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lundi 25 septembre 2023
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RDC. « Pour faire du bio, l’idéal est d’avoir un système intégré basé sur plusieurs cultures »

Jean Lejoly*, ingénieur agronome tropicaliste de formation, est conseiller de la société Plantation Miluna, dont Jean-Claude Hoolans est l’associé-gérant, qui produit de l’huile de palme, du café, du cacao et du latex. Il s’est confié à Makanisi sur l’agriculture biologique et les conditions idéales pour y parvenir.

Propos recueillis à Kinshasa par Muriel DEVEY MALU-MALU

Makanisi : Quelle est la différence entre agriculture biologique, organique et écologique ?

Jean Lejoly : Les francophones parlent d’agriculture biologique, les anglophones d’agriculture organique et les hispanophones emploient le terme d’agriculture écologique. Quand on parle d’agriculture bio, on fait appel aux micro-organismes du sol (c’est-à-dire la pédo-faune et la pédo-flore) pour minéraliser la matière organique. Les insecticides tuent certes les parasites d’une culture mais aussi tous les organismes du sol. Ce qui n’est pas bon. Faire du bio veut dire qu’on accepte de vivre avec la peste mais en en réduisant l’importance.

Y-a-t-il des solutions bio utilisées dans l’agriculture en RDC ?

JL : Oui. Mais il faut avoir à l’esprit qu’on ne fait pas d’agriculture biologique de manière isolée. Pour faire du bio, l’idéal est d’avoir un système intégré, basé sur plusieurs cultures, ce qui permet d’utiliser les résidus d’une culture pour en fertiliser une autre. C’est un élément important à prendre en compte.
L’objectif est de mettre les plantes dans les meilleures conditions pour réduire les attaques de parasite et de peste. Pour y parvenir, on  va essayer de faire une fumure essentiellement organique, pour ne pas brusquer les plantes et les laisser dans un système de vie où elles prélèvent progressivement leurs besoins en fertilisants.

Pour faire du bio, l’idéal est d’avoir un système intégré, basé sur plusieurs cultures, ce qui permet d’utiliser les résidus d’une culture pour en fertiliser une autre.

Pouvez-vous nous donner des exemples de bio-fertilisants ou de bio-insecticides utilisées en agriculture ?

JL : Le palmier à huile donne tout son potentiel quand il est intégré avec une gestion énergétique et de recyclage de tous les résidus. Quand on extrait l’huile de palme, 25 % des résidus solides provenant des régimes sont constitués de rafles, très riches en potassium, qui est la substance la plus exportée du champ. C’est elle qui va manquer le plus. Sur une année, il y a pratiquement un kilo de potassium par palmier qui est exporté du sol. Il faut donc rapporter la potasse dans la palmeraie pour maintenir une bonne production. Plus généralement, on recycle toutes les matières organiques (potassium, magnésium et calcium) contenues dans les déchets. L’huile de palme ne contient que du carbone, de l’oxygène et de l’hydrogène. Tous les éléments chimiques contenus dans les déchets doivent absolument retourner dans la plantation.

Tous les éléments chimiques contenus dans les déchets doivent absolument retourner dans la plantation.

Cela veut dire qu’il faut restituer à la plantation ce que cette dernière a produit ?

JL : Oui, on ne doit pas utiliser de fertilisants chimiques. Dans les résidus de la palmeraie, il y a aussi des fibres, qui structurent le péricarpe de la noix. Quand on presse les noix,  outre l’huile, on obtient chaque jour plusieurs tonnes de fibres qui contiennent des substances chimiques  que l’on va reverser dans les champs. Ces fibres, qui sont très courtes, sont utilisées comme paillage dans diverses cultures, dans les pépinières, les potagers,  les plantations de café ou les vergers. Elles apportent une couverture de matières organiques qui évite les mauvaises herbes. On dispose cette paille en anneau d’un mètre de rayon autour des troncs d’arbres.  Une couche de 5 cm de paillage bloque la croissance des mauvaises herbes pendant 8 à 12 mois. Le paillage est un élément important de gestion du sol. Quand il pleut, l’eau reste entre la paille et le sol, entretenant ainsi une humidité qui  permet aux micro-organismes de se développer.  

Quels sont les autres résidus organiques dont on peut faire usage ?

JL : Tout comme les fibres, les coques de cacao peuvent servir de combustibles pour faire fonctionner les chaudières. Elles sont transformées en énergie électrique par cogénération, ce qui permettra de produire de la vapeur pour faire cuire les régimes de palmier, et de la chaleur  pour sécher le café et le cacao. Les cendres des rafles brûlées sont utilisées pour fertiliser le sol. Le péricarpe, c’est-à-dire l’enveloppe de la  cabosse de cacao, très riche en éléments organiques, est également restitué au sol. Aujourd’hui, on décabosse sur place.

les coques de cacao peuvent servir de combustibles pour faire fonctionner les chaudières.

