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samedi 27 juillet 2024
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Une fenêtre sur la spiritualité Kota au Musée d’Ethnographie de Genève

Dans le cadre de l’exposition « Mémoires : Genève dans le monde colonial », qui se tient au Musée d’Ethnographie de Genève (MEG) depuis le 3 mai 2024 jusqu’au 5 janvier 2025, une place a été faite à la spiritualité Kota à travers une douzaine d’objets, dont les célèbres gardiens de reliquaires. Cette vitrine Kota a été entièrement conçue par deux Congolais : Jean Lignongo, docteur en géographie (Université Lyon II) et Jean-Didier Ekori, docteur en sciences politiques (Université de Dijon).

Jean Lignongo effectue depuis sept ans des recherches sur la culture des peuples du Bassin du Congo et particulièrement sur les Kota du Congo et du Gabon. Dans cet entretien, il livre quelques clefs sur les fondements de la spiritualité kota et ses modes d’expression.

Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu

Makanisi : Où se situe l’aire géographique et culturelle du groupe Kota en Afrique centrale ?

Jean Lignongo : L’aire culturelle et géographique des Kota se situe dans le Bassin du Congo, plus précisément au Congo et au Gabon. Au Congo, le groupe Kota est réparti dans les départements de la Cuvette-Ouest, du Niari et de la Lékoumou. Cependant, leurs migrations en zone forestière à la recherche d’espaces riches en ressources animales et végétales les ont amenés à s’installer dans la Sangha et le Kouilou. Le groupe Kota est composé de plusieurs sous-groupes : Mbeti, Nzebi, Kota, Obamba, Ndasa, Bahuwu, Mbahouin, Shamaye, Mahongwe, Ugum, Shake.

L’aire culturelle et géographique des Kota se situe dans le Bassin du Congo, plus précisément au Congo et au Gabon.

Quels sont les fondements de la spiritualité des Kota ? Quelle place occupe la nature dans cette culture ?

Selon les Kota, il existe un Dieu céleste, immanent et inaccessible et un dieu terrestre, accessible, incarné par les ancêtres qui assurent la médiation avec le Dieu céleste. Les Kota formulent leurs demandes aux ancêtres. C’est pourquoi la religion des Kota est basée sur le culte des ancêtres. Il s’agit d’une spiritualité lignagère, génétique, héréditaire puisque la transmission se fait au sein du lignage. La spiritualité des Kota est ancrée dans la forêt où sont aménagés les temples et les sanctuaires. Chez les Kota, la nature a plusieurs fonctions : symbolique pour la spiritualité, de guérison grâce à la pharmacopée et de subsistance par les divers produits qu’elle offre. En tant que peuples forestiers, les Kota sont attentifs à la préservation des écosystèmes et très respectueux de la nature.

La spiritualité des Kota est ancrée dans la forêt où sont aménagés les temples et les sanctuaires.

Quelle est la fonction des rites initiatiques ?

Les rites initiatiques sont variés mais ils ont pour tronc commun la vénération des reliques des ancêtres. Leur fonction est à la fois éducative, récréative et hermétique, mais elle vise également la cohésion sociale, le bien-être collectif et individuel, la protection. Les principaux rites sont : le Ngo (rite de la panthère mixte, gouvernance communautaire), le Ndjobi (rite de régulation sociale, masculin), le Moungala (rite gémellaire, mixte, axé sur la chance, le bonheur), le Lisimbu (rite féminin, formation de la femme), le Satsè (circoncision, rite de passage et confrérie, préparation à la découverte du mystère de la sexualité).

Sur quoi est basée la cosmogonie Kota ?

La cosmogonie des Kota attribue le pouvoir de création à un être suprême zambie, autrement appelé luba. Dans son ouvrage Ethnologie religieuse des Kuta, Efraïm Andersson rapporte les mythes et contes mythologiques sur la création chez ces peuples. D’après son informateur Mayaka Joseph, un mbahoin, « Zambie yambika (Dieu d’en haut) est identique au soleil (dzitadi) et zambie yakele (dieu d’en bas) est représenté par la lune (ngonzi).  C’est grâce au soleil que zambie voit ce qui se passe le jour ; il découvre les voleurs, les gens qui se disputent ou se battent, les adultères… ». Sur le plan végétal, le bananier est la représentation de l’arbre de vie. Cette plante symbolise l’homme et sa vie en société. Au village, le bananier reste la plante de la rencontre, de la vie et de la spiritualité.

