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mardi 23 avril 2024
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RDC. Dr J-J Muyembe : «Ebola n’est plus incurable»

Le docteur Jean-Jacques Muyembe est le directeur de l’Institut national de recherche biomédicale de Kinshasa et, depuis deux mois, le coordonnateur de la cellule de lutte contre l’épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola qui s’est déclarée dans l’est de la RDC, en août 2018. Ce virologue, co-découvreur du virus Ebola, est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux d’Ebola qui affecte cycliquement la RDC depuis 1976. Il fait le point pour Makanisi sur la situation actuelle de l’épidémie en RDC.

Propos recueillis par Arthur Malu-Malu.

Quel bilan peut-on établir depuis l’apparition du virus dans l’est de la RDC ?

JJ Muyembe : Au total, cette épidémie a fait plus de 2000 morts. Et près de 1500 personnes ont été guéries. Au total, trois provinces ont été affectées : le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri. Les choses se sont nettement améliorées à Beni, Goma, Butembo et Mangina… Bref, dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. La transmission est quasiment finie, sauf en Ituri. Globalement, l’épidémie est en régression. Nous sommes passés de 90 cas par semaine à une vingtaine. C’est donc 1 à 3 cas par jour. Les cas se concentrent actuellement dans l’Ituri. Il est arrivé que le Nord-Kivu soit réinfecté. Mais cette situation est attribuable aux personnes qui quittent l’Ituri pour se rendre dans la province du Nord-Kivu.

Quelles sont les avancées réalisées sur le plan du traitement ? 

Des recherches cliniques ont été menées avec quatre molécules. Nous sommes arrivés à la fin de cette étape. La conclusion est qu’il y a deux molécules qui marchent très bien. Le MAB 114, la molécule mise au point par l’INRB et les Américains du NIH ; et celle produite par Regeneron, une entreprise de biotechnologie américaine. Ebola n’est plus une maladie incurable. Quand le malade est pris en charge à temps, ses chances de guérison sont de quasiment 100 %.

La fin de l’épidémie serait proche… 

Pour le moment, le virus est coincé dans l’Ituri. Nous allons y mettre le rouleau compresseur pour vacciner au maximum et sensibiliser la population. Le 6 octobre, nous avons enregistré zéro cas. C’est inhabituel. Lorsque nous aurons zéro cas pendant deux semaines d’affilée par exemple, nous pourrons dire que l’épidémie est complètement sous contrôle. A ce stade, l’épidémie est maîtrisée dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Et elle est en train d’être maîtrisée dans l’Ituri.

Le recul du virus est-il dû à la vaccination ?

Non. Ce n’est pas seulement le vaccin. C’est la conjonction de toutes las actions que nous menons. Les actions de surveillance et de mobilisation de la population nous permettent de détecter les cas rapidement. La population est plus réactive. Nous avons amélioré la qualité de nos interventions. De plus en plus de personnes sont conscientes du fait que le virus Ebola existe et qu’il faut l’éviter. En outre, les innovations que nous avons introduites dans la vaccination et les molécules thérapeutiques semblent porter leurs fruits. Le nombre de décès à l’hôpital a fortement diminué. Cette baisse est un bon message envoyé à la population qui se rend compte que si le malade est emmené à l’hôpital à temps, au lieu d’être gardé à la maison, ses chances de guérison sont élevées.

Y a-t-il eu des réticences exprimées par des personnes censées être vaccinées ?

La résistance diminue au fur et à mesure. Dans le Nord-Kivu, la résistance est presque de zéro maintenant. On accepte facilement la vaccination. Dans l’Ituri, il y a encore des poches de résistance. Nous devons travailler durement pour que fin novembre, il y ait zéro cas de résistance.

Qu’en est-il des vaccins utilisés, sur fond de controverse ?

Contrairement à la rumeur, un seul vaccin a été utilisé jusqu’ici. C’est le vaccin de la firme américaine Merck appelé RVSV. Nous nous en servons pour procéder à la vaccination autour des cas. C’est-à-dire que s’il y a un cas positif quelque part, on vaccine l’entourage, les contacts des contacts, etc. C’est cela le principe. D’autre part, un groupe d’experts qui conseille l’OMS en matière de vaccination a, lors de sa réunion du 7 mai 2019, formulé deux recommandations. Ce groupe indépendant a préconisé une baisse de la dose administrée, pour faire face à d’éventuels risques de pénurie, au cas où l’épidémie durerait trop longtemps. Au lieu de donner 1 ml, il faudrait donner 0,5 ml, donc réduire la dose de moitié. C’est ce que nous faisons maintenant sur le terrain. Dans notre jargon, on dit qu’on a ajusté la dose. Le groupe a également recommandé le recours à un deuxième vaccin. La substance produite  par Merck vise un périmètre fixé autour des cas. Ce n’est pas destiné à la vaccination de toute la population. Tandis que le deuxième vaccin serait plus général et inoculable à une plus grande échelle.

Les deux vaccins peuvent-ils se compléter ?

Les deux vaccins sont complémentaires, en effet. S’agissant des spécificités, le premier vaccin est ce qu’on appelle un VSV, c’est à dire que l’agent porteur est un virus de la stomatite vésiculaire ; tandis que le vecteur du vaccin fabriqué par la firme Johnson & Johnson est un adénovirus.

Derrière toutes les polémiques suscitées par ces vaccins, se cachent sûrement de gros intérêts financiers…

Je ne sais pas d’où viendraient ces intérêts financiers. Tous ces vaccins sont gratuits. Notre rôle est de réaliser des tests et d’apporter des réponses aux questions que tout vaccin soulève légitimement. Peut-on l’administrer en toute sécurité ? Peut-on organiser une bonne campagne de vaccination ? Le vaccin protège-t-il ? Et ainsi de suite. La firme n’a rien à voir directement avec cela. Nous sommes un institut de recherche. Nous ne pouvons pas être financé ou corrompu pour donner de faux résultats. Toute une organisation est en place : un comité d’éthique, un comité de régulation, etc.

La polémique entre Médecins Sans Frontière et l’Organisation mondiale de la Santé autour de la question des vaccins n’a pas lieu d’être…

Cette polémique n’a pas lieu d’être. Il y a un problème de communication. Le bon sens recommande qu’on ne lutte pas contre une telle maladie avec un seul vaccin. Que se passerait-il si la firme qui le fabrique faisait faillite ? Et s’il y avait un problème de production ? C’est ainsi qu’on cherche toujours à avoir au moins deux partenaires. Les mauvaises langues répandent des faussetés sur les vaccins. Pour nous, c’est une préparation à divers scénarios. Le vaccin produit par Merck n’est pas utilisé n’importe comment. C’est très encadré. Ce vaccin avait d’abord été utilisé en Guinée. Il est faux de prétendre que les Congolais servent de cobayes.

Les moyens dont vous disposez sont-ils suffisants pour faire face à la situation ? 

Pour le moment, notre comité est entièrement financé par la RDC. Nous attendons les fonds de la Banque mondiale et d’autres partenaires. Nous en sommes à notre quatrième plan stratégique. Nous allons l’évaluer dans les prochains jours. Cette évaluation est effectuée à peu près tous les trois mois.

Quelles sont les conséquences de la décision de l’OMS de décréter qu’Ebola est une urgence sanitaire mondiale ? 

La conscience devient une conscience internationale. Il y a une plus forte mobilisation de fonds dans le cadre de l’aide, pour tenter de circonscrire la maladie et éviter qu’elle ne s’étende et n’affecte les pays voisins. Cette initiative pousse nos partenaires à se mobiliser davantage.

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