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jeudi 18 avril 2024
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RDC. Mise en lumière du patrimoine artistique du Sud-Ouest congolais

Mettre en lumière la part de l’ombre de la création artistique et de l’art de la statuaire du Sud-Ouest congolais (RDC). Tel est l’objet de cette magnifique exposition intitulée « La part de l’ombre, sculptures du Sud-Ouest du Congo », présentée au Musée du Quai Branly à Paris, du 14 décembre 2021 au 10 avril 2022. 

Carte des groupes culturels (Connaissance des arts, Hors série consacré à l’exposition)

C’est au travers de quelque 160 œuvres (masques, statues et autres objets usuels), provenant en majorité du musée royal d’Afrique centrale de Tervuren, situé près de Bruxelles (Belgique), qu’est dévoilée la production artistique, en grande partie méconnue, de cette vaste région située dans la partie sud-ouest de la RDC.   

Ce territoire, dont la majeure partie formait autrefois la province du Bandundu, est entourée au sud par l’Angola, au sud-ouest par la province du Kongo Central, au nord-ouest par le fleuve Congo au nord par l’Équateur et la Tshuapa et à l’est par le Kasaï. À la croisée de différentes aires culturelles, ce Sud-Ouest congolais, tel que défini par les organisateurs de l’exposition, regroupe les provinces actuelles du Kwango, du Kwilu, du Maï-Ndombe et de Kinshasa. Soit quelque 28 millions d’habitants aujourd’hui.

À la croisée de différentes aires culturelles, ce Sud-Ouest congolais, tel que défini par les organisateurs de l’exposition, regroupe les provinces actuelles du Kwango, du Kwilu, du Maï-Ndombe et de Kinshasa

Une diversité culturelle et artistique

L’exposition,  dont le commissaire est Julien Volper, conservateur au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, débute avec une présentation géographique et culturelle de la grande région de l’ex-Bandundu. Ce territoire réunit des groupes culturels à la fois proches et différents, dont l’un des points communs est l’usage de la langue kikongo par ses habitants à l’exception de ceux du Mai-Ndombe. Cette diversité culturelle est reflétée par la variété des sculptures présentées (masques, statuaires et autres objets) pour la plupart méconnues. Car, de cette partie du pays, ce sont principalement les Yaka, les Teke, les Pende ou les Tshokwe, qui sont connus grâce aux nombreuses études et recherches faites sur ces groupes par des chercheurs.

Cette diversité culturelle est reflétée par la variété des sculptures présentées (masques, statuaires et autres objets), pour la plupart méconnues

Pourtant d’autres communautés, aussi riches sur le plan de leur histoire, de leurs activités, de leurs traditions, de leurs rites et de leurs créations artistiques y habitent : les Mbala, les Pindi, les Suku, les Sakata, les Mfunuka, les Tsaam, les Yanzi, les Sakata, les Buma et bien d’autres peuples que l’on découvre à travers leurs œuvres et leurs caractéristiques stylistiques et iconographiques, au cours de l’exposition qui leur particulièrement dédiée.

Le mukanda

Masque Pakasa

La première partie de l’exposition présente des masques, dont certains en lien, profond ou périphérique, avec un rite d’initiation masculine : le mukanda. Ces masques, comme le masque Pakasa, jouaient un rôle protecteur, éloignant les non-initiés de l’espace de l’initiation. Le rituel mukanda, commun à de nombreux peuples du Sud-Ouest congolais et de pays voisins, marquait le passage à l’âge adulte des jeunes garçons âgés de huit à douze ans. Effectué au début de la saison sèche, il débutait par la circoncision et était suivi d’un isolement de trois mois dans un camp en pleine brousse.

Le rituel mukanda, commun à de nombreux peuples du Sud-Ouest congolais et de pays voisins, marquait le passage à l’âge adulte des jeunes garçons âgés de huit à douze ans

Durant cette période de retrait, au cours de laquelle étaient éprouvées les capacités d’endurance et de courage des jeunes garçons, ceux-ci recevaient un apprentissage délivré par des adultes, qui leur dispensaient des savoirs touchant à la sexualité et à l’apprentissage de diverses activités utiles à leur future vie familiale et communautaire.

Le mukanda se terminait par des réjouissances dont des danses et des sorties de masques qui véhiculaient les valeurs communes de la communauté.  Les masques du mukanda étaient dansés par les jeunes initiés ou par les adultes initiés encadrant l’initiation. À l’issue de leur initiation, les jeunes garçons quittaient le camp pour regagner l’espace social du village.

Le masque kwese

Masque Hemba Kwese

Les masques Akishi des Tshokwe jouaient un rôle important dans le mukanda. Le masque Pwo, masque de la femme, pour sa part, faisait le lien entre les circoncis et les mères durant l’initiation. Peu connu, le masque Kwese, appelé hemba, utilisé pendant l’initiation, marchait par duo : un exemplaire considéré comme masculin, surmonté d’une antilope, et un autre considéré comme féminin, non surmonté par une antilope ou surmonté par un autre animal. On retrouvait ce masque chez les Suku, qui était aussi utilisé pour la chasse. Certains masques étaient détruits après l’initiation. D’autres étaient conservés et pouvaient servir à des fins thérapeutiques ou cynégétiques.