La cosmogonie des Kota attribue le pouvoir de création à un être suprême zambie, autrement appelé luba.

Vous avez évoqué l’importance du culte des ancêtres et des reliques chez les Kota. Que représentent symboliquement les ancêtres et les reliques ?

Les Kota ont une vision pragmatique de la spiritualité qui est liée à leur système social où l’ancêtre et les reliques sont au cœur de leur imaginaire. Les ancêtres, qui furent de grands initiés, sont porteurs de pouvoirs surnaturels qui sont amplifiés après leur mort. Les reliques sont des témoins physiques des ancêtres. Mélangées aux écorces et aux peaux d’animaux symboliques, elles deviennent des catalyseurs d’énergie d’après les récits de nos informateurs.

Lire aussi : Mémoires, Genève dans le monde colonial : un autre regard sur les collections du MEG. https://www.makanisi.org/memoires-geneve-dans-le-monde-colonial-un-autre-regard-sur-les-collections-du-meg/

Les gardiens de reliquaires sont souvent des statuettes en cuivre, en laiton et en bois, qui représentent un visage en forme de soleil, surmonté d’un croissant de lune. Qu’évoque cette figure et que symbolisent ce soleil et cette lune ?

Les gardiens de reliquaires représentent la tête de l’ancêtre, homme ou femme, siège de la spiritualité. Le soleil est une représentation de Dieu, lumineux, dont l’énergie brûle, tandis que la lune, sa femme, tempère cette énergie et la transmute pour assurer la fécondité et la reproduction lignagère. En croisant les données d’Efraïm Andersson et mes propres observations, j’ai noté que les Kota ont une spiritualité de haute portée : le soleil représente l’énergie masculine et la lune l’énergie féminine, au sens alchimique. Leur interaction génère l’équilibre qui aboutit à l’unité, à la sagesse.

Le soleil représente l’énergie masculine et la lune l’énergie féminine, au sens alchimique. Leur interaction génère l’équilibre qui aboutit à l’unité, à la sagesse.

Vous avez été associé avec votre collègue Jean-Didier Ekori à l’exposition Mémoires, Genève dans le monde colonial. Comment cela s’est-il passé et quel a été votre apport ?

C’est suite à une rencontre avec Floriane Morin, conservatrice au MEG, responsable du département Afrique, au cours de laquelle nous avions sollicité l’appui du musée au sujet de la sauvegarde de la culture et de l’écosystème forestier du pays Kota menacé de disparition, que Jean-Didier Ekori et moi-même avons été associés à ce projet d’exposition temporaire qui était en préparation. Notre apport consistait à identifier l’origine géographique de la statuaire Kota et à témoigner, en qualité d’héritiers culturels, sur la violence symbolique subie par les Kota de la part de l’administration coloniale et des missions évangéliques. Il s’agissait pour nous d’honorer la mémoire et la spiritualité de nos ancêtres, de nous réconcilier avec eux et avec le musée qui conserve et valorise les œuvres d’art Kota.

Notre apport consistait à identifier l’origine géographique de la statuaire Kota et à témoigner, en qualité d’héritiers culturels, sur la violence subie par les Kota de la part de l’administration coloniale et des missions évangéliques

Quels sont les objets que vous avez prêtés au MEG ?

Nous avons prêté au MEG les écorces d’arbres sacrés évocateurs de l’écosystème forestier du terroir Kota, les plumes de perroquet, les emblèmes des jumeaux, cœur du système socioculturel Kota, le tissu raphia, vêtement des ancêtres, le collier en cauris, bijou de la divination porté par les nganga. L’idée était de situer les objets dans le contexte spirituel de leur création et de montrer la cohérence du récit socioculturel à travers ce fragment de la culture Kota.

Dans cette exposition, l’accent est mis, entre autres, sur la violence : vols d’objets sacrés et brutalités faites parfois sur les détenteurs de ces objets. S’agissant des objets Kota, quelles formes a pris cette violence ?

On peut noter trois types de violence : violence sur les gardiens de reliquaire, qui étaient arrachés au panier à relique, dont les traces sont visibles sur les socles ; violence sur les initiés qui étaient contraints d’exposer des objets sacrés en public tout en étant photographiés ; traque de l’administration coloniale, pillage et autodafé des objets sacrés. Voilà les éléments structurants de la violence coloniale et missionnaire qui ont déstabilisé les Kota.

