants de l’ex-vice-président, dont deux vivent en France, ne semblent pas s’intéresser à la politique congolaise, avec son cortège de crimes, d’intrigues et de coups tordus. L’un d’entre eux, Olivier, possède une chaîne de télévision privée à Kinshasa, Couleurs Télévision, dont son père ne s’est jamais servi pour améliorer son image. Tous vivent simplement, à l’image de leur père.

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