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samedi 18 mai 2024
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L’héritage africain de la Colombie

La Colombie est située au nord-ouest de l’Amérique latine. Avant l’arrivée des Espagnols, son territoire était peuplé par des communautés amérindiennes, dont les Muiscas (ou Chibchas),  les plus influentes, les Quimbayas et les Taironas.  À partir de la fin du XVème siècle, la région est colonisée par l’Espagne qui lui donne le nom de Nouvelle Grenade. La colonisation s’accompagne de massacres de nombreux Indiens. Pour les remplacer, des esclaves noirs sont acheminés d’Afrique pour servir de main d’œuvre dans les mines d’or de la région de Choco et dans les plantations.

Très rapidement, des révoltes éclatent et de nombreux esclaves s’enfuient et se réfugient dans des villages fortifiés appelés Palenques, qui permettront aux Afro-descendants de préserver une grande partie de leur culture pendant plusieurs siècles.

Le cinéaste congolais Wilfrid Massamba, fondateur du Quibdo African Film Festival (QAFF), nous fait découvrir ce patrimoine africain toujours vivant et très défendu par la communauté afro-colombienne.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Makanisi : À l’époque de la colonisation espagnole, quel était le port d’entrée des esclaves en Colombie ?

Wilfrid Massamba, fondateur du QAFF ©QAFF

Wilfrid Massamba: Le port d’entrée des esclaves était Carthagène des Indes, situé sur la côte caribéenne, dans le nord du pays. Les Espagnols, qui contrôlaient une grande partie de l’Amérique latine, achetaient les esclaves noirs à des intermédiaires qui, eux, organisaient la traite en Afrique.

Depuis Carthagène, les esclaves étaient acheminés non seulement vers l’actuelle Colombie, mais aussi vers le Pérou et l’Argentine, deux pays qui abritaient le plus grand nombre d’esclaves de l’Amérique hispanophone, ainsi que vers l’Uruguay et le Paraguay. La Colombie et le Brésil ont été les deux grands pôles de concentration des esclaves noirs de toute l’Amérique latine.

Lire aussi : QAFF, un pont cinématographique entre la Colombie, l’Afrique et les Afro-descendants. https://www.makanisi.org/qaff-un-pont-cinematographique-entre-la-colombie-lafrique-et-les-afro-descendants/

Comment les populations d’ascendance africaine se définissent-elles ?

Les Afro-descendants se définissent eux-mêmes de plusieurs manières : Afro-descendants, Afro-colombiens, Negros (Noirs), Raizales (raizal c’est-à-dire qui vient de l’Ile de San Andrés y Providencia, située dans la mer des Caraïbes) ou Palenqueros.

Palenquero vient de Palenque, nom donné à des villages fortifiés, fondés par des esclaves fugitifs.

D’où vient le terme de Palenquero ?

Palenquero vient de Palenque, nom donné à des villages fortifiés, fondés par des esclaves fugitifs. C’est à partir du XVIe siècle qu’ont éclaté les rébellions et les fuites d’esclaves  et qu’ont été créés les premiers palenques où se sont réfugiés, pendant plusieurs siècles, les esclaves « marrons ». Le plus célèbre d’entre eux est Palenque de San Basilio, situé au sud de Carthagène dans les contreforts des Montes de María, fondé par Benkos Bohio, leader d’un mouvement d’émancipation. Son patrimoine linguistique et musical lui a valu d’être proclamé « chef-d’oeuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité́ » par l’Unesco en 2005 et inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008.

Le plus célèbre est Palenque de San Basilio, situé au sud de Carthagène dans les contreforts des Monts de María, fondé par Benkos Bohio, leader d’un mouvement d’émancipation

À combien d’individus les Afro-colombiens sont-ils estimés et où est le cœur africain de la Colombie ?

On les estime entre 10 % et 12 % de la population colombienne.  La communauté afro-colombienne est principalement établie le long de la côte du Pacifique, particulièrement dans les départements de Choco (Quibdo), de Valle del Cauca, de Bolívar, d’Antioquia et de Nariño, ainsi que le long de la côte des Caraïbes où elle est toutefois moins nombreuse.

On estime les Afro-colombiens entre 10 % et 12 % de la population colombienne.   

Comment sont les rapports entre les Afro-colombiens, les Amérindiens et le communauté blanche et métissée ?

Le pouvoir politique est détenu par l’élite blanche depuis très longtemps. La plus forte discrimination touche les Améridiens, qui, malgré quelques avancées, sont encore considérés comme étant au bas de l’échelle sociale. Les Afro-Colombiens font également l’objet de discrimination sociale et économique, mais de manière moins marquée. Cette différence résulte des luttes qu’ont menées les esclaves pour se libérer. Les deux communautés, qui ont été marginalisées et discriminées, se sont alliées et entraidées à certains moments de l’histoire du pays. Elles ont vécu en bon voisinage sans pour autant se mélanger. La Constitution politique de 1991 a apporté des changements importants.