Quelles stratégies ont mis en place les Kota face à ces prédations ?

Les Kota ont fait preuve de résilience face à ces prédations par la ruse, la dissimulation et l’adaptation. Ils avaient créé deux villages, l’un, symbolique, en forêt et un autre, administratif, le long des routes. Aujourd’hui, ils ne confectionnent plus de paniers à ossements, mais des reliquaires de petit format contenant désormais des témoins du défunt : mèches de cheveux, fragments d’ongles, vêtements.

Beaucoup d’objets cachés en forêt ont été abîmés ou définitivement perdus. La spiritualité Kota est en crise, notamment au Congo. 

Quelles pertes pour les Kota ?

Les pertes sont nombreuses et incalculables. Plus de 5000 sculptures et objets funéraires ont été emportés en occident par les administrateurs coloniaux, les missionnaires et les anthropologues d’après l’ethnologue  Louis Perrois. Les statuaires Kota ont une grande valeur marchande sur le marché de l’art, allant de 100 000€ à 500 000€ pour les pièces rares. Beaucoup d’objets cachés en forêt ont été abîmés ou définitivement perdus. La spiritualité Kota est en crise, notamment au Congo : crise de conversion et de transmission de savoir-faire, notamment en matière de fabrication d’objets d’art, pertes de repères avec la déforestation galopante.

Que deviennent ces traditions initiatiques aujourd’hui en Afrique ? S’accompagnent-elles toujours d’une production d’objets rituels, dont la qualité esthétique les apparente à des œuvres d’art ?

Les traditions initiatiques sont en perte de vitesse nonobstant le discours d’éveil des consciences du courant panafricaniste qui appelle la jeune génération à revisiter les traditions pour structurer leur identité. Des artistes produisent encore des objets rituels de qualité,  mais ils manquent d’outils performants et de relais (musées, expositions, foires, boutiques de vente, etc.) pour promouvoir leurs œuvres et faire connaître la culture et l’art Kota. Tout ceci dépend entre autres des politiques publiques de soutien aux arts et traditions populaires qui sont souvent déficientes. Mais des pays comme le Bénin et le Nigeria font des efforts pour promouvoir leur culture, en partenariat avec les Afro-descendants.

Des artistes produisent encore des objets rituels de qualité, mais ils manquent d’outils performants et de relais pour promouvoir leurs œuvres et faire connaître la culture et l’art Kota.

Le Congo ou le Gabon ont-ils fait une demande de restitution d’objets auprès de musées étrangers, notamment européens ?

À notre connaissance, le Congo et le Gabon n’ont pas formulé de demande de restitution d’objets auprès des musées étrangers. Mais une telle démarche dépend de la diplomatie muséale et de nombreux facteurs. Cela suppose une prise de conscience de l’importance de l’histoire et de la mémoire de la part des pouvoirs publics des pays concernés, la mise en place d’équipements de qualité, tels que des musées, ainsi que la mise à disposition de moyens financiers conséquents, sachant que la gestion d’un musée est onéreuse.

Le musée doit être à la fois un lieu de mémoire attractif, un espace de recherche, de convivialité, de transmission, de dialogue, de partage, de réconciliation.

Quel rôle déterminant doit jouer un musée aujourd’hui en Afrique  ?

Un musée porte la mémoire d’un peuple. Il a une valeur éducative et scientifique. Pour moi, un musée doit être dynamique. Il doit être à la fois un lieu de mémoire, un espace de protection et de préservation du patrimoine africain, de recherche, de convivialité, de transmission, de dialogue, de partage et de réconciliation. Pour faire rayonner un musée, il faut former son personnel et le doter de moyens conséquents. Voilà une promesse muséale à réaliser en Afrique, du moins je l’espère !

Mémoires : Genève dans le monde colonial 
  • Musée d’Ethnographie de Genève (MEG)
  • Boulevard Carl-Vogt 67 – CH – 1205 Genève
  • Téléphone +41 22 418 45 50
  • Date : du 3 mai 2024 au 5 janvier 2025
  • Tarif : gratuit en 2024
  • Site web de l’exposition :https://www.colonialgeneva.ch
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