D’où l’importance du système intégré dont vous parliez plus haut !

JL : Oui, mais les avantages du système intégré ne se limitent pas au recyclage des résidus. Ils concernent aussi la logistique. Dans un système intégré, toute l’intendance est valorisée, puisqu’on utilise les camions et les tracteurs pour toutes les cultures. Ainsi le matériel roulant est utilisé de manière optimale. Un système intégré permet de faire des économies de toutes sortes, tant pour la maintenance et l’utilisation du matériel que pour le recyclage des déchets organiques. Tout cela démontre que l’agriculture biologique, organique et écologique n’est possible que dans un système intégré.

Sur combien de cultures doit reposer un système intégré pour être efficace ?

JL : À Miluna-Gwaka, notre système intégré est basé sur quatre cultures pérennes : le palmier à huile, le café, le cacao et l’hévéa. L’hévéa est aussi utilisé pour son bois. Après 50 ans, il ne produit plus beaucoup de latex. Son bois sert à alimenter les fumigatoires pour sécher les feuilles de latex. Les cendres de bois permettent de faire du savon ou de fertiliser les caféiers et les cacaoyers.

Mais, dans un système intégré, il y a une cinquième filière très importante qui est l’élevage du bétail. À Gwaka, nous avons un cheptel de 300 têtes, en majorité des bovins. La viande apporte des protéines animales à nos employés tandis que le fumier, qui est un déchet très précieux et très noble, est réemployé dans les plantations de cacao et de café au moins une fois par an.

dans un système intégré, il y a une cinquième filière très importante qui est l’élevage du bétail.

Peut-on dire que les grandes plantations de palmier à huile sont plus limitées que les systèmes intégrés en termes de recyclage des résidus ?

JL : Oui, certainement. D’autres éléments sont également à souligner. Sur les 20 000 hectares que compte Miluna-Gwaka, on a conservé 5 000 hectares de forêts denses pour les services éco-systémiques qu’elles rendent, dont les chenilles. Les jachères des vieilles plantations d’hévéa sont réutilisées pour les nouvelles palmeraies. Miluna-Gwaka est un exemple quasiment unique en RDC où les quatre cultures pérennes, la spéculation bovine et la conservation de la forêt sont réunies en un même endroit. Elle constitue un petit parc agro-industriel fonctionnel, qui a une valeur  pédagogique. Ce parc démontre à l’échelle de la RDC que l’on peut faire de l’agriculture de manière durable, même avec le palmier à huile, tout en maintenant la diversité forestière.

Miluna-Gwaka est un exemple quasiment unique en RDC où les quatre cultures pérennes, la spéculation bovine et la conservation de la forêt sont réunies en un même endroit.

Dans votre système intégré d’agriculture durable, diversité forestière se conjugue donc avec conservation de la forêt.

JL : À Miluna, on met en place des principes d’agriculture durable mais aussi de conservation de la forêt, ce qui n’existe pas vraiment ailleurs. Dans un système de production durable, chaque unité de culture doit réserver 20 % de son territoire à la conservation de la bio-diversité initiale. Dans une optique d’agro-écotourisme, que nous souhaitons développer, les touristes pourront visiter des plantations agro-industrielles mais aussi la forêt.

*Jean Lejoly, diplômé de la faculté des Sciences agronomiques de Gembloux, rattachée aujourd’hui à l’université de Liège, s’est spécialisé dans quatre cultures pérennes (palmier à huile, hévéa, cacao, café). Il a été professeur à l’université libre de Bruxelles pendant vingt-cinq ans et a enseigné la botanique et l’agriculture tropicale. Retraité, il vit en RDC depuis dix ans où il se partage entre la plantation Gwaka-Miluna et Kinshasa.

Encadré : La plantation Gwaka-Miluna 

Ex-propriété de Plantations et Huileries du Congo (PHC), une filiale d’Unilever, rachetée par Jean-Claude Hoolans en 2007, la plantation Gwaka-Miluna, d’une superficie de plus de 25 000 ha, est située dans la province du Sud-Ubangi, territoire de Budjala, à 100 km au sud-est de la ville de Gemena, et à 18 km au nord-ouest d’Akula, petit port sur la rivière Mongala. Outre quelque 5 000 ha de forêts primaires, la concession abrite, dans les zones de jachère, 500 ha de cacaoyers, 50 ha de café robusta, 4 800 ha d’hévéa et 1 600 ha de palmier à huile,. Elle emploie environ 1 500 travailleurs. MDMM

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