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vendredi 29 mars 2024
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RDC : nouveau gouvernement, nouveau départ ?

Félix Tshisekedi semble désormais bien parti pour entreprendre les réformes qui lui tiennent à cœur. Le président congolais, qui ne disposait pas de majorité parlementaire, a habilement réussi à inverser le rapport de force. Il sort renforcé de cette séquence, après l’installation du nouveau gouvernement formé le 12 avril 2021.

Avec l’investiture par l’Assemblée nationale, le 26 avril, du nouveau gouvernement conduit par le premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, s’est ouverte une nouvelle page du quinquennat de Félix Tshisekedi, entamé en janvier 2019. Jusque-là, le président congolais, élu sur fond de controverse, avait du mal à imposer son style et à dicter son tempo.

Mais la donne a changé : plus rien ne s’oppose désormais à la mise en œuvre des réformes souhaitées par Félix Tshisekedi. Les obstacles qui se dressaient sur son chemin ont été levés après plus de deux ans d’un mandat rythmé par une série de crises politiques, révélatrices de la tension qui prévalait au sein de la coalition FCC-CACH au pouvoir. Le Front commun pour le Congo (FCC) du président sortant Joseph Kabila et le Cap pour le changement (CACH) de son successeur, Félix Tshisekedi, s’étaient mis d’accord pour gouverner ensemble. Cette alliance contre nature portait en elle les germes de sa propre destruction. Par moments, certains ministres issus du FCC donnaient le sentiment d’avoir reçu la consigne de faire échec à toute mesure susceptible de marquer une vraie rupture avec les années Kabila caractérisées par l’impunité.

Les députés restés fidèles à l’ancien président Joseph Kabila sont devenus minoritaires.

Étroite marge de manœuvre

Le cinquième président de la République démocratique du Congo avait une marge de manœuvre étroite. Il ne disposait pas de la majorité dans les deux chambres du Parlement. Ses initiatives se heurtaient régulièrement au refus des parlementaires pro Kabila qui obéissaient au doigt et à l’œil à l’ex-président, qui a été aux manettes entre 2001 et 2019. Joseph Kabila, qui tenait à quitter le pouvoir tout en en conservant les principaux leviers, a été esseulé sur la scène politique. Ses troupes se sont égaillées et une partie d’entre elles a rejoint l’Union sacrée de la nation initiée par Félix Tshisekedi.

Félix Tshisekedi a fait basculer les députés et les sénateurs dans son camp, en les convainquant de le rejoindre pour reconstruire le pays ensemble. Le chef de l’État a réussi son coup de poker : les députés restés fidèles à l’ancien président Joseph Kabila sont devenus minoritaires. C’est ainsi que le premier ministre issu de l’ancienne majorité a été contraint à la démission en janvier 2021, après avoir perdu la confiance de la représentation nationale.

Un gouvernement pléthorique a laissé la place à un gouvernement pléthorique

Nouveau gouvernement

Il a fallu de longues tractations accompagnées de grandes concessions pour que le gouvernement soit formé… près de deux mois après la nomination du premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge. La constitution de l’équipe de cet ancien directeur général de la Gécamines, l’entreprise minière publique, était un exercice compliqué. C’était le résultat d’un savant dosage de considérations politiques et « géopolitiques » (un euphémisme pour dire « ethniques ») dans un pays où le repli communautaire a fait un retour en force ces dernières années.   

Sama Lukonde Kyenge, Premier ministre de la RDC.

Le nouveau gouvernement est composé de 57 membres, à la différence de l’équipe sortante qui en comptait 66. Ce nouveau gouvernement reste toutefois pléthorique, comme le précédent, alors qu’une promesse-phare du président était la mise en place d’une équipe resserrée pour réduire le train de vie de l’État. Du sommet à la base, la société congolaise critique vertement l’usage qui est fait des maigres ressources de l’État. Les finances publiques sont aux abois, mais on n’arrive pas à baisser drastiquement les dépenses publiques, alors que l’État peine à collecter l’impôt. Les détournements de fonds publics, qui sont mis au jour au fil des semaines, et les divers scandales financiers sur lesquels des enquêtes ont été ouvertes, donnent toute la mesure de la tâche de cette nouvelle équipe pour lutter contre les pratiques qui ont pris racine ces dernières années.

Certains ralliés de la vingt-cinquième heure rêvaient d’être récompensés de leur engagement

Les « bleus » à l’honneur

Ce gouvernement fait la part belle aux « bleus » qui en sont à leur première expérience ministérielle : ils occupent près de 80 % des fauteuils. Sama Lukonde Kyenge, 43 ans, a également voulu donner une prime à la jeunesse. Les moins de 45 ans sont très représentés dans ce gouvernement. Et les femmes ont pris 28 % des maroquins. C’est une petite avancée sur le terrain de la parité, mais le compte n’y est pas encore.