La Constitution politique de Colombie de 1991 reconnaît trois racines à la nation colombienne dont sa racine africaine, ce qui est une nouveauté.

Quels sont ces changements ?

La Constitution politique de la Colombie de 1991 reconnaît trois racines à la nation colombienne dont sa racine africaine, ce qui est une nouveauté. La pluri-ethnicité est ainsi reconnue et les communautés noires sont institutionnellement considérées comme un groupe ethnique doté de droits territoriaux et culturels spécifiques par l’article transitoire 55. L’article 10 de cette Constitution précise par ailleurs que « les langues et dialectes des groupes ethniques ont rang de langues officielles sur leurs territoires et que l’enseignement dispensé dans les communautés qui ont leurs propres traditions linguistiques sera bilingue ».

Lire aussi : Deux expositions sur les figures de la lutte contre l’esclavage au Panthéon.https://www.makanisi.org/deux-expositions-sur-les-figures-de-la-lutte-contre-lesclavage-au-pantheon/

Par la suite, des avancées sur le plan culturel, économique et politique ont donné davantage de visibilité à la communauté noire. Ce qui a permis à Maria Elena Marquez Mina d’être la première femme noire et la première personne noire élue au poste de vice-présidente de la Colombie, le 7 août 2022. Son élection a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir de la gauche colombienne, ce qui n’était pas arrivé depuis 250 ans. Cette ouverture culturelle et politique, qui s’accentue progressivement, profite aux communautés noires. Néanmoins, les discriminations envers ces communautés persistent dans certaines régions et dans certains milieux.  Il y a donc encore des progrès à faire sur le plan législatif et l’application des lois sur le terrain.

Maria Elena Marquez Mina est la première femme noire et la première personne noire élue au poste de vice-présidente de la Colombie,  le 7 août 2022.

Musiciens afro-colombiens de Palenque de San Basilio ©Unesco

Dans quels domaines, l’héritage africain est-il le plus représenté ?

C’est dans la sphère culturelle et artistique que l’héritage africain est le plus visible et a été le mieux préservé. On peut citer la danse, la musique, l’organisation familiale, certains rites cultuels, comme les enterrements. On retrouve aussi cet héritage dans la nourriture, même s’il y a des différences entre les deux traditions culinaires. Aujourd’hui, la jeunesse afro-colombienne revendique sa culture et son identité africaines et tient à la mettre en avant.

C’est dans la sphère culturelle et artistique que l’héritage africain est le plus visible et a été le mieux préservé.

En tant que Congolais, qu’est-ce qui vous a rappelé la culture Kongo et plus largement africaine en Colombie ?

Ce sont surtout dans les rituels funéraires que j’ai retrouvé notre culture, avec l’organisation des veillées (matanga), qui peuvent durer plus d’une semaine et s’accompagnent de séances de pleurs mais aussi de danses, l’arrivée du corps, le rassemblement de la famille, le soutien des voisins et autres habitants. Dans la musique traditionnelle, on retrouve aussi les chants des femmes et les percussions, comme le balafon et le marimba, qui viennent du Congo et n’ont pas été remplacés par d’autres instruments. Dans la musique moderne, la rumba et le ndombolo ou le soukous, appelé champeta en Colombie, sont largement pratiqués, comme au Congo.

Ce sont surtout dans les rituels funéraires que j’ai retrouvé notre culture, avec l’organisation des veillées (matanga), qui peuvent durer plus d’une semaine et s’accompagnent de séances de pleurs mais aussi de danses

Quels sont les personnages de la période de l’esclavage qui sont les plus emblématiques  ?

Le personnage le plus célèbre de cette période est Benkos Bioho, qui symbolise la lutte contre l’esclavage et la libération du peuple noir du joug espagnol.

Le personnage le plus célèbre de cette période est Benkos Bioho, qui symbolise la lutte contre l’esclavage et la libération du peuple noir du joug espagnol.

De quelle manière cette lutte pour la liberté et cet esprit combatif ont-t-ils marqué le peuple afro-colombien ?

Les Afro-colombiens sont en général très fiers de leur origine et de leur héritage africain noir. Mais c’est surtout la population noire de Palenque de San Basilio, qui est particulièrement fière de ce patrimoine et qui revendique la lutte contre l’esclavage et le joug espagnol, dont Benkos est l’un des grands symboles.  

En revanche, l’héritage noir est beaucoup moins mis en avant à Carthagène, une ville très métissée où domine la minorité blanche.

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