La forme, le coloris, la gestuelle ou les motifs d’une statue permettent de cerner sa fonction et son origine.

Appréhender une oeuvre

La seconde partie de l’exposition propose des clefs de lecture pour regarder et comprendre la statuaire du Sud-Ouest congolais. La forme, le coloris, la gestuelle ou les motifs d’une statue permettent de cerner sa fonction et son origine. Ainsi, chez les Hungaan et les Tsong, les statues formant des couples jouaient un rôle spécifique au moment de l’intronisation d’un nouveau chef.  Même rôle joué par les duos/couples des statuettes, appelés pindi, des dirigeants mbala, qui se caractérisaient par une figure masculine (un musicien) et une figure féminine (une maternité). La couleur rouge, un pigment minéral, était utilisée pour couvrir une statue. On retrouve cette couleur dans la statuaire des Yanzi, des Mbala, des Pende et des Hungaan.  De la matière végétale était également travaillée pour faire une sculpture.  

Des accessoires de théâtre

Emumu : statue représentant un lion

La troisième section de l’exposition montre la diversité des usages des statues.  Contrairement à des idées reçues notamment en Occident, la statuaire africaine ne représente pas toujours un ancêtre ou un fétiche, qui était un personnage positif pourvu de pouvoirs effectifs pendant un rite. Certaines statues étaient liées à la chasse ou pouvaient commémorer le souvenir de quelqu’un. D’autres étaient des accessoires chorégraphiques et de théâtre. Elles n’étaient donc ni pourvues de pouvoir ni investies d’une charge rituelle ou religieuse. Tel est le cas de cette statue représentant un lion,  dont les pattes et la crinière sont démontables. « Cet emumu qui relève de la culture Iyembe, est plutôt un accessoire chorégraphique, un accessoire de théâtre. Il participait à une danse qu’on appelait bobongo, qui mettait en scène des chasseurs  », explique Julien Volper.

Certaines statues étaient liées à la chasse ou pouvaient commémorer le souvenir de quelqu’un. D’autres étaient des accessoires chorégraphiques et de théâtre. Elles n’étaient donc ni pourvues de pouvoir ni investies d’une charge rituelle ou religieuse

Des fétiches pour guérir certaines maladies ou lutter contre la sorcellerie

Des statues sont liées à la guérison des maladies ou à l’anti-sorcellerie. Le Khosi (lion) était un fétiche puissant dont la fonction principale était de lutter contre la sorcellerie et les malfaiteurs. Il pouvait fonctionner en duo : il y a des couples de Khosi, dont l’un est un mâle et l’autre une femelle. Certaines statues ont deux têtes accolées, telle la statue de Janus, le Dieu à double visage.

Dans la quatrième partie de l’exposition, sont présentés des objets qui permettent de comprendre certains événements historiques qui ont eu lieu dans le Sud-Ouest congolais, comme la révolte Pende de 1931, et de découvrir l’histoire d’hommes au destin particulier.

le Khosi (lion) étair un fétiche puissant dont la fonction principale était de lutter contre la sorcellerie et les malfaiteurs.

Statue Pindi

Dans cette partie de l’exposition, des statues liées au pouvoir des chefs sont présentées. Certaines pièces étaient destinées à protéger les chefs contre des menaces de toutes sortes, d’autres jouaient un rôle lors des investitures.

Chez les Mbala, des statues Pindi étaient conservées dans une habitation attenante à celle du chef où se trouvaient d’autres attributs de son pouvoir (canne-sceptre, herminette) et des reliques d’ancêtres.

Des objets usuels

À la fin de l’exposition, le visiteur découvre des objets figuratifs, qui ne sont ni des masques, ni des statues. Parmi eux figurent des armes, des outils et des instruments divinatoires, les Galukoshi, qui existaient chez les Pende. « Sortes de bras articulés, pourvus à leur extrémité de têtes sculptées ornées de plumes », décrit Julien Volper, ces objets divinatoires étaient utilisés par les devins. Quand la réponse aux questions posées par le devin à son patient était correcte, la tête se projetait en avant, indiquant une réponse positive. Le devin, dans cette partie du Congo, était un tradipraticien qui devait trouver les causes des problèmes que rencontrait une personne, selon Julien Volper.  

À la fin de l’exposition, le visiteur découvre des objets figuratifs, qui ne sont ni des masques, ni des statues. Parmi eux figurent des armes, des outils et des instruments divinatoires,  les Galukoshi, qui existaient chez les Pende.

On découvre également des sièges, des appui-nuques et des appui-dos, ainsi que des épingles, des peignes en bois et des pendentifs en ivoire sculptés. L’ensemble de ces objets témoignent du rayonnement de la sculpture figurative du Sud-Ouest congolais. Une exposition à ne pas rater.

L’exposition : « La part de l’ombre, sculptures du Sud-Ouest du Congo »

  • Musée quai Branly
  • 37 Quai Jacques Chirac, 75007 Paris
  • Jusqu’au 10 avril 2022
  • Entrée : 12 euros (adulte)

Le livre pour en savoir plus

  • La part de l’ombre, sculptures du sud-ouest du Congo
  • Sous la direction de Julien Volper
  • Édition : Skira
  • 176 pages
  • 35 euros
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