Ce nouveau groupe porte la patte de Félix Tshisekedi, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi. Vital Kamerhe, l’ex-directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, a, depuis sa cellule de prison, où il purge une peine de 20 ans pour détournement de fonds publics, donné son feu vert à la participation de son parti, l’Union pour la nation congolaise (UNC). L’UNC a notamment pris le poste de vice-premier ministre, ministre du budget. Félix Tshisekedi n’a pas voulu sanctionner ce parti allié, même si son dirigeant a été rattrapé par la justice.

Félix Tshisekedi avait-il le choix ? Il devait lâcher du lest pour conserver sa fragile majorité parlementaire et des allégeances obtenues parfois par des procédés inavouables. Certains ralliés de la vingt-cinquième heure rêvaient d’être récompensés de leur engagement, s’attendaient à entrer au gouvernement ou à prendre la tête d’entreprises publiques lors de la prochaine vague de nominations.

C’est raté pour les postes ministériels : comme toujours, il y avait beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Il était inimaginable que les députés reconvertis en tshisekedistes de circonstance soient tous gratifiés de juteux postes.

Le malaise était perceptible dans les rangs de l’Union sacrée après l’annonce de la nouvelle équipe

Malaise perceptible

Le malaise était perceptible dans les rangs de l’Union sacrée, après l’annonce de la nouvelle équipe dite des « warriors ». Dans un premier temps, 138 députés mécontents avaient signé une pétition visant à faire chuter le bureau de l’Assemblée nationale pour empêcher l’installation du gouvernement dont le programme devait être approuvé par la représentation nationale avant son entrée en fonction.

Puis, la grogne semblait gagner du terrain, car le nombre de frondeurs est passé en quelques heures à 200. Tout le monde (ou presque) craignait une nouvelle crise provoquée par un mouvement d’humeur de ceux que certains n’ont pas hésité à qualifier de maîtres-chanteurs.

Contre toute attente, 410 sur les 412 députés présents à cette séance ont approuvé le programme présenté par Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge.

Nouvelles rencontres

Il a fallu, d’un côté, de nouvelles rencontres entre Jean-Marc Kabund, premier vice-président de l’Assemblée nationale et dirigeant de l’UDPS, le parti présidentiel, et les boudeurs, et, de l’autre, entre le chef de l’État et ces députés, pour faire retomber la température. Qu’ont-ils obtenu pour rentrer dans le rang ?

L’investiture du nouveau gouvernement a eu lieu le lundi 26 avril. Et contre toute attente, 410 sur les 412 députés présents à cette séance ont approuvé le programme présenté par Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge.

Le coût de ce programme, qui s’étale sur trois ans, est estimé à 36 milliards de dollars.

Programme ambitieux

Le coût de ce programme, qui s’étale sur trois ans, est estimé à 36 milliards de dollars. Il faudra donc mobiliser 12 milliards de dollars chaque année. Le pari n’est pas gagné pour un État dont les recettes dépassent rarement 5 milliards de dollars. Sama Lukonde se veut ambitieux, si on sait que jusque-là le budget était de moins de 7 milliards de dollars.

Encore un chapelet de promesses ? Encore un catalogue de bonnes intentions ? Encore une série de vœux pieux ? Le premier ministre promet d’œuvrer pour une mobilisation optimale des recettes sur le plan national. Il compte également sur les partenaires extérieurs, dont le Fonds monétaire international, pour le financement de son ambitieux programme. La RDC espère bénéficier d’une assistance du FMI d’environ 1,6 milliard de dollars, à l’issue des négociations que les deux parties ont engagées.  

Le chef du gouvernement a mis l’accent sur le renforcement de la sécurité dans le pays. C’est ainsi qu’il a promis de doter les forces armées de tout ce qu’il faut pour vaincre, une bonne fois toutes, les groupes armés qui empoisonnent le quotidien des nombreux villageois dans l’est du pays depuis plusieurs années.

Cible de critiques

Jean-Michel Sama Lukonde n’a pas échappé aux flèches empoisonnées décochées par ses détracteurs. Les critiques les plus virulentes sont venues du camp de Martin Fayulu, l’opposant qui continue à revendiquer la victoire à l’élection présidentielle de décembre 2018. Son programme a été jugé chimérique par les uns et irréalisable par les autres. Les uns et les autres se sont montrés résolument pessimistes quant à la suite des événements dans un contexte où il paraît extrêmement difficile d’engager le débat, dans la sérénité, sur le bilan des 18 ans de Joseph Kabila et des deux ans de Félix Tshisekedi. La charge émotionnelle est trop forte dès qu’on aborde ces sujets hyper sensibles. 

Malgré tout, le nouveau premier ministre a tenu à préciser qu’il n’était pas là pour refaire le monde, mais pour jeter les bases d’une nouvelle gouvernance, sous le regard attentif du chef de l’État